DOGMAN
Matteo Garrone, 2018
LE COMMENTAIRE
Avant de s’émerveiller devant nous-mêmes (cf The American Meme), succombant à la culture du selfie, nous ferions mieux de nous prosterner un peu plus devant les autres. N’oublions pas que nous faisons partie d’un ensemble (cf Le Goût des Autres) et que ne sommes finalement guère plus que des serviteurs. Pas si inutiles, n’en déplaise à St Luc.
LE PITCH
Un ami des bêtes se fait brutaliser par un animal.
LE RÉSUMÉ
Marcello (Marcello Fonte) est un toiletteur pour chiens sans histoire. Il vit à Magliana, un quartier défavorisé de la banlieue romaine où il s’occupe de sa fille Alida (Alida Baldari Calabria), échange avec ses voisins commerçants et fait quelques petits deals de cocaïne à l’occasion. L’un de ses clients, Simoncino (Edoardo Pesce) terrorise le quartier au point que les commerçants locaux songent à mettre un contrat sur sa tête.
Pendant ce temps, Simo continue de s’inviter ni vu ni connu chez Marcello pour se faire des lignes. Il l’oblige à faire le chauffeur (cf Drive) pendant ses cambriolages. Marcello la bonne pâte n’ose pas dire non.
Simo se transforme en une sorte de taureau enragé. Il tue le fournisseur de Marcello et parvient à résister au règlement de compte qui s’en suit. Rien ne peut l’abattre (cf Bullhead). Un beau jour, il se met en tête de dévaliser le bijoutier en passant par chez Marcello qui accepte une nouvelle fois sous la menace. Le lendemain, le pauvre Marcello est interrogé par la police et ne peut se résoudre à dénoncer celui qu’il continue à considérer comme son ami et dont il a même sauvé la vie.
Un an de prison pour rien sans toucher les francs 20,000. Simone ne lui propose à peine que 300 euros. Marcello s’est mis à dos tout le quartier. Il voit de moins en moins sa fille. En colère, il joue tente d’intimider Simo en défonçant sa moto, ce qui lui vaudra une belle raclée devant tout le monde.
N’ayant plus rien à perdre, il fait miroiter un plan à Simo pour mieux le mettre en cage. Il en vient finalement à bout. Marcello traine sa victime sur son dos vers la plage où il immole le corps. Il entend au loin ses anciens amis commerçants jouer une partie de foot à 5. Pour leur montrer ce qu’il vient de faire, il éteint le cadavre et le porte à nouveau sur son dos. Une fois arrivé aux terrains de foot, il n’y a personne. Marcello a rêvé.
Il est seul au milieu du square.
L’EXPLICATION
Dogman, c’est une vie de chien.
Rome est la ville éternelle (cf La Grande Bellezza), la ville de Totti, du Pape (cf Anges et Démons) et des bucatini all’amatriciana. Pour le bon côté des choses. Car Rome compte également ses banlieues abandonnées, qui n’ont rien à envier aux plus sinistres quartiers napolitains (cf Gomorra). L’envers du décor à Cinecittà.
De la même manière, on adore exposer nos chiens tout bien toilettés à l’occasion des concours. On en oublierait presque que pour en arriver là, il faut les garder en cage, les laver alors qu’ils n’aiment pas cela, les sortir et ramasser leurs crottes. Tout ce qu’on ne veut pas voir. Il faut toujours quelqu’un pour faire le travail de l’ombre et cette personne est Marcello.
Celui qu’on ne remarque pas. Pas dénué de charme mais fondamentalement pas très joli. Ce n’est pas lui faire injure que de dire qu’il ressemble presque au crapaud dans Taram et le Chaudron Magique. Encore que son sourire éclaire parfois son visage façon Gad Elmaleh. Marcello a une voix insupportable. Il fait un métier peu reluisant. Sa ville a été déserté par les touristes. Il est incroyablement passif et se fait marcher naturellement dessus par à peu près tout le monde. Sa gentillesse est devenue un défaut.
C’est ainsi que Marcello développe une rancoeur qui s’incarne par Simo, tout ce que Marcello n’est pas (cf Fight Club). Tandis que Marcello prend le risque de retourner sur les lieux du crime pour sortir un chihuahua mis dans le congélateur, Simo ne se retourne pas du tout. Grand et costaud. Brutal. Se moquant bien de ce que les gens lui disent. Il ne veut rien entendre.
Pas très beau non plus, ses traits de visages sont même plus grossiers que ceux de Marcello. Simone fait ce que Marcello n’ose pas parce qu’il n’en a ni les moyens physiques, ni le courage : il rentre et se sert – sans négocier. On lui déroule le tapis rouge dans les clubs de strip tease. Les riverains le craignent quand il montre les crocs.
Marcello le considère comme un ami ? Évidemment! Il le répare et le couvre. Simo est précieux pour Marcello : il représente sa colère de ne pas être respecté, sa frustration de ne pas exister, sa déprime de se sentir seul. La haine de Marcello grandit à travers Simo jusqu’à sortir de sa cage, une sorte de Hulk qui s’énerve parce qu’il ne peut plus supporter sa vie (cf Swallow).
Cette colère ronge néanmoins Marcello et lui fait évidemment du mal. Elle l’isole de sa fille puisqu’il doit aller faire un tour à l’ombre. Quand il se rend compte des dégâts, il est trop tard. Bien qu’il parvienne à ruser pour supprimer Simo, son meurtre ne résout pas ses problèmes.
Il a l’illusion d’entendre ses anciens amis au loin et veut s’empresser de leur montrer ce qu’il a réussi à faire. Trop fier qu’il est. Impatient de pouvoir les rejoindre et reprendre sa vie d’avant. Malheureusement il n’y a plus personne. Sa colère éclatée l’a coupé du monde comme Max sur l’île des Maximonstres.
Il réussit à se calmer mais cela ne lui ramène pas ses amis pour autant. Il a tué une partie de lui-même. Encore que ses amis refassent surface, Simo lui manquerait éternellement.
Heureusement qu’il a encore ses chiens.
On ne s’improvise pas pit-bull quand on est un chihuahua. Impossible d’échapper à son destin de clébard.
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