SENNA
Asif Kapadia, 2010
LE COMMENTAIRE
Les grands talents regardent à l’horizon, plus loin que les autres. Ils doublent les simples mortels que nous sommes. Impossible de les rattraper. Il est parfois difficile de prendre pleinement conscience de ce qu’ils sont en train de réaliser, sous nos yeux (cf At Eternity’s gate). L’Histoire est écrite par ces personnes hors du commun, sans que nous puissions l’apprécier.
LE PITCH
Trajectoire tragique pour celui qui restera l’un des plus grands pilotes de tous les temps.
LE RÉSUMÉ
En 1978, un jeune pilote brésilien débarque en Europe. À Monte-Carlo, avec une F1 quelconque, il va jusqu’à chatouiller le Professeur Alain Prost en personne – qui demande déjà à arrêter la course avant la fin.
Le Français sent le vent tourner. Pourtant il continue de parader sur les plateaux de télévision, en draguant en direct Selina Scott d’une manière qui serait qualifiée de harcèlement sexuel aujourd’hui. Son règne s’achève. Ayrton est déjà dans son rétroviseur (cf Duel).
Le Brésilien signe chez Lotus, écurie avec laquelle il fait retentir l’hymne auriverde au Portugal. Son premier Grand Prix. Puis il rejoint Honda McLaren en 1988.
La rivalité s’intensifie. Senna écrase Prost de par sa flamboyance en remportant le titre de champion du monde à Suzuka, après avoir pourtant calé sur la ligne de départ.
L’année suivante se joue encore une nouvelle fois au Japon. Si Senna ne finit pas la course, Prost est champion. Senna tente de doubler. Prost lui coupe la route. Les deux hommes s’accrochent. Senna repart contre toute attente et gagne le Grand Prix, jusqu’à ce qu’il se fasse disqualifier par le président de la FIA Jean-Marie Balestre pour avoir enfreint le règlement 56. Prost est sacré.
You’re the world champion.
Apparently yes…
Rebelote l’année d’après. Suzuka. Encore et toujours. Prost est désormais chez Ferrari. Cette fois, s’il ne finit pas la course, c’est lui qui abandonnera le titre à Senna. Nouvel accrochage. Senna triomphe.
Prost prend une année sabbatique. Senna enchaîne les victoires, notamment lors du grand prix d’Interlagos au Brésil qu’il remporte malgré une boite de vitesse bloquée. Les Williams Renault imposent ensuite leur hégémonie technologique. Mansell en profite. Prost revient sur le circuit en embuscade, gagne un dernier titre, puis prend sa retraite.
Senna part chez Williams, derrière la Benetton d’un certain Michael Schumacher. Lors du grand prix d’Imola où Barrichello se blesse et Ratzenberger se tue, Ayrton Senna fait à son tour une sortie de virage qui lui sera fatale.
Il laisse derrière lui une fondation qui a aidé 12 millions d’enfants défavorisés, ainsi qu’une certaine idée quasi-chevaleresque du pilotage automobile.
L’EXPLICATION
Senna, c’est un style.
La mort nous fait forcément poser la question de la trace que nous laissons (cf Monsieur Schmidt). Cette trace est constituée d’un récit et d’une conclusion. Une vie bien conduite mais mal garée ne laissera pas une trace impérissable dans l’Histoire. Inversement, une vie sans relief mais qui se termine sur les chapeaux de roues survivra sans doute à l’oubli.
La vie d’Ayrton Senna, qui s’est confondue avec sa carrière, aura été brève puisqu’il est mort à 34 ans. Il a vécu comme il a conduit : vite.
There’s only one word that describes Ayrton’s style, and that is « fast. » He would take the car beyond its design capabilities, he would brake later.
Cette vie a été couronnée de multiples succès, de quelques amères désillusions, de nombreuses conquêtes et pas mal de partage. Senna a fini dans le mur, injustement.
Ce serait faire injure au style Senna que de le résumer à la simple vitesse car il avait aussi une intelligence de course indéniable.
When you look at Ayrton’s early career, what was apparent was his pace and his dedication. But in the end, what you’re looking for is an intellect. And I thought this guy has got what it takes.
Sa passion pour la course était plus forte que les autres. Senna avait le virus de la compétition automobile sans calcul. C’est pourquoi il aimait tant le karting : de la conduite à l’état brut. Le style Senna émerge encore plus lorsqu’on le compare à celui de Prost, beaucoup plus calculateur.
I know the regulations.
Prost pouvait rester sagement 5e d’une course si cette place lui apportait les points nécessaires. Senna ne supportait pas cette idée. On ne conduit pas pour être derrière. Même quand on est devant on doit continuer d’accélérer. Cette philosophie va le punir une première fois à Monte-Carlo lorsqu’il a voulu humilier Prost en insistant alors qu’il avait course gagnée, finissant dans les balustrades.
Cette philosophie va le condamner définitivement à Saint Marin en partant dans le décor, au sortir d’une ligne droite.
Senna était un homme qui a souffert de la manière dont le monde fonctionne, notamment des petits arrangements médiocres entre amis du milieu.
La F1, c’est politique. Il y a beaucoup d’enjeux. Beaucoup d’argent.
En tant qu’homme, il cherchait sans cesse à s’améliorer, au delà de sa profession.
Il faut toujours essayer de faire mieux.
Senna voyait plus loin. Son éthique était irréprochable. Il avait horreur qu’on la lui fasse à l’envers.
This situation is a joke!
Comme tous les hommes habités par une force intérieure, Senna était quelqu’un d’inspirant.
On that morning when he woke up, he asked God to talk to him. He opened the Bible and read a passage which said: God would give him the greatest of all gifts. Which was God himself.
Senna n’était pas un Saint pour autant. Lui aussi aurait pu être condamné pour harcèlement sexuel sur une journaliste japonaise. Son exigence et ses caprices pouvaient le rendre insupportable aux yeux de certains. Il était une véritable tête de cochon qui prenait des risques parfois inconsidérés, qui ne lui ont cependant pas couté la vie puisque son accident fut lié à un problème mécanique.
Senna a marqué les esprits de par son talent, son envie et sa générosité.
De son côté, Prost a tenu dans la durée mais ses titres ont moins de saveur en comparaison. Il fut un champion sans sel.
Prost reste celui qui a décroché son titre de champion après s’être plein auprès des commissaires de course. Il est un peu celui qui reçoit les honneurs après avoir dénoncé ses copains à l’institutrice Sa tentative de lancer sa propre écurie a tourné au fiasco. Faut-il y voir un signe du destin ?
Senna est à l’image d’un Yuri Jivago, romantique, dont on se rappellera toujours plus volontiers qu’un Viktor Ippolitovitch au réalisme froid et cynique (cf Le docteur Jivago).
c est prost sur la photo. merci de correctioner
Tu es sûr que ce n’est pas (Marcel) Proust?