LE DERNIER MÉTRO
François Truffaut, 1980
LE COMMENTAIRE
Trop d’années à subir ou à devoir déclamer un texte écrit pour elles par des hommes incapables de faire preuve de la moindre forme d’empathie. Face à l’agressivité de l’oppresseur, qui n’est pas toujours celui qu’on croit, les femmes ont continué à faire tourner le monde courageusement. Elles n’ont aucune raison de devoir baisser les yeux. Bien au contraire.
LE PITCH
Pendant l’occupation, le théâtre Montmartre continue d’assurer ses représentations.
LE RÉSUMÉ
La France est en guerre. Des Parisiens se rationnent (cf La traversée de Paris) pendant que d’autres vont au spectacle.
Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) cherche un acteur pour jouer aux côtés de Marion Steiner (Catherine Deneuve) dans La Disparue. Bernard Granger (Gérard Depardieu) décroche le rôle et harcèle aussitôt Arlette Guillaume (Andréa Ferréol).
Cette femme, il me la faut!
Des attitudes sexistes qui étaient à peine dénoncées à l’époque, certainement pas encore condamnées.
La troupe de théâtre vit presque normalement, avec ses hauts et ses bas (cf Birdman). À ceci près que le directeur Lucas Steiner (Heinz Bennent) se cache sous son théâtre pour éviter la déportation.
Daxiat (Jean-Louis Richard), le critique du journal antisémite Je suis Partout, multiplie les tentatives d’intimidation. Son discours est double. Tout d’abord mielleux devant Marion Steiner.
Voyez vous les Allemands sont très attachés à la culture. Ils ne souhaitent pas que les talents quittent la France.
Ses propos deviennent beaucoup plus agressifs une fois imprimés dans son torchon.
Car si on laissait un souffleur Juif au théâtre lyrique de Menilmontant, on risquerait trop de le retrouver un jour diriger la destinée des gens de l’opéra. Il faut pousser le Juif hors de la scène, hors des coulisses et qu’il ne puisse plus jamais y remettre les pieds.
À mesure que les répétitions s’enchaînent, Lucas écoute tout depuis le sous-sol et fait remonter ses commentaires à Cottins par l’intermédiaire de Marion. Celle-ci se rapproche de Bernard. Bien que Granger soit un porc résistant (cf L’armée des ombres).
Quel paradoxe! Détestable et admirable à la fois. Son courage impressionne. Par exemple, il est le seul qui refuse de serrer la main de Daxiat. Mieux, il contraint le journaliste à faire des excuses à Marion le lendemain de la première, après une critique injustement incendiaire.
Sans surprise, Bernard finit par quitter la troupe pour de bon.
Est-ce que vous avez pensé une seule seconde au théâtre ?
Pour vous y’a que votre théâtre qui compte! J’abandonne le théâtre pour la résistance.
Au moment de partir, l’acteur se dispute avec Marion puis couche avec elle.
Ils remonteront sur scène ensemble après la libération. En compagnie de Lucas, sorti de son trou, et qui est célébré comme il le mérite (cf Le Prestige).
Finalement, Marion peut saluer son public avec le sourire, main dans la main avec les deux hommes qui partagent sa vie.
L’EXPLICATION
Le Dernier Métro, c’est continuer de se battre sans s’arrêter de vivre pour autant.
Avec le recul, il est toujours plus plaisant de s’imaginer résistant. Lorsque nous sommes confrontés à la réalité, c’est autre chose. En effet, nous n’avons pas tous l’étoffe des héros (cf Uranus). C’est pourquoi nous cherchons surtout à passer entre les gouttes (cf Le Pianiste) en essayant de ne pas céder à la tentation de basculer dans l’autre camp.
Par exemple, Nadine Marsac (Sabine Haudepin) fait de son mieux pour s’en sortir. Il est vrai que sa situation ne lui offre pas le luxe de faire la difficile.
Je suis bien décidée à accepter tout ce qu’on me propose.
En ces temps difficiles, les Parisiens qui peuvent se le permettre vont se réfugier dans les salles obscures (cf Cinema Paradiso) ou au théâtre.
La vie des Parisiens devient de plus en plus difficile et pourtant ils sont de plus en plus nombreux à se précipiter dans les salles de spectacle.
Une manière d’échapper à un réel devenu insupportable.
Ce qu’il faut c’est fuir. Fuir au bout du monde. Loin des fous.
Marion Steiner ne peut pas fuir. Elle se retrouve coincée entre deux mondes:
Le monde d’en bas. Très réel. Celui de son mari qui vit sous terre dans une cave insalubre (cf Underground). L’amour entre parenthèses. Une vie cachée, dans l’angoisse permanente d’être découvert par l’ennemi.
S’il faut enlever sa culotte pour prouver qu’on n’est pas juif, non merci.
Le monde d’en haut. Dans la performance. Celui de Bernard, sur scène, sous les feux de la rampe. On y vomit d’angoisse aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Les applaudissements. Le coeur qui bat. La passion.
Marion souffre du piège des sentiments contradictoires.
C’est une joie et une souffrance.
Marion est une femme entière, qui ne calcule pas. Cela peut d’ailleurs la desservir.
Vous avez tort : tout est politique. (cf Braveheart)
À la fois inspirée mais aussi mise sous pression par le courage d’un mari effacé par la guerre. En effet, Lucas se bat tous les jours dans l’ombre, sans que personne ne le sache.
Je suis revenu, je dirige la pièce. Et personne ne peut le savoir!
Lucas est coupé brutalement du monde. Il est le Juif que personne ne doit voir. Lui aussi voudrait pouvoir profiter de la lumière. Au lieu de cela, il en est réduit à devoir transmettre ses commentaires par voie interposée. Son autorité est étouffée. Elle déborde. Marion se la prend en pleine figure tous les soirs. C’est trop pour elle, au quotidien. Elle n’arrive pas à assumer ces événements de manière aussi dure.
Son attirance vers Bernard se produit presque naturellement. Besoin d’un peu de fougue. D’un héros qu’elle ne peut pas retenir.
Vous êtes libre, tout le monde est libre.
Ce jeune loup n’est pas une tête brûlée pour autant. Il donne des indices qui laissent à penser qu’il vieillira bien. Lorsqu’il quitte la troupe, malgré son amertume, Bernard fait déjà preuve de beaucoup de sagesse.
Une petite leçon d’humilité, on s’aperçoit qu’on est remplaçable.
Lucas et Bernard sont tous les deux formidables. Ils incarnent chacun une manière de vivre différentes. Tous les deux ont compris qu’ils ne peuvent pas l’avoir pour eux seuls (cf La femme de mon pote). Cela tombe bien car Marion ne veut pas avoir à choisir entre l’un et l’autre (cf Les choses de la vie).
Il faut être deux pour s’aimer et il faut être deux pour se haïr.
Elle veut jouer le double jeu. Pourquoi n’en aurait-elle pas le droit ? Contrainte de faire le trait d’union pour pouvoir se sortir de cette période pénible. Évitant les avances répugnantes des Nazis et des collabos. Si bien qu’elle a réussi à prendre le dernier métro pour ne pas se retrouver à quai.
À présent que la guerre est finie, il est temps de s’amuser un peu!
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