MERCI PATRON!
François Ruffin, 2016
LE COMMENTAIRE
Par principe capitaliste, les patrons gagnent plus d’argent que leurs employés car ils prennent plus de risques. Ils sont rétribués pour ne pas faire de cadeau (cf A Most Violent Year). C’est d’ailleurs parce que les patrons ont pris tant de risques ces dernières années, au prix de quelques sorties de route mémorables (cf Inside Job), qu’ils sont aussi riches aujourd’hui. Tandis que leurs ex-employés, désormais au chômage, n’ont même plus les ressources pour se payer un petit tour chez le dentiste (cf Les raisins de la colère). Ce n’est pas grave. On remplacera bientôt définitivement ces salauds de pauvres (cf La traversée de Paris) par des robots aux dents impeccables.
LE PITCH
Robin des Bois vient au secours des victimes du grand capital.
LE RÉSUMÉ
Le journaliste François Ruffin accuse Bernard Arnault de couper la France en deux.
Ce qui manque, c’est le dialogue.
Pour rétablir le dialogue, il souhaite faire entendre sa voix en tant qu’actionnaire lors de l’assemblée générale de LVMH. Malheureusement, les petits actionnaires sont isolés dans une salle adjacente d’où ils peuvent écouter les débats, sans y participer.
Ruffin n’abdique pas. Il mène l’enquête sur celui qui a placé l’ensemble des sociétés financières dans le plat pays afin de contourner l’administration fiscale. La France est un pays que les immigrés ont été invités à quitter s’ils ne l’aimaient pas. Pourtant c’est bien le saint patron des patrons français qui a demandé la nationalité Belge après avoir déjà quitté l’Hexagone une première fois pour les États-Unis en 1981 lors de l’élection de François Mitterrand. Bizarre. Bernard Arnault est pourtant né à Roubaix d’une longue lignée d’Alsaciens et d’Auvergnats. Il tient plus du Français de souche que de l’immigré.
Quand un premier de cordée cherche à quitter son pays de cette façon, ça la fout mal. C’est comme si le capitaine abandonnait le navire. Le milliardaire est coutumier du fait car il est connu pour racheter des compagnies afin de les démanteler, comme il l’a fait avec Boussac. Beaucoup d’ouvriers des usines du groupe se sont d’ailleurs retrouvés sur le carreau, comme Jocelyne et Serge Klur. Le couple est désormais menacé d’éviction.
François Ruffin se fait passer pour leur fils afin de faire pression sur LVMH, responsable selon lui de la situation catastrophique des Klur. Il menace le groupe et réclame que Bernard Arnault fasse un geste. Redoutant les conséquences désastreuses d’un tel drame humain, un émissaire est dépêché pour négocier, rembourser les dettes des Klur et garantir un CDI chez Carrefour (cf La loi du marché). En échange de quoi l’affaire doit rester sous silence.
J’ai pour mission d’arranger les choses. Mais pour vous arranger : il faut pas faire de publicité.
François Ruffin a tout filmé.
Les Klur sont sauvés des eaux mais la lutte continue. Les agitateurs ne sont pas calmés. Lors de son assemblée générale, Bernard Arnault a décidé de prendre les devants en équipant ses actionnaires de bracelets de sécurité pour museler les éventuels protestataires. Un flicage jugé un peu excessif par les participants eux-mêmes, bien que nécessaire par le maître de cérémonie.
J’espère que les révolutionnaires se calmeront l’an prochain.
L’EXPLICATION
Merci Patron!, c’est le cynisme des faibles.
En général ce sont les patrons, les puissants, qui font preuve de cynisme à l’égard des autres. Comme quand Emmanuel Macron répond à un chômeur que du travail, il y’en a partout – pour peu qu’on traverse la route.
Ou comme quand les grands dirigeants font de belles promesses sur les plateaux de télévision.
Louis Vuitton ne fabriquera jamais de manière délocalisée.
Les patrons ont des soldats payés grassement pour faire tourner leurs usines au meilleur coût. Ces soldats ont été formés à bonne école, à l’image du responsable d’une usine LVMH en Bulgarie.
On va manquer de main d’oeuvre abordable d’ici trois ans alors qu’on aura plein de gens au chômage en Grèce. (…) Ça doit être un bon calcul pour nous aussi.
Dans leurs équipes, les patrons ont aussi des médiateurs, comme M. Digeon, dont le rôle est de trouver des solutions en arrangeant les choses – c’est à dire en achetant le silence de certains. M. Digeon est redoutable. Il suffit de l’entendre parler de son patron, un mec du Ch’nord. Bernard Arnault, un mec du Ch’nord (cf Bienvenue chez les ch’tis)…
Il est milliardaire tant mieux pour lui. Mais quelque part, comme vous dites, il a un brin d’humanité.
De leur côté, si les employés sont faibles, ils n’en savent pas moins observer et même reproduire ce qu’on leur montre. Ils montrent un beau potentiel, comme les ex-employés de la Samaritaine qui se retrouvent sans emploi :
On n’avait pas le look LVMH.
Pas mal.
C’est désormais à leur tour de renvoyer la balle aux employeurs. Et pas n’importe lequel : Bernard Arnault himself! Pour s’attaquer à ce monstre du capitalisme à la française, il faut quelqu’un qui manie le cynisme avec précision, comme le directeur editorial de Fakir, François Ruffin.
Il vaut mieux des touristes Qataris ou Américains ou Japonais qui viennent dépenser leur argent au Cheval Blanc que des gens qui viennent de Montreuil pour acheter des tuyaux d’arrosage.
Ruffin prend sous son aile les Klur, qui pourraient être les Tuche s’ils n’avaient pas gagné à la loterie : Des gens simples à qui on reproche de ne pas travailler assez, bien qu’ils ne partent pas en vacances. Jocelyne n’a jamais vu la mer alors qu’elle n’habite qu’à quelques kilomètres. Le couple a fêté Noël avec une tartine de fromage blanc.
Le cynisme des patrons nous inviterait à ne pas nous apitoyer sur le sort des Klur. On ne va pas pleurer! Ras le bol de Zola (cf Germinal)! Si les Klur voulaient vraiment travailler, ils travailleraient. Et pourraient même mettre un peu de ciboulette sur leurs tartines.
Ces chômeurs désespérés vont retrouver des couleurs grâce à François Ruffin. Au plus profond de la piscine, ils prennent les choses avec philosophie.
On n’a plus qu’à se pendre…
Joli!
Ruffin retourne le cynisme des patrons contre eux afin que cette farce éclate aux yeux de tout le monde. Histoire de montrer à quel point ce monde là n’a rien d’enviable. Que les gens d’en haut ne prennent pas trop ceux d’en bas pour des imbéciles, quand même.
Réjouissons nous que les faibles réagissent de cette manière. S’ils n’étaient pas cyniques, ils pourraient se mettre en colère. Les singes risqueraient alors de sortir du zoo pour semer le chaos (cf Joker), mettre le feu (cf LA92) ou couper des têtes (cf Marie-Antoinette).
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