COMPARTIMENT N°6

COMPARTIMENT N°6

Juho Kuosmanen, 2021

LE COMMENTAIRE

L’herbe est-elle seulement plus verte de l’autre côté de la voie ferrée ? Combien de temps peut-on perdre à regarder derrière la fenêtre, quand on a l’occasion de se regarder dans les yeux ?

LE PITCH

Une Finlandaise et un Russe sont dans le même bateau.

LE RÉSUMÉ

Laura (Seidi Haarla) est une jeune étudiante. À Moscou, elle entretient une liaison avec sa propriétaire Irina (Dinara Droukarova). Toutes les deux doivent partir en voyage vers Mourmansk pour voir des peintures sur roche.

Finalement, Irina décommande. Laura part seule.

Dans le wagon-lit, elle partage le compartiment n°6 avec Ljoha (Youri Borissov), un Moscovite cherchant un job dans les mines du Nord du pays. Il ne sait pas ce qu’est un pétroglyphe. Le Russe est rustre, en plus d’être saoul. Elle a le coeur brisé. La cohabitation s’annonce fraîche. Cependant la contrôleuse (Julia Aug) lui refuse la permission de changer de compartiment.

Tu crois que tu as le choix?  

Ljoha demande à Laura comment on dit je t’aime en Finnois. Elle lui répond d’aller se faire voir.

Haista vittu!

Lors d’un arrêt à St Petersbourg, Laura descend du train et songe à repartir vers Moscou. Elle appelle Irina qui semble être passée à autre chose.

Bon voyage! Ca va être super.

Raison de plus pour continuer. Nouvel arrêt pour la nuit. Ljoha propose cette fois à Laura de l’accompagner chez sa mère adoptive (Lidia Kostina) à bord d’une voiture volée. Elle accepte. À sa surprise, elle passe une très bonne soirée à boire de la gnôle. Le train repart sur de meilleures bases.

Un voyageur Finlandais du nom de Sacha (Tomi Alatalo) grimpe à bord. Laura l’invite dans son compartiment puis le regrette aussitôt car Ljoha se renferme.

Le passager clandestin quitte l’aventure en dérobant la caméra de Laura, avec tout son Moscou. Drame. Ljoha trouve les mots qui  réconfortent.

Mourmansk approche. Laura propose à Ljoha de rester en contact. Le jeune homme se renferme à nouveau. Les sentiments, il ne sait pas faire.

Ça sert à rien de faire ça!

Mourmansk. La fin du voyage. Ljoha disparaît.

La réceptionniste de l’hôtel ainsi qu’un chauffeur de taxi refroidissent Laura car à cette époque de l’année, il lui sera impossible de prendre la route jusqu’aux fameux pétroglyphes. Qu’à cela ne tienne! Ljoha réapparaît et trouve une solution, par la mer.

C’est réglé!

À travers le froid de la tempête, Laura arrive enfin sur site. A-t-elle vu quoi que ce soit ? Ljoha n’est pas capable de le vérifier.

Elle est heureuse, donc lui aussi.

Ljoha repart à la mine le coeur léger, après avoir pris soin de laisser un croquis sans prétention à Laura, accompagné d’un petit un mot au dos qu’il croit toujours vouloir dire je t’aime en Finnois.

Haista vittu.

Ce qui a le mérite de faire sourire Laura.

L’EXPLICATION

Compartiment n°6, c’est un beau couple.

Le couple bat officiellement de l’aile : on ne se supporte plus (cf Marriage Story), on se trompe (cf Les Noces Rebelles), on s’épuise (cf La Guerre est déclarée), on se perd (cf Love), on se déteste (cf Blue Valentine). Comme si se séparer ne suffisait pas, certains ont le besoin de détruire l’autre (cf La Guerre des Rose).

Le couple implose parce que ses membres manquent de patience (cf Abyss). Ils s’y sentent enfermés comme dans un wagon étroit. Voyageant ensemble comme Laura et Ljoha, sous la contrainte.

On n’est pas ami, on est dans le même compartiment.

Le couple implose car il est composé de deux étrangers qui ne parlent pas la même langue et qui portent avec eux leurs bagages remplis de frustrations ou de regrets.

Je voulais tellement faire partie de cette vie là…

Tant Ljoha que Laura se sentent fondamentalement incompris.

Tout le monde est seul au fond. (cf Les Olympiades)

Quand on y pense, combien de fois a-t-on envie de sortir de ce couple étouffant comme on descend d’un train ? À chaque fois, résigné à remonter jusqu’à la prochaine étape. Peut-être une liaison par erreur avec un voleur. Un ménage à trois qui ne fonctionne pas (cf Cyrano de Bergerac). Une escapade heureuse d’une nuit, comme une respiration trop courte d’un weekend. Puis devoir repartir vers le Nord.

Le couple souffre précisément parce qu’il se concentre trop sur le point de chute (cf La La Land). Mourmansk, destination commune. Laura y voit le lieu des pétroglyphes vieux de milliers d’années qui pourraient expliquer l’origine des choses. Donner un semblant de sens à sa vie de jeune intellectuelle.

C’est un besoin naturel : savoir d’où l’on vient.

En réalité, absolument rien ne l’attend là-bas sinon qu’une chambre double sans Irina et une route barrée vers des inscriptions qui se sont effacées.

Pour Ljoha, la seule promesse que lui offre Mourmansk est celle d’un travail pénible qui lui donnera éventuellement un passeport vers une pseudo-liberté. Qu’en fera-t-il ? Travailler dans le business ? Sera-t-il plus épanoui ?

Tous les deux attendent beaucoup trop de ce qu’ils peuvent trouver là-bas. Ils vont au même endroit mais ne cherchent pas la même chose. La destination leur a fait perdre de vue l’essentiel : le voyage (cf Darjeeling Limited, Le Promeneur d’Oiseau). Mourmansk les détourne du compartiment n°6 où ils passent du temps ensemble à rire, se disputer, se surprendre ou s’attendrir.

Il y a un petit poussin en chacun de nous.

Le fameux instant présent si difficile à apprécier.

Ils ont besoin de voyager au sens de Desirless. Aller se perdre loin du monde pour mieux se retrouver.

Ljoha ne ressent absolument rien sans Laura. Il est tout juste bon pour aller travailler à l’usine. Un enfant qui donne bêtement des coups de pieds dans des boules de neige sur le quai, un imbécile qui provoque car il a trop peur de montrer ce qu’il ressent.

Laura n’arrive à rien sans Ljoha. Elle ne sait rien dire d’autre que merci quand on lui dit que ce n’est pas possible. Tandis qu’il refuse de s’arrêter là. Lui permettant d’aller au bout de la route, sans faire marche arrière. Accepter les compliments, sans se prendre la tête.

Prends ce qu’on te donne!

Temps de se rendre compte que tout ce qui semble compter ne compte pas vraiment. Les pétroglyphes n’existent pas. L’usine n’a rien à offrir.

Ce qui compte pour Laura, c’est que Ljoha soit là. Le seul qui ne l’ait pas abandonnée au milieu de nulle part. Qui lâche tout pour s’assurer que Laura puisse être heureuse. Celui qui trouve des solutions. Avec lequel on s’amuse finalement.

Si elle voit ses pétroglyphes, c’est tout ce qui compte pour lui. Peu importe à quoi ces pétroglyphes ressemblent. Elle peut se contenter de faire semblant, cela suffit. Laura n’a pas besoin de faire semblant d’être heureuse qu’il se soit donné autant de mal. Les pétroglyphes ne sont plus qu’une excuse pour être ensemble.

En retour, il lui écrit un mot d’insulte en pensant lui faire la plus belle des déclarations, derrière un sketch même pas ressemblant. Malgré tout, elle est touchée parce qu’il a enfin partagé ses sentiments avec elle.

Tout est ridicule, sauf quand on est deux.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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