DES HOMMES D’INFLUENCE
Barry Levinson, 1997
LE COMMENTAIRE
La bataille pour l’attention ne touche pas uniquement les médias, elle concerne également celles et ceux qui veulent marquer l’Histoire. Comment captiver des spectateurs abrutis qui n’ont plus la place mentale pour retenir autre chose qu’un slogan ? C’est pourquoi des hommes et des femmes travaillent sans relâche à faire l’histoire. Dans l’ombre, ils écrivent l’histoire qui se déroule comme une série TV sur nos écrans jour après jour. Sans oublier qu’une bonne punchline vaut bien des discours.
LE PITCH
Un communiquant doit réaliser une mission de sauvetage présidentiel.
LE RÉSUMÉ
Le Président des États-Unis est accusé de harcèlement sexuel sur mineur (cf 1 sur 5). L’affaire est sur le point d’éclater (cf Scandale), deux semaines avant les élections. Pire timing. Winifred Ames (Anne Heche), l’une des conseillères du POTUS, fait appel à Conrad Brean (Robert De Niro), un spin doctor renommé, qui a l’idée de détourner l’attention grâce à un sujet autrement plus grave.
We’re not gonna have a war, we’re gonna have the appearance of a war.
Conrad Brean invente une guerre de toute pièce : Les Etats-Unis déclarent la guerre à l’Albanie car elle a l’arme nucléaire. L’histoire parait incroyable. C’est exactement pour cela qu’elle devient crédible.
Why Albania?
Why not?
Brean se rapproche du producteur Stanley Motss (Dustin Hoffman) pour porter cette guerre à l’écran. Une actrice (Kirsten Dunst) et quelques effets spéciaux plus tard, plus personne ne parle du scandale du Président pervers.
Mission réussie ? Pas tout à fait.
La CIA représentée par Charles Young (William H. Macy) bascule pour le candidat rival. L’agence met un terme à cette pseudo guerre éclair. Mais Stanley Motss n’a pas dit son dernier mot.
The war isn’t over ’til I say it’s over! This is my picture – this is not the CIA’s picture!
Pour revenir à la une, le producteur pense à une suite. Un soldat retenu prisonnier (cf Il faut sauver le soldat Ryan) : le sergent William Schumann (Woody Harrelson). Malheureusement, le militaire en question s’avère être un dangereux psychopathe. Il est tué par un paysan alors qu’il tentait de violer une adolescente. Qu’à cela ne tienne! Sa mort le transforme en héros de guerre. Son cercueil est porté en triomphe.
La côte du Président repart de plus belle dans les sondages. Les médias soulignent le rôle déterminant qu’a joué son film de campagne.
Don’t change horses in midstream.
Motss était fier de son oeuvre. Il enrage car il veut les honneurs pour lui (cf Le Prestige). Sur un coup de folie, il menace de révéler l’histoire. Brean tente de l’en dissuader. Dans ce milieu, tout doit rester secret. Motss ne veut rien savoir.
Stanley, don’t do this. You’re playing with your life here.
Fuck my life! I want the credit.
Il est alors emmené discrètement par le service d’ordre. Brean le regarde s’éloigner. Le lendemain, la mort subite du producteur pour cause de crise cardiaque sera rapidement éclipsée dans les médias par l’annonce de la réélection du Président.
L’EXPLICATION
Des Hommes d’Influence, c’est la guerre de l’image.
Nous semblons découvrir le pouvoir de l’image alors qu’il joue pourtant un rôle essentiel depuis la nuit des temps. Il suffit de prendre l’exemple du sacre de Napoléon dont la scène fut réinterprétée deux ans plus tard par David afin de transformer l’oeuvre en outil de propagande impériale. Bien avant Photoshop, Staline aimait aussi effacer certains membres du parti des photographies le représentant.
Les images servent les récits de ceux qui les manipulent, comme Conrad Brean. Elles sont validées par ce que Guy Debord appelait la société du spectacle : Ce qui apparait est bon. Ce qui est bon apparait.
There’s no war.
Of course there’s a war, I’m watching it on television!
Pour les spectateurs que nous sommes, il est évidemment important de pouvoir discerner le vrai du faux. Sinon nous ne ferions qu’avaler les couleuvres qu’on nous donner à regarder. Mais comment s’y prendre ? Qu’est-ce qui relève de la fake news ?
You watched the Gulf War, what do you see day after day? The one smart bomb falling down the chimney. The truth? I was in the building when we shot that shot – we shot in a studio, Falls Church, Virginia. One-tenth scale model of a building.
Is that true?
How the fuck do we know? You take my point?
Qui décide de la fake news ? Quelqu’un aurait-il le courage de révéler la supercherie ?
Who’s gonna tell them?
En son temps, Snowden a lancé l’alerte. Il vit désormais en exil quelque part en Russie…
En matière d’information, Brean est le mieux placé pour savoir que la vérité ne compte plus (cf Le Brio).
What difference does it make if it’s true? If it’s a story and it breaks, they’re gonna run with it.
Il est le marionnettiste qui décide du script. Un joueur de flûte. Créateur de mythes. Un métier cependant ingrat car si son histoire éclate en vol, il sera le premier responsable. Alors que si le Président est réélu, personne ne saura jamais à qui il le doit (cf Argo).
It’s like being a plumber.
Yea, it’s like a plumber: do your job right and nobody should notice. But when you fuck it up, everything gets full of shit.
On peut tout de même s’inquiéter de la place que prend la communication. Lorsqu’un événement majeur se produit, c’est désormais l’équipe de comm’ qui est sollicitée la première (cf L’exercice de l’état).
This is politics at its finest!
Tout s’est transformé en événement pour nourrir les chaînes d’information en continu. Un sujet remplace l’autre. On se passionne pour la guerre en Ukraine qui fait tour à tour ressortir le spectre de la Guerre Mondiale, de Tchernobyl, des crimes de guerre (cf Requiem pour un massacre). Seulement un mois plus tard, il nous faut déjà autre chose pour nous occuper.
We remember the slogans, we can’t even remember the fucking wars. You know why? That’s show business.
Plus inquiétant encore, personne ne voit plus l’intérêt de voter – y compris les personnes qui sont proches du pouvoir. Comme si cela ne servait plus à rien.
Do you vote?
No.
Les spectateurs en lâchent leur télécommande (cf Masques).
Il n’y a plus personne dans la salle. L’histoire toute puissante nous a définitivement anesthésié·es. Le piège de l’image s’est refermé sur celles et ceux qui l’ont regardé (cf Les Aventuriers de l’Arche Perdue).
Pour un peu, on en oublierait presque que le Président est une crapule.