GAZ DE FRANCE
Benoît Forgeard, 2015
LE COMMENTAIRE
Les mandats se suivent et se ressemblent au palais de l’Elysée. Un homme fort qui prend la pose et sont le portrait va pouvoir trôner fièrement dans toutes les municipalités. Vu que le pays ne semble pas encore suffisamment évolué pour avoir une femme à sa tête. Il faut croire qu’on a la Présidence que l’on mérite… À défaut d’avoir l’air intelligent, que cet homme sache incarner l’élégance à la française.
LE PITCH
Le Président au plus bas dans les sondages. La France au pied du gouffre.
LE RÉSUMÉ
Jean-Yves Gambier (Philippe Katerine), alias Bird, a été élu au suffrage universel. Cependant, l’opinion s’est retournée contre lui. Son programme fait de chansons n’a pas fait long feu.
On a cru voir un sauveur, mais derrière le masque il n’y avait rien!
Son conseiller Michel Battement (Olivier Rabourdin), l’éminence grise de l’Elysée, programme une émission de TV censée relancer le Président. Celui-ci promet de ne pas improviser, mais se réfugie sur son synthétiseur à la première question venue.
Qu’est-ce que vous allez faire pour moi ?
… Je ne sais paaas, je n’en sais rieeeenn, je ne sais paaas, je n’en sais rieeeen…
Pour éviter le pire, Michel Battement donne rendez-vous à un petit comité dans le sous-sol de l’Elysée pour brainstormer sur comment sortir le pays de cette impasse. Au lieu de recruter les enarques les plus brillant·es, Samira (Alka Balbir) est allée chercher l’intelligence du peuple.
Dizier Deschamps (Jean-Luc Vincent). Pierre Caron (Darius). Françoise (Elisabeth Mazev). Chris (Antoine Gouy). Alain Rose-Marine (Philippe Laudenbach). Et une jeune fille d’une dizaine d’années (Délia Espinat-Dief).
La situation est désespérée. Bird songe à rendre son tablier.
J’ai une idée : si on disait que je suis mort ?
Chacun planche sur un scénario. Alain Rose-Marine propose une histoire de fesses. Passe-partout.
Les vieux pots sont ceux qui donnent les meilleurs potages.
Bird va annoncer qu’il est tombé amoureux et les Français lui pardonneront. Reste à savoir de qui. Il s’agira de la jeune fille. Cela parait incroyable et c’est précisément pour cette raison que cela pourrait marcher. C’est frais. Inattendu. Michel veut y croire.
Plus c’est gros, plus ça passe.
Caron se dit aussi que c’est possible.
On rentre ici dans le champ de l’irrationnel.
Dans une allocution émouvante, Michel souffle son texte à Bird.
Sachez-le, derrière votre Président, il n’y a pas qu’un Bird. Il y’a un homme. (…) Souhaitez vous être gouverné par l’homme, ou par le costume de l’homme ?
Le monologue se déroule. Suite à un problème technique, Bird perd la liaison. Il improvise et change de discours en lançant l’armée sur la bourse de Francfort.
C’est pourquoi j’ai décidé… de déclarer la guerre aux banques.
Au sous-sol, le groupe est dépité. Caron parle d’apocalypse.
Mon Dieu. Faites que Saint Dizier soit préservé…
Caron programme son robot Pithiviers (Benoît Forgeard) pour les sortir du trou dans lequel ils sont désormais bien enfoncés (cf Underground).
Je dis pas qu’un redressement est impossible, mais il va falloir sérieusement se serrer la ceinture.
Le robot prône l’égalité totale entre hommes et femmes, ce qui le conduit à rebaptiser tout le monde par des noms de gâteaux.
Françoise sera ‘Mille Feuilles’. Dizier, ‘Paris Brest’.
C’est mal barré. Caron prend la sage décision de débrancher sa créature.
Alors que tout semble terminé, les pompiers de Paris interviennent. Victoire. Bird a le triomphe modeste.
Et la guerre ??
Ça c’est très bien passé!
Il invite l’assemblée à remonter gentiment pour déguster un plateau de fruits de mer.
L’EXPLICATION
Gaz de France, c’est la fierté nationale.
La France n’est pas assimilée à un coq pour rien, même si nos voisins se moquent de cet animal qu’ils décrivent comme étant le seul capable de chanter les deux pieds dans la merde. De ce point de vue, Bird est effectivement un drôle d’oiseau.
On me reproche d’avoir trop souvent chanté.
Les Français·es ne font pas de cadeaux dans les urnes, quand ils ou elles se déplacent. On coupe des têtes, on verra plus tard. Peu importe ce qui repousse.
Et après ? Pour mettre qui à la place ?
L’électorat est connu pour être versatile. Il accorde aussi vite sa confiance qu’il la reprend. Ainsi les candidats successifs font le yoyo dans les sondages. De vraies marionnettes aux mains des pourcentages. On reproche au chef suprême de ne pas être à la hauteur. Lui-même en vient à douter. Bird pose la question à Battement car il a besoin d’être rassuré.
Vous m’faites confiance ou vous m’faites pas confiance ?
La France de Descartes est le pays où l’on peut douter de tout, sauf de la religion de son roi et de sa nourrice. Il est surtout interdit de douter de soi-même. Quand on est tout en haut, on se doit de se prendre au sérieux. Parmi les propositions de scénarios pour sauver la face de Bird, celui de l’auto-dérision ne fait clairement pas l’unanimité.
Il reste des ébénistes du sens. Allez vous rouler dans la fange de l’auto-dérision si cela vous excite, vous en avez déjà l’odeur…
On ne rigole pas en France. Pas à ce niveau là en tout cas. L’heure est grave.
Un putsch est possible d’un instant à l’autre. (…) Nous dansons aujourd’hui sur un putain de gruyère. Si Bird saute, la France s’effondre littéralement.
Le pays a besoin d’un chef qui n’a pas peur de montrer son vrai visage, pas d’un robot comme Pithiviers qui a tout prévu et qui finit par dire n’importe quoi.
À présent, je voudrais ouvrir une parenthèse : Il est clair qu’on va pas tout s’en sortir. On va donc appliquer une politique de sacrifice. C’est pourquoi par économie, je ne refermerai pas cette parenthèse.
En France, on veut avant tout quelqu’un qui agisse dans un sursaut de fierté. Quelqu’un qui sache dire non aux Américains, avec panache. En quelque sorte, c’est ce que fait Bird à travers son coup de folie quand il s’en prend aux banques. Il prend tout le monde à contre-pied. Bravo.
Nous au moins, on aura tenté quelque chose.
Tout juste coco! Il a tout compris.
On dit que la chance sourit aux audacieux. Au pied du mur, Bird a parlé. Sans calcul ni oreillette (cf Le discours d’un roi). Il n’y était pas habitué. Les Français le respectent pour cela.
J’avais peur que vous m’en vouliez d’avoir pris une initiative perso…
Tout est pardonné Président.
Pendant un instant, il n’a pas réfléchi à sa côte de popularité. Il n’a pensé à rien. C’est l’honneur qui a parlé. Bird a trouvé les mots. À l’orgueil.
Chez les Grecs, l’hybris est un pêché (cf Le Choc des Titans). En France, c’est un moteur.