EO
Jerzy Skolimowski, 2022
LE COMMENTAIRE
Aux animaux de compagnie on confère une personnalité, jusqu’à les enterrer à nos côtés (cf Simetierre). Parce qu’ils font pratiquement partie de notre famille. Pour les autres, ils font plutôt partie du décor, la plupart du temps. Invisibles jusqu’à ce qu’ils deviennent une espèce en voie de disparition. Preuve qu’on ne fait pas attention à eux. Pas assez en tout cas.
LE PITCH
Les tribulations d’un âne en Pologne.
LE RÉSUMÉ
EO est l’âne gris de Kasandra (Sandra Drzymalska), une artiste de cirque. Tous les deux ont un numéro ensemble. Elle en prend soin, plus que Vasyl qui s’en sert pour aller à la déchèterie.
Le cirque est la cible d’activistes qui protestent contre l’utilisation qui est faite des animaux. Le patron doit essuyer quelques insultes.
Ne restons pas indifférents! Ces animaux sont torturés!
Surtout, il ne peut rien contre les huissiers venus saisir ses bêtes pour défaut de paiement.
C’est la loi sur les faillites. Article 4 paragraphe 28.
EO est séparé de Kasandra qui souffre de le voir partir. On dirait qu’une larme coule le long de son oeil. Il brait dans le camion. Kasandra le regarde s’éloigner avec beaucoup de tristesse.
EO rejoint une ferme inauguré en grandes pompes par des élus locaux.
Alors pour le bien commun, nous sommes fiers d’inaugurer ce projet.
Là-bas, il est entouré de chevaux qui le reniflent par curiosité. Il a l’air triste et refuse de manger ses carottes. Kasandra lui manque. Il se souvient de quand elle lui parlait et qu’elle le caressait. C’était le bon vieux temps. À présent, il se sent seul. Même les enfants qui découvrent les animaux de la ferme ne lui redonne pas d’entrain. Il les emmène en balade dans une forêt où l’on coupe des arbres pour construire des autoroutes.
Un soir, Kasandra lui rend visite. Ses oreilles frémissent d’excitation.
J’ai une surprise pour toi. Joyeux anniversaire EO. Que tes rêves soient exaucés. Sois heureux.
Comment ne pas être heureux quand Kasandra lui donne ses muffins aux carottes préférés ? Un moment de bonheur trop court. Kasandra doit déjà repartir. Son petit ami lui fait du chantage.
Sois tu viens avec moi, soit tu restes avec cet âne.
… Il faut que j’y aille.
Elle part en pleurant.
EO fait tomber la barrière et s’enfuit. Il manque de se faire percuter par une voiture en pleine nuit. Les bruits nocturnes de la forêt l’inquiètent : les chouettes, les loups, les chasseurs…
Il finit sa longue échappée dans la ville de Zryw où il est récupéré par des pompiers puis attaché vers un terrain de foot où se joue un derby local. Un supporter le détache. Attiré par le bruit, il s’approche du terrain. Apparemment, un joueur semble distrait par sa présence et rate un penalty, donnant la victoire à l’équipe adverse et provoquant une émeute.
Quelques heures plus tard, les hooligans vaincus font une descente pour tabasser ceux d’en face. Ils en profitent pour battre EO qui termine en mauvais état chez le vétérinaire.
Il a trois sabots au ciel, vaudrait mieux l’euthanasier. Pourquoi le laisser souffrir?
EO survit à ses blessures. Un exploitant l’emploie, après quoi il est revendu parmi un lot d’animaux. Le chauffeur du camion à bestiau (Mateusz Kościukiewicz) se fait trancher la gorge sur une aire d’autoroute.
Un jeune prêtre italien (Lorenzo Zurzolo) l’aperçoit et l’emporte avec lui.
Tu veux venir chez moi ? Ça fait des années que je ne suis pas rentré chez moi. Tu veux bien me tenir compagnie ?
De retour à la maison, l’homme de foi se dispute avec sa mère. La comtesse (Isabelle Huppert) lui reproche de jouer à des jeux d’argent. Pendant qu’ils se disputent, EO remarque que la porte de l’enclos est ouverte.
Son chemin le conduit sur un barrage où il regarde les chutes d’eau.
Sans comprendre pourquoi, il se retrouve au milieu d’un troupeau de vaches qui se dirigent lentement vers l’abattoir. Il n’a pas vraiment envie d’y aller mais on le presse. Jusqu’à ce qu’il entende le bruit du pistolet à air comprimé (cf Okja).
L’EXPLICATION
EO, c’est un destin curieusement similaire au nôtre.
À un moment où tout le monde s’excite sur le rapport entre l’humanité et l’intelligence artificielle (cf Mondwest), il serait bon de se reposer la question du lien qui nous unit avec les animaux.
Même un philosophe comme Kant, qui n’avait pourtant pas une grande estime pour les bêtes, a soutenu que l’humanité avait un devoir indirect envers les animaux. Il s’agissait pour lui d’une question de morale entre l’homme et lui-même.
Plus tard, Bentham a mis tout le monde dans le même sac de l’utilitarisme : Les animaux étant des êtes sensibles, au même titre que les humains. Ses réflexions ont conduit Tom Regan et Peter Singer à aller plus loin encore, en examinant les droits des animaux. Il ne s’agit pas de les traiter comme de simples ressources.
Qu’est-ce que l’on peut apprendre d’EO ?
Un animal qui n’a pas le capital sympathie d’un chat, d’un chien (cf Le Teckel), d’un cheval ou d’un dauphin (cf Le Grand Bleu). Il n’est pas menaçant comme un requin blanc (cf Les Dents de la Mer) ou comme un ours (cf L’Ours, Grizzly Man). Du strict point de vue de l’affect, l’âne est complètement neutre. Si l’on ne nie pas qu’il puisse avoir des pulsions, on ne l’imagine pas vraiment ressentir des émotions.
Ne lui fais pas peur, c’est juste un âne!
Et si l’âne, quand il dort, pouvait faire des rêves ?
S’il pouvait être content d’être avec Katarina ?
Alors on pourrait imaginer qu’il puisse être également triste de ne plus la voir, au point de perdre l’appétit. Ce ne serait pas ridicule.
Pas forcément besoin de ronronner ou bouger la queue dans tous les sens pour exprimer son état du moment. Peut-être qu’EO est discret, tout simplement.
Si discret qu’on pourrait l’accuser de tous les maux, comme un bouc émissaire.
C’est la faute de l’âne!
Lui aussi pourrait avoir des envies d’aller voir ailleurs. L’herbe est aussi plus verte en face pour lui.
Il se fait passer à tabac, et survit (cf Rocky).
Terrifié par l’obscurité et les bruits de la nuit.
Il pourrait se perdre dans une petite ville, en Pologne ce serait facile. Ou faire de belles rencontres inattendues, comme avec ce prêtre sur le chemin du retour.
J’espère que tu n’es pas un criminel. On ne voyagera pas en business class.
EO est témoin de la curiosité des enfants, de la violence des hommes, et de la tendresse d’une femme. Ni héros, ni lâche. Poète à sa manière, il reste en admiration devant une chute d’eau. S’il pouvait écrire, il aurait sans doute autant de belles choses à raconter que n’importe qui.
Il se fait rattraper par la patrouille.
Poussé vers la sortie, seul dans la foule.
Un peu comme tout le monde.