THÉORÈME
Pier Paolo Pasolini, 1968
LE COMMENTAIRE
Les femmes sont remarquables. Elles donnent la vie (cf Mother!). Travaillent dur, pour moins cher. Dépassent l’injustice et le harcèlement. Encore aujourd’hui, on ignore si elles vont aux toilettes. Personne n’a de preuve. Et puis elles disparaissent, magnifiques, dans un masque à l’argile, non sans écraser quelques larmes qui viendront fertiliser leurs chrysanthèmes. Elles sont créatrices, mystérieuses, altruistes et eco-friendly.
LE PITCH
Un inconnu rend visite à une famille de bourgeois Milanais.
LE RÉSUMÉ
Devant une usine de Lombardie, un journaliste interroge les ouvriers dont le patron vient de leur donner les clés.
Un inconnu (Terence Stamp) est annoncé par un facteur (Ninetto Davoli) euphorique. Emilia (Laura Betti) la servante qui ramasse les feuilles dehors ne peut pas s’empêcher de le regarder. Elle ne peut même pas s’empêcher de lui enlever les cendres de sa cigarette, tombées sur sa cuisse. Son désir est trop fort.
Elle fonce à la cuisine pour se suicider au gaz. L’inconnu lui vient en aide et la porte dans sa chambre ou comme hypnotisée, elle remonte sa jupe sans rien dire devant cet homme mystérieux.
L’inconnu partage la chambre du fils Pietro (Andrés José Cruz Soublette) de la famille. Tous les deux se couchent. Le jeune homme semble intimidé. Au beau milieu de la nuit, il se lève pour regarder son voisin de chambre. Lorsqu’il est découvert, il retourne dans son lit et fond en larmes, implorant l’inconnu de l’excuser. Au lieu de cela, l’inconnu s’introduit dans son lit pour une nuit câline.
C’est ensuite au tour de la maîtresse de maison Lucia (Silvana Mangano) de se mettre à nu sur le perron tandis que l’inconnu batifole avec un chien. Il semble d’abord gêné de la découvrir ainsi. Puis elle l’invite à la rejoindre.
L’inconnu se rapproche aussi furieusement de la fille Odetta (Anne Wiazemsky) qui oublie ses beaux principes pour pouvoir partager un peu d’intimité avec ce bel invité qui la dépucèle véritablement.
Avant je ne connaissais rien des hommes.
Il s’occupe enfin avec tendresse du père Paolo (Massimo Girotti), tombé malade, en lui faisant la lecture.
Puis il s’en va. Avec son départ soudain s’ouvre un gouffre abyssal.
Je ne me reconnais plus. Ce qui me faisait l’égal des autres n’existe plus. Tu m’as soustrait à l’ordre naturel des choses. Je ne m’en suis pas rendu compte lors de ton séjour, je m’en rends compte lors de ton départ. En te perdant je prends conscience de ma diversité. Faut-il toucher le fond de cette diversité que tu m’as fait découvrir et qui est ma vraie nature angoissée ?
Emilia quitte la maison pour retourner dans son village où elle fait des miracles avant de se faire enterrer vivante – à sa demande.
N’aie pas peur. Je ne viens pas ici pour mourir mais pour pleurer. Mes larmes ne sont pas des larmes de douleur. Elles formeront une source qui ne sera pas une source de douleur.
Odetta épluche les photos qu’elle avait prise de l’invité. Inconsolable, elle plonge dans un état catatonique. Pietro s’abandonne dans l’experimentation artistique. Lucia s’abandonne à de jeunes et vigoureux jeunes hommes. Paolo, le chef d’entreprise, est en chantiers (cf El buen patron).
Tu as détruit l’idée que je me faisais de moi même.
Il se déshabille dans son usine puis marche nu sur les cendres volcaniques de l’Etna. Criant de désespoir.
L’EXPLICATION
Théorème, c’est comment te dire adieu.
Un théorème est une proposition qui peut être démontrée par un raisonnement logique à partir de faits donnés ou d’hypothèses justifiables.
La démonstration qui est faite ici est que la bourgeoisie n’a aucune profondeur de champs. Elle manque tellement d’identité que lorsqu’un seul être lui manque, on connait la suite.
Si ces bourgeois·es se sentent tous perdu·es dès que cet inconnu s’en va, leur sens de la dramaturgie ne disparait pas. Comme Lucia renverse les rôles dans un mécanisme de prostitution aussi pervers que complexe :
Je n’a jamais eu d’intérêt pour rien. J’ignore comment j’ai pu supporter un tel vide. S’il existait quelque chose, c’était l’amour instinctif d’une vie stérile, comme un jardin où personne ne passe. Ce vide était en fait plein de valeurs erronées et d’un horrible fouillis d’idées fausses. Ton départ ne détruit rien de ce qui était en moi sauf une réputation de bourgeoise chaste.
Paolo finit tout nu sur un volcan. Emilia qui était invisible et muette part faire des miracles dans son village avant de finir en larmes, sous terre. Odetta n’a plus goût à rien. Et Pietro se perd dans ses hésitations, frisant le n’importe quoi.
Il ne faut pas qu’on croie à l’acte d’un incapable, d’un impuissant. Ce choix doit paraitre sûr. Nul ne doit se douter qu’un signe est réussi par hasard. ‘Par hasard’ c’est horrible. Lorsqu’un signe est réussi par miracle, il faut immédiatement le garder, le conserver. Personne ne doit s’en apercevoir. l’auteur est un idiot frissonnant, aussi mesquin que médiocre. Il vit dans le hasard et dans le risque, déshonoré comme un enfant. Sa vie se réduit à la mélancolie et au ridicule d’un être qui survit dans l’impression d’avoir perdu quelque chose pour toujours.
Ils n’arrivent pas à se résoudre à la voir partir car il leur a ouvert les yeux sur le vide de leur existence. Il part froidement, avec un coeur de pyrex. Et tout le monde fragile s’embrase avec un coeur de silex.
À son départ, plutôt que de se remettre en question, ils sont détruits. Odetta est à l’arrêt. Paolo fait un burn out. Lucia fait l’escort (cf The Girlfriend experience). Pietro pisse sur ses toiles.
Et surtout ils se posent les mauvaises questions :
Comment te remplacer ?
Il ne faut pas le remplacer. Plutôt apprendre à vivre sans lui ou en dehors de lui. Profiter de son passage pour s’interroger sur soi-même et évoluer.
Qui est donc cet anonyme qui les retournés à ce point ?
Who is this boy ?
La personne providentielle, celle sans qui plus rien n’existe. Il pourrait être Jésus après la mort duquel les Chrétiens passent toujours leur vie à porter leur croix par culpabilité. Mahomet après la mort duquel les Musulmans ne se permettent toujours pas de toucher à une rondelle de saucisson. Mitterrand qui a coulé la gauche avant de la laisser courir comme un poulet sans tête.
Et cette bourgeoisie, pourtant classe dominante de la société, prend des allures d’avion sans ailes assez pathétique.
L’hypothèse d’Emmanuel Macron (cf le casse du siècle) selon laquelle la Démocratie serait orpheline de son Roi se vérifie. Encore un homme providentiel.
J’aime beaucoup votre blog. Un plaisir de venir flâner sur vos pages. Une belle découverte. blog très intéressant. Je reviendrai. N’hésitez pas à visiter mon univers. Au plaisir
Merci, vous êtes un ange.