THE POWER OF THE DOG
Jane Campion, 2021
LE COMMENTAIRE
Face aux vents contraires, les femmes doivent être fortes. Les hommes passent dans leur vie comme des étoiles filantes puis s’en vont pour ne plus jamais revenir (cf Mad Max, Locke). Elles se retrouvent seules avec leurs larmes.
LE PITCH
Une femme et son fils s’installent au ranch de deux frères.
LE RÉSUMÉ
Phil (Benedict Cumberbacht) et George Burbank (Jesse Plemons) sont deux frères solitaires à la personnalité opposée. Le premier est un mâle alpha redouté tandis que le second est beaucoup plus effacé.
George se rapproche de Rose Gordon (Kirsten Dunst), veuve et mère du jeune Peter (Kodi Smit-McPhee). Il lui propose de le rejoindre au ranch. Sa présence le soulage.
I want to say how nice it is not to be alone.
Phil voit tout cela d’un mauvais oeil. Il tyrannise Rose qu’il soupçonne être vénale ainsi que son fils à qui il reproche d’être trop efféminé. Par ailleurs, les parents de George sont très mesurés. Dans cet environnement hostile, Rose se met à boire et tombe rapidement malade.
Peter surprend Phil se masturbant sur une etoffe de son mentor, et découvre la cachette où le cow-boy planque des revues masculines. Suite à cette rencontre embarrassante, Phil décide de prendre le garçon sous son aile.
Peter, we kind of got off on the wrong foot.
Au tour de Rose de ne pas voir ce rapprochement d’un bon oeil.
I don’t want to be with Phil at all!
Pourtant, c’est bien grâce à Phil que Peter apprend à monter à cheval. Preuve d’affection, le cow-boy souhaite même lui tresser un lasso.
I’m going to finish this rope and give it to you and teach you how to use it. Sort of a lonesome place out here unless you get in the swing of things.
L’état de Rose se dégrade. George découvre son problème d’alcoolisme. Sous l’emprise de la bouteille, elle a offert à des Amérindiens les peaux de bête que Phil gardait précieusement et avec lesquelles il comptait finir le lasso de Peter. Il enrage.
Le jeune homme procure un peu de peau d’une vache morte de la maladie du charbon. Il l’offre à Phil pour qu’il termine son lasso, tout en sachant que le cow-boy s’est fait une entaille à la main qui risque de s’infecter. Tous les deux partagent une cigarette et évoquent la relation intime que Phil entretenait avec Bronco Henry. Un homme qui était visiblement plus que son mentor (cf Le Secret de Brokeback Mountain).
Bronco Henry told me that a man was made by patience and the odds against him.
Le lendemain matin, Phil tombe gravement malade. Il meurt quelques jours plus tard.
Peter lit un livre de prières. Un psaume retient son attention.
Deliver my soul from the sword, my darling from the power of the dog.
Depuis sa fenêtre, il aperçoit George prendre sa mère dans ses bras. Elle est de retour à la maison. Sobre et de nouveau heureuse.
L’EXPLICATION
The Power of the Dog, c’est une mère qui peut compter sur son fils.
Une femme connaît nombre de difficultés avant de devenir mère. Elle doit d’abord traverser ses jeunes années en évitant les prédateurs sexuels (cf Les Chatouilles, Mustang) ou en espérant qu’un imbécile ne ruine pas sa réputation (cf Carrie, The Virgin Suicides, Je ne suis pas une salope).
Après quoi, la société la contraint à abandonner son statut de femme pour devenir mère (cf Mother!), quand on ne lui force pas la main (cf Rosemary’s Baby).
Ses sacrifices ne s’arrêtent pas là, car la mère doit parfois accepter de se mettre en retrait pour l’épanouissement de son fils (cf Kramer contre Kramer). Cas extrême, son fils est un monstre mais reste son fils malgré tout (cf We need to talk about Kevin).
Un fils qui finit souvent par l’abandonner.
Pas toujours.
En l’occurrence, Peter est le chevalier servant de Rose. Il ne va pas la laisser seule dans cette nouvelle vie qui l’attend au ranch.
Peter est un garçon sensible qui fabrique des fleurs en papier délicates pour faire plaisir à sa mère. Il est aussi un garçon scientifique qui capture les lapins pour les disséquer.
Alors que Phil, pourtant éduqué, se cache derrière sa brutalité. Il piétine tout ce qui ressemble à un sentiment. Par exemple, il se moque ouvertement de Peter et sert de ses fleurs en papier pour allumer des cigarettes. Crime de lèse-majesté.
Phil est aussi celui qui transforme la vie de Rose en rodéo. Il ne fait rien pour faciliter son intégration. Au contraire, il fait même clairement comprendre à Rose qu’elle n’y arrivera pas tant qu’il sera au ranch. Elle sent constamment la présence de son ennemi dans son dos. Il devient la cause de son alcoolisme. Elle a besoin d’aide.
Heureusement que Rose a fait de son fils un garçon dévoué, qui sait renvoyer l’ascenseur quand c’est nécessaire (cf 20th Century Women, Blessures secrètes). Il rejoint sa mère en enfer pour affronter le dragon – sans avoir l’étoffe d’un super héros.
Les propos de Phil continuent d’écorcher les oreilles de Peter.
Don’t let you mum make a sissy out of you!
Phil cherche à casser le lien qui existe entre la mère et son fils.
Where’d be a man if he always did what his mother told him?
Il veut éclairer Peter sur cette mère fragile en dénonçant son alcoolisme. Rose boit et fait n’importe quoi puisqu’elle offre des peaux à n’importe qui. Il est temps de réagir.
Wake the hell up!
Cependant, Peter reste plus que jamais fidèle à sa mère en pleine dérive, qui lui lance un appel de détresse.
We’re not unreachable.
En parallèle, Phil cherche à influencer Peter en lui offrant sa confiance. Il gagne le respect de la meute. Monte à cheval. Une liberté se profile, séduisante.
Let him out!
Auprès de Phil, un bel avenir de cow-boy tend les bras à Peter.
(…) Things will work out for you.
Peter n’en veut pas, il veut devenir chirurgien. Au ranch, il est en mission de sauvetage. Il se définit comme homme à travers la relation à sa mère.
When my father passed, I wanted nothing more than my mother’s happiness. For what kind of man would I be if I did not help my mother? If I did not save her?
Avec malice, il perce le secret de Phil pour mieux s’en débarrasser. En se rapprochant du cow-boy, il réussit à l’attendrir pour lui faire baisser la garde. Phil ne fait plus attention. Tous les deux fument le calumet de la paix. Le cow-boy accepte le cadeau empoisonné de Peter. Une fois disparu, tout peut rentrer dans l’ordre. Peter a libéré sa mère du pouvoir du chien (cf Le Chateau de ma Mère).
Rose n’a plus de raison de boire.
Elle est heureuse avec George.
Son ange gardien est là pour veiller sur elle.
Il y a un truc qui m’a vraiment gêné avec ce film, c’est l’impression de n’avoir pas eu toutes les clefs en main pour le comprendre lors du visionnage. Depuis, je suis en train de lire le bouquin de Savage, et j’ai vraiment l’impression que Campion a omis de nous parler de certains points importants pour saisir les relations complexes entre les personnages. (Ou alors, c’est moi qui n’ait pas été attentif. ^^)
Par exemple, dans le début du roman : Phil Burbank est responsable du suicide de Johnny, le père de Peter. La famille Johnny-Rose-Peter s’était installée à la campagne avec plein de rêves et d’illusions et ne s’était jamais faite à la vie sauvage. Le commerce familial a périclité, et ils sont devenus la risée du coin.
Un jour, Johnny s’est rendu au bistrot pour expliquer aux cowboys qu’il fallait être plus malin que son environnement, et avait donné comme exemple les fleurs en papier réalisées par son fils, qui permettaient d’embellir la ville, malgré le climat difficile rendant impossible la culture des fleurs normales. Tout le monde a ri de lui. Johnny était complètement ivre et Phil, au bistrot avec ses gars, lui a donné une petite leçon de latin-grec, histoire de bien l’humilier et qu’il dégage.
Phil déteste les ivrognes, qui sont pour lui un symbole d’oisiveté et de vice, dans son monde où seule la valeur travail compte.
Suite à ça, les deux hommes en sont venus aux mains. Johnny s’est pris une branlée par Phil, et Peter aurait été témoin de la défaite de son père, qui est ensuite tombé dans une lourde période dépressive, ne supportant pas « la vérité » exposée par Phil sur lui et sa famille.
Un peu plus tard, Johnny expliquait à son fils qu’il fallait être fort et bienveillant, et que la bienveillance, c’était « écarter les obstacles de la route de ceux qu’on aime ». Puis il s’est pendu, appliquant à lui-même son précepte, considérant qu’il était devenu un obstacle pour sa femme Rose.
Peter s’est mis à veiller sur sa mère, se substituant à son père. Rose, très sensible, n’arrêtait pas de pleurer. Peter, tout en assurant le service du restaurant, était aussi celui qui s’occupait de tuer les animaux en les décapitant, avant qu’elle ne les cuisine… Il faisait tout le sale boulot pour protéger sa mère. Un chevalier servant, comme tu dis.
C’est dans ce contexte là que Phil s’est ensuite pointé au restaurant avec son frère, et a brûlé les fleurs en papier. (ça, c’est un rajout intéressant du film. Dans le bouquin, il se moque du gosse à ce propos, mais ne les brûle pas, sauf erreur.)
J’en suis qu’à 25% du bouquin (là où le film commence), mais je trouve déjà que l’histoire sonne différemment. Phil n’est plus un personnage « macho », il ne s’en prend pas gratuitement à Rose ou à Peter. Le conflit tourne davantage autour de la question des « natifs » par rapport aux « immigrés » et des « travailleurs » par rapport aux « oisifs » que de la fameuse masculinité toxique mise en exergue dans le film (et à peu près dans chaque interview promotionnelle depuis sa projection à Venise…).
Et Peter ne s’en prend pas non plus gratuitement à Phil, par la suite. Il ne fait que mettre en application ce que lui a demandé son père avant de mourir. J’ai l’impression que dès le départ, Peter avait l’intention de tuer Phil. L’indication que Phil est le seul cowboy du coin à ne pas porter de gants est donné dans les toutes premières pages du roman, or, je ne me souviens pas que ça ait été vraiment mis en valeur dans le film. Peter savait donc dès le départ qu’une porte lui était ouverte, du fait de l’orgueil de Phil le travailleur qui refuse de porter des gants comme les autres.
On peut aussi mieux comprendre la haine de Phil pour Rose, lorsqu’il se rend compte qu’elle a revendu ses peaux pour… des gants. (Même si tout ne se passe pas exactement comme ça, et que c’est presque davantage un mauvais tour du destin.)
A côté de ça, Phil considère peu à peu Peter comme son jeune double. Phil, plus jeune, lui ressemblait beaucoup. Peter n’est pas un illettré, comme la plupart des gens du coin. Peter voit aussi « le chien » dans les montagnes. Phil pense peut-être pouvoir devenir le Bronco Henry de Peter et se livrer à son éducation professionnelle/sexuelle, d’autant qu’ils semblent avoir les mêmes inclinaisons à ce sujet ?
Ça me perturbe, tout ça. ^^ J’en saurai plus quand je serai arrivé au bout du livre. Et puis je regarderai le film à nouveau.
Le terme « revues porno gay » est un peu fort. Il s’agit de publications « soft » présentant avant tout des photos d’athlètes peu vêtus, certes, mais dont le sexe est pudiquement caché. C’étaient des publications vantant les vertus du sport et de la culture physique, mais suffisamment ambiguës pour intéresser un lectorat homosexuel. Mais rien de « porno », assurément. ;o)
Merci pour ce commentaire! C’est très juste, vous avez raison.
Heureusement que j’ai lu cette page et vos commentaires, sinon on aurait aisément pu dire que je n »avais absolument rien compris au film.
La lecture du livre est peut être un passage obligatoire ?!?!
Merci Sebv pour ce commentaire. Qu’en avez vous compris au final?
Votre point sur la lecture est intéressant. Selon moi, la lecture peut donner des clés de compréhension différentes ou complémentaires. Sachant qu’il faut garder en tête que l’oeuvre cinématographique tirée d’un roman n’est qu’une interprétation. On se souvient de la colère de Stephen King envers Stanley Kubrick à propos de Shining…
https://www.lefigaro.fr/cinema/2014/11/06/03002-20141106ARTFIG00114-stephen-king-assassine-the-shining-de-stanley-kubrick.php