TROP BELLE POUR TOI
Bertrand Blier, 1989
LE COMMENTAIRE
Un train peut en cacher un autre. C’est pourquoi la prudence est recommandée aux automobilistes. La menace est partout. Le plus beau des TGV peut en effet cacher une micheline a priori inoffensive, mais dont le tonnage pourrait suffire à écraser n’importe quelle voiture.
LE PITCH
Des amant·es se livrent ouvertement sur leurs doutes et leurs désirs.
LE RÉSUMÉ
Colette Chevassu (Josiane Balasko) débarque dans le bureau et la vie de Bernard Barthélémy (Gérard Depardieu). Immédiatement, la patron du garage se sent attiré par son assistante (cf El Buen Patron). À tel point qu’il a du mal à ne pas penser à elle tout le temps.
C’est vrai qu’elle est sympa. ‘Belle’ c’est peut-être pas le mot.
‘Belle’ est plutôt un adjectif qu’on se permettait d’utiliser à l’époque pour qualifier Florence Barthélémy (Carole Bouquet), la femme de Bernard. Une ‘belle femme’, selon les critères de beauté en vigueur. En l’occurrence, Florence sent que quelque chose ne va pas. Son mari a la tête ailleurs.
Après s’être tournés autour, Bernard et Colette passent finalement à l’acte. Non pas parce qu’ils ne devraient le faire, mais tout simplement parce qu’ils ont envie de le faire. Et qu’ils peuvent le faire.
Ça se fait pas ces choses là. Et si tout d’un coup, ça se faisait ? Ça dérangerait quelqu’un ?
Bernard et Colette s’interrogent sur leur passion. Pourquoi cet homme qui a tout pour être heureux a priori, éprouve-t-il le besoin d’aller voir ailleurs? Un ailleurs où il n’a strictement aucune raison d’aller puisque Colette est considérée plus ‘ordinaire’. Une femme que l’on ne remarque pas. Elle-même ne comprend pas.
Qu’est-ce que tu peux bien me trouver ?
Florence comprend que son mari a une aventure avec son assistante. Elle crie à l’injustice et souhaite renverser les rôles.
Si on faisait le contraire : si c’était elle ta femme et moi ta maîtresse ?
Bernard ne comprend pas plus ce qu’il se passe. Il se sent oppressé par la perfection de son couple. Un beau pavillon. Des enfants bien élevés, qui écoutent du Schubert. Une femme impeccable.
À quoi veux tu rêver quand tu vis avec une telle merveille ? T’as tout. Qu’est-ce qui te reste à espérer? Rien. Mourir.
Je peux tout de même pas me transformer en boudin !
Le garagiste a besoin d’air.
Le fait que Bernard cherche du réconfort auprès d’une femme plus accessible pose quand même question dans une société régie par la pensée verticale. Florence aurait pu accepter de se faire tromper pour quelqu’un de mieux qu’elle. Dans le cas de Colette, elle ne comprend pas. C’est un désaveu. Elle se charge de le faire savoir à son mari.
Indigne de moi, indigne de toi, indigne de nous!
Le couple Barthélémy tangue et déballe ses problèmes lors d’un diner entre amis. Que cet homme trompe sa femme n’est pas un problème en soi. Qu’il la trompe avec une femme avec laquelle il n’aurait aucune raison de le faire est clairement un sujet. Geneviève (Myriam Boyer) partage son trouble :
On était des amis, on gagnait plein de pognon. L’hiver on faisait du ski, l’été un peu de bateau. Et maintenant, qu’est-ce qu’il nous reste ?
Bernard commence à mélanger plaisir et sentiments. Peut-être est-il en train de tomber amoureux ?
Pourquoi soudain celle là qui n’a rien pour plaire, pourquoi elle nous chavire ?
Colette lui rappelle la nature de leur relation.
Mais non, tu m’aimes pas. Tu me baises.
Les scrupules rongent Bernard par les deux bouts.
Je suis lâche…
Sa femme et sa maitresse le plaquent simultanément. L’une s’est tirée pour de bon. Tandis que l’autre lui a piqué son manteau. Il ne reste plus qu’à cet imbécile une mélodie dramatique qui n’est pas vraiment à son goût.
Il fait chier votre Schubert!
L’EXPLICATION
Trop belle pour toi, ce sont deux femmes qui s’affranchissent des conventions (cf Thelma et Louise).
Fraichement sorti de la jungle depuis à peine quelques milliers d’années, le monde civilisé s’était bien fait à ses conventions. Cependant nombre d’entre elles étaient, il est temps de le reconnaître, relativement contraignantes à l’égard des femmes. Reléguée au statut d’objet, la femme était le plus souvent exploitée (cf La Bonne Épouse), voire carrément abusée (cf Promotion Canapé).
Ainsi Florence hérite sans rien demander du titre honorifique de ‘belle femme’. Quelle chance! Cependant cette dénomination a également quelques conséquences puisqu’elle sous-entend que Florence doit se comporter comme une sorte de femme parfaite, avec pudeur.
La pudeur est essentiel si tu veux être une femme.
Florence incarne l’image de la femme vertueuse. Ce qui ne reflète pas forcément sa véritable personnalité qui comporte évidemment quelques charmantes imperfections (cf Marilyn, Spencer). Si seulement elle pouvait parler de ses fantasmes (cf Portrait de la jeune fille en feu, Curiosa)…
Qu’est ce que tu vas nous dire ?
Tout.
T’es sûre que c’est vraiment utile ?
Posez moi vos questions. Toutes les questions que vous vous posez à mon sujet.
À propos de quoi…?
Certains s’en décrocheraient sans doute la mâchoire. Car Florence n’a pas toujours envie d’employer le vocabulaire policé qu’on prête aux femmes de son rang.
J’suis comme les putes, j’ai pas peur des odeurs!
De son côté, Colette est la femme avec laquelle l’homme a envie de s’amuser. Passer du bon temps, sans être vue en sa compagnie.
C’est pas moi, c’est mon cul. Il répond plus aux ordres.
Ces deux femmes sont prisonnières de conventions étouffantes, qui peuvent être jouissive si on les contourne. Le problème vient que Bernard est le seul à en profiter. Il est le seul à pouvoir faire des conneries.
C’est ce qu’il y a de plus beau dans la vie les conneries.
S’il fait mine de s’interroger de manière pseudo-romantique, il n’en reste pas moins un tyran.
Pourquoi soudain celle là qui n’a rien pour plaire, pourquoi elle nous chavire?
Nous, les hommes comme le vantait une publicité pour du déodorant à la gloire du mâle tout puissant.
Car Bernard a le beau rôle. Il n’est responsable de rien, en aucune façon (cf La Nuit du 12).
Je trompe ma femme, c’est son affaire.
Pourtant, c’est bien lui qui décide de tout.
Une femme n’a pas besoin d’être belle pour être une femme. Il suffit qu’elle soit une femme.
Merci Bernard.
Cet homme a le beurre et l’argent du beurre : Florence lui prépare à manger le soir pendant Colette, son esclave sexuelle, le retrouve dans sa chambre d’hôtel quand bon lui semble. La belle vie.
Les femmes sont à sa disposition, bien qu’elles ne soient pas épanouies dans cette situation. Florence souffre au quotidien. Sans parler de Colette…
L’essentiel dans la vie, c’est de continuer à vivre.
Ce que pensent les femmes, les hommes s’en moquent pas mal. Qui se soucie des états d’âme de Colette ? À quoi bon (cf Le procès du 36)?
De toute façon, elle en sucera un autre. Te fais pas de bile pour elle!
Jusqu’à ce que Florence et Colette se retrouvent pour décider qu’elles ne veulent plus jouer ce jeu. Elles changent les règles en s’en allant (cf Gazon Maudit).
Le cauchemar est fini.
Bernard reste seul, la queue à l’air. Sans comprendre ce qui lui arrive. Il était trop con pour elles. Tout ce qu’il trouve à dire est de critiquer Schubert.
Heureusement que le XXe siècle est derrière nous!