NOUS NE VIEILLIRONS PAS ENSEMBLE
Maurice Pialat, 1972
LE COMMENTAIRE
Les hommes n’aiment rien autant que de pouvoir tracer leur route (cf Mad Max). Tourner à gauche ou à droite s’ils le souhaitent, parce que c’est leur bon plaisir. Avoir l’impression d’avoir le volant (cf Locke). Ils regardent vers l’avant. En tout cas, c’est ce qu’ils croient. Car ils ont quand même souvent la même personne dans leur rétroviseur.
LE PITCH
Un faux couple refuse de se rendre à l’évidence.
LE RÉSUMÉ
Jean (Jean Yanne) est marié avec Françoise (Macha Méril) qu’il ne voit presque pas. Il passe la plupart de son temps avec sa maitresse, la jeune Catherine (Marlène Jobert). Cela fait déjà plusieurs années. Suffisamment pour que les amants s’engueulent comme un vieux couple. Les reproches fusent.
Évidemment, tu t’en souviens même pas…
Jean monte parfois dans les tours, par exaspération.
T’es là, t’es molle et pis t’attends. (…) T’as jamais rien réussi et tu réussiras jamais rien! C’est tout. Et tu sais pourquoi ? Parce que t’es vulgaire! Non seulement t’es vulgaire mais t’es ordinaire en plus. Toute ta vie tu resteras une fille de concierge. (…) Quand j’pense que depuis que je te connais j’ai rencontré des filles formidables, j’aurais mieux fait de rester avec elles… (…) Je reste par pitié. Tu t’accroches à moi depuis six ans. (…) T’as aucune volonté, t’as aucun courage. (…) J’suis en train de gâcher ma vie avec toi. (…) Tu sens pas que j’en ai assez de toi? Tu sens pas que j’attends qu’une chose, c’est que tu te barres? Barre toi en Angleterre! Ça t’apprendra peut-être quelque chose!
Après son monologue, Jean rentre aussitôt à la niche en demandant pardon.
Catherine ne se laisse pas faire. Elle promulgue des menaces également.
Tu m’aimes plus?
Si… J’t’aime moins.
En face, Jean tremble au moindre coup de semonce.
Le couple se voit à Marseille où Jean a un tournage, puis en Camargue avec les parents de Catherine. Il la renvoie sèchement à Paris, puis retourne la voir.
Reste pas comme ça : tu restes ou tu t’en vas.
Le temps passe. Chaque dispute donne lieu à une petite surenchère.
J’ai toujours su que jamais je pourrais vivre avec toi.
Je vais m’tuer.
Et puis tout revient à la normale, dans un climat d’incertitude permanente digne des conversations de cours de récréation les plus tendues.
Tu sais comment j’suis quand j’suis malheureux. Si tu veux pas qu’j’t’embête, j’t’embêterai plus. Tu peux t’en aller. Je te reverrai plus…
Finalement, Jean se jette à l’eau et propose à Catherine de se fiancer.
Bon j’vais m’marier avec toi. Tu seras heureuse. J’travaillerai, j’changerai de vie, on aura des enfants.
Elle refuse.
Tu sais Jean, les enfants ça ne s’achète pas comme un paquet de café. Pis moi je ne veux plus vivre avec toi. Je le sais maintenant, je ne pourrais plus.
Jean ne comprend pas.
J’t’ai jamais aimée avant. Maintenant que je me rends compte que je t’aime tu t’en vas ??
Non seulement Catherine ne considère pas sa demande, mais elle part pour se marier avec un autre. Jean l’apprend par l’intermédiaire de ses beaux-parents, de ses amis et même par Françoise qui a mené l’enquête, ne supportant pas de voir son mari triste.
Il revoit Catherine pour une mise au point, et pour s’assurer que leur petite comédie va continuer malgré tout.
Pourquoi tu m’as rien dit ? Maintenant que je sais, je suis soulagé.
J’avais peur de toi tiens!
(…) Bon alors c’est fini ? (…) J’te r’verrai ?
Oui. On verra.
Au moins laisse moi t’écrire.
Ça servira à rien, ça fera plus de mal que de bien.
Ça m’f’ra du bien.
Si tu veux.
Tu m’répondras ?
J’te répondrai cette semaine, c’est promis.
L’EXPLICATION
Nous ne vieillirons pas ensemble, c’est un manège pénible et interminable.
On se lance dans le couple comme on part à l’aventure. Celles et ceux qui choisissent de se marier officialisent leur volonté que cette aventure ne puisse s’achever que dans la mort (cf Love Story), avec le divorce comme porte de sortie exceptionnelle (cf Marriage Story, Une Séparation, Domicile Conjugal, L’Amour en fuite).
C’est le choix qu’on fait Jean et Françoise : dépasser la lune de miel pour découvrir que la vie en couple se résume à tolérer les défauts de l’autre quand ses qualités ont disparu. Vieillir ensemble (cf Le Chat). Jean ne met plus aucune forme avec sa femme. Voici comment il l’accueille à son retour de Moscou où Françoise a reçu de nombreux compliments de la part des locaux:
Ils t’ont vu que trois fois, ils savent pas comment t’es chiante au bout de dix ans.
Cela donne envie…
C’est pourquoi les Français·es sont mondialement connu·es pour collectionner les histoires extra-conjugales : par volonté d’entretenir la flamme. Si elle s’éteint avec son ou sa partenaire, alors on la ravive ailleurs grâce à quelqu’un avec lequel ou laquelle on ne va pas précisément pas vieillir. Jean fréquente Catherine dans ce but : ne pas s’installer dans une routine pépère qui lui donne l’impression d’être mort avant même de reposer au cimetière.
Cette approche est néanmoins hypocrite car Jean ne fait que reproduire son schéma de couple blasé avec Catherine. Je t’aime moi non plus (cf La Boum, Twilight Chapitre 1).
Fous le camp! Si tu changes d’avis tu me rappelleras, j’suis ici toute la semaine.
Jean transforme cette relation adultérine supposée n’avoir que des avantages, en relation de couple alternative remplie d’inconvénients.
Ça fait six ans qu’on est ensemble. Quand on se quitte, c’est comme un divorce. Avec elle c’est comme si on était mari et femme non ?
En réalité, Jean est un pleutre qui ne peut pas quitter sa femme (cf Decision to leave) parce qu’elle s’est déjà barrée depuis longtemps et qui s’accroche à sa maîtresse comme un morpion.
Plus tard si on se revoit, tu voudras recoucher avec moi ?
J’voudrais pas tromper mon mari.
Nan mais si ça marchait pas entre vous…
Chais pas!
Lorsque Catherine l’abandonne, il refuse en s’appuyant sur des arguments qui ne tiennent pas de bout.
Après tout ce qu’il y a eu entre nous, c’est pas possible que ça soit fini.
Il a trouvé en sa maîtresse la parfaite pigeonne.
J’t’appelle pour te dire que c’est comme avant.
Tu veux qu’on se voit quand ? Ce soir ?
Jean fait partie de ces gens qui se mettent en couple par peur de la solitude. Ceux qui se lancent dans un manège pénible car ils n’ont rien d’autre à offrir qu’eux mêmes. Un manège interminable car ils n’ont aucun intérêt à ce qu’il s’arrête (cf Annie Hall).