L’AMOUR EN FUITE
François Truffaut, 1979
LE COMMENTAIRE
En 1996, l’homme violent a chanté l’homme pressé en dédicace aux lapins blancs qui font tourner l’économie mondiale. À peine le temps d’avaler un petit café qu’il faut sauter dans le métro, ou le RER, direction La Défense. Sans ces chevaliers des temps modernes, il n’y aurait tout simplement pas de vacances aux Maldives.
LE PITCH
Un homme espère enfin trouver celle qui va lui permettre d’arrêter de courir.
LE RÉSUMÉ
Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) fréquente Sabine Barnerias (Dorothée), mais pas complètement. Comme il a l’habitude de le faire. Il se défile en permanence. Christine (Claude Jade) doit lui rappeler qu’ils doivent se retrouver au tribunal (cf Marriage Story).
Doinel est désormais divorcé, ce qui le replonge dans ses souvenirs. Il repense à ses baisers volés échangés avec Christine Darbon puis aux crises du domicile conjugal qui ont fini par avoir raison de leur union de fortune.
Antoine recroise Colette (Marie-France Pisier) Gare de Lyon, par hasard, alors qu’elle espère prendre un train en compagnie de son petit ami Xavier Barnerias (Daniel Mesguich). Finalement c’est Doinel qui s’invite à sa place. D’autres souvenirs ressurgissent.
Tous les deux discutent des salades de l’amour, le roman autobiographique qu’a écrit Doinel. Colette ne se prive pas pour lui envoyer quelques piques car Doinel s’est permis quelques libertés avec l’histoire pour la tourner à son avantage.
C’est épatant, c’est très bien vu, très bien écrit. Simplement c’est faux.
Ils abordent le prochain livre de Doinel qui n’arrive pas à se débarrasser de ses démons.
J’ai peur de retomber dans les mêmes tristesses sentimentales.
Sabine se lasse et lui assène quelques vérités. On sent une pointe de mépris dans ses propos.
Vous avez vraiment une drôle d’idée du couple. On a l’impression que seul le moment des rencontres vous intéresse. On dirait que pour vous, l’aventure de la vie ça s’arrête dès que deux personnes sont réunies. (…) C’est trop facile de faire n’importe quoi et puis de s’excuser après. (…) On a vraiment l’impression que notre histoire d’autrefois ne vous a absolument rien appris, mais alors rien du tout! (…) Vous n’avez pas changé, vous êtes toujours aussi égoïste.
Doinel saute du train en marche pour essayer de retrouver Sabine.
Christine et Colette se retrouve sur le pas de sa porte et s’accorde sur le fait qu’il est temps pour elles d’avancer dans leur vie.
Ce salaud d’Antoine a réussi à me culpabiliser rétrospectivement.
Laisser Doinel se débrouiller. Peut-être que Sabine arrivera à le canaliser.
Je ne sais pas grand chose de la vie, mais il me semble que deux personnes qui s’aiment devraient tout partager ensemble. (…) On ne peut pas être sûr et certain qu’on s’embarque pour longtemps. Mais on peut faire comme-ci.
Désormais, il est devenu son problème.
L’EXPLICATION
L’amour en fuite, c’est rien ne sert de courir.
Si l’on considère que la vie s’apparente à une course, alors effectivement mieux vaut la jouer comme une tortue plutôt que comme un lièvre qui s’empresse de se rapprocher de l’ineluctable. Au contraire, la tortue prend un peu le temps de vivre. À quoi cela sert d’être ici, sinon ? Croire qu’on arrive le premier dans un Paradis hypothétique – après tous les autres ? Quel intérêt de se dépêcher constamment, sans profiter de rien.
C’est un peu le drame de Doinel qui court depuis qu’il est petit (cf les 400 coups). Il continue de courir, malgré Sabine qui essaie de le retenir (cf Nous ne vieillirons pas ensemble).
J’ai pas le temps, il faut que je me sauve.
Des hommes qui fuient leurs responsabilités, on en connait plein. Frank Abagnale (cf Arrête moi si tu peux) est un autre exemple. Il fraude en se faisant passer pour quelqu’un qu’il n’est pas, pour mieux se soustraire à l’ordre représenté par l’agent Carl Hanratty. Jusqu’au jour où il réalise que rien ne le retient véritablement. Personne ne lui court après. Il n’a donc plus de raison de s’enfuir.
En l’occurrence, Doinel reproduit le même schéma, comme le lui fait remarquer son collègue.
Tu fréquentes toujours le même genre de filles…
Il fréquente aussi les femmes de la même manière. Son approche est d’abord séduisante. Puis il se lasse de tout, et de tout le monde, assez vite. Doinel a probablement souffert d’un manque de considération de la part des figures d’autorité de sa jeunesse qu’étaient ses parents ou son instituteur. Il s’est dit qu’en disparaissant, ce serait sans doute une bonne manière d’attirer l’attention à lui.
Cette attention réconfortante qui lui a si souvent manqué. Il agit de cette manière car dans le fond, il ne s’intéresse guère qu’à lui (cf Tanguy). Pendant deux heures, il discute de lui et de son livre avec Colette. Rien sur elle. Aucune question. Ce qu’il appelle discrétion élémentaire pourrait être requalifié d’indifférence exemplaire – à juste titre.
Colette est la première à ne pas rentrer dans son jeu (cf Masculin Féminin). Ras le bol de ce cirque ridicule.
Il ne faut pas pousser les autres au désespoir quand on s’arrange soi-même avec la réalité. Et puis il ne faut pas faire semblant de détester la vie quand on tient à elle.
Doinel a besoin qu’on lui fasse comprendre que sa vie n’est pas un roman. Certainement pas le roman qu’il s’est fabriqué dans sa tête, dans lequel il est évidemment le héros, et où tout est à son avantage. Son attitude finit véritablement par épuiser celles qui s’étaient toujours montrées curieuses de lui comme Christine ou Colette. La vie est courte. Ces femmes ont passé l’âge de jouer les Alice au pays des merveilles.
Doinel risque de se retrouver véritablement seul cette fois-ci. Bien qu’il affirme ne pas craindre la solitude, la perspective de finir dans une impasse ne lui plait pas. Heureusement qu’il reste Sabine.
Elle est sa dernière chance. Une femme qui lui trouve encore un intérêt et qui a l’intelligence de ne pas vouloir lui passer la corde au cou.
L’amour, c’est le contraire de la prison.
Sabine trouve les mots qui rassurent. On n’est certain de rien dans la vie. Tout est une question de faire semblant. Tous les deux se font une promesse sans engagement, en se regardant les yeux dans les yeux, à travers un miroir.
Très beau. Très vrai.
Merci Tess.