GERRY
Gus Van Sant, 2002
LE COMMENTAIRE
Deux kilomètres à pieds, ça use. Pas besoin de le répéter deux fois. On a compris. On n’est ni débile, ni Scout de France. Ça use les souliers et ça use surtout la patience (cf The Mist). Pire que ces deux kilomètres de marche, c’est surtout l’abruti d’à côté qui chante cette chanson stupide qui use encore plus. La cohabitation, c’est dur. À la maison, au boulot, en vacances, dans le désert ou pendant qu’on fait ses courses. C’est dur. Partout. Tout le temps. Cela donnerait presque envie de marcher seul si ce n’était pas pour Jean-Jacques Goldman (cf Prince of Texas).
LE PITCH
Une amitié se perd dans le désert.
LE RÉSUMÉ
Gerry (Casey Affleck) et Gerry (Matt Damon) roulent à travers le désert et décident de se garer pour s’aventurer sur un sentier. Ils croisent des randonneurs. Les deux hommes ne sont pas sûrs de la direction, mais ils sont confiants.
Let’s go this way. Everything’s got to lead to the thing.
Après quelques bonnes heures de marche à refaire le monde puis à se courir après comme des cabris, les deux hommes décident de faire demi tour parce qu’il se fait tard.
Let’s go back!
Après plusieurs heures sans retrouver le parking, les Gerry se rendent à l’évidence: ils sont perdus. Plutôt que de paniquer, ils décident de faire un feu pour passer la nuit et reprendre des forces pour le lendemain. Sage décision.
Au petit matin, ils se remettent en route. Chacun décide de monter sur une montagne afin d’avoir un point de vue différent. Ils se séparent pour se donner rendez-vous quelques heures plus tard au même endroit.
À court de nourriture et d’eau, marqués par la fatigue, ils finissent logiquement par se disputer. L’un des deux est coincé en haut de son caillou.
How the fuck did you get up here?! Just jump! You’ll be alright, you’ll make it.
Le temps se couvre. Les deux hommes entament leur seconde nuit. Le lendemain, ils essaient de se refaire le film des événements en se rappelant les chemins qu’ils ont emprunté. Sans succès. Ils perdent leur lucidité, sont victimes d’hallucinations puis se disputent à nouveau.
Fuck you.
Ils reprennent leur route vers nulle part, en maintenant leur distance. Sans se parler. Avant de s’écrouler de fatigue. À bout de force, l’un des deux parvient à étrangler l’autre. Il se relève et dans un ultime effort, se remet à marcher. Il sera secouru par une voiture, la route n’étant finalement pas si loin.
Le visage brûlé par le soleil, il jette un dernier regard vers le désert cruel.
L’EXPLICATION
Gerry, c’est 1h40 de méditation.
Les deux Gerry font d’abord un long chemin en voiture. Parce que cela prend du temps avant de décider de rentrer en méditation.
Cette méditation prend des allures de randonnée dans le désert. Car il s’agit d’un long chemin vers on ne sait où.
How far are we?
I don’t know. Half way?
Qui a déjà médité sait très bien que dès qu’on commence, on a aussitôt envie d’arrêter. Pas simple de s’asseoir en tailleur et fermer les yeux pendant des heures. Très vite on a envie de décroiser les jambes, allumer la lumière, foncer sur sur son téléphone portable ou sa télécommande.
Fuck this, fuck the thing! It’s just a thing at the end of the trail.
La méditation devient utile dès lors qu’on continue de garder les yeux fermés et qu’on se perd. Une toute autre aventure commence.
Is this the way we euh…
C’est le moment où l’on se retrouve seul avec ses pensées. Parce qu’il n’y a qu’un seul Gerry. Celui qui l’accompagne n’est là que pour représenter son dialogue intérieur.
Les pensées qui nous habitent sont multiples. Gerry pourrait être accompagné de beaucoup d’autres versions de lui-même. Un autre Gerry suffit amplement.
Lorsque nous méditons, nos pensées vont et viennent au point où nous ne pouvons plus nous concentrer sur aucune d’entre elles. Il faut dépasser le bruit environnant, les petites contrariétés, les commentaires désobligeants, les frustrations qui nous parasitent. On se retrouve comme Chuck (cf Seul au monde) lorsqu’il essaie de quitter son île et doit affronter les vagues qui le repoussent.
Quand on parvient à dépasser tout cela, on arrive à prendre le large. On se perd dans l’océan ou dans le désert. Peu importe.
Do you see anything?
Did you see anything?
No. Did you?
No.
Ce moment de trouble est symbolisé par les nuages qui viennent assombrir le ciel. Seul dans le désert, sans plus savoir où aller. Prêt à attaquer la montagne car il n’y a plus que cela à faire. C’est à dire affronter la véritable question du moment. Celle qui nous obsède. La question profonde, qui se cache derrière toutes les petites questions sans importance.
Grimper sur deux collines en même temps pour essayer de comparer les points de vue. Regarder les choses différemment. Reconsidérer nos certitudes.
Finir par se séparer de soi-même car on ne se supporte plus. Avant de se retrouver malgré tout, parce que c’est nécessaire. On a aussi besoin de soi-même. Reprendre sa réflexion.
Repenser au passé. Se rappeler la route qu’on a prise pour savoir où l’on doit aller après. On essaie de s’écouter puis on se contredit. Se disputer avec soi même. Tout devient encore plus flou. Le passé nous apporte une perspective sans forcément nous apporter de réponse. On lutte parce qu’on continue de croire qu’on peut trouver une solution. Et puis on cède.
If we go there…
Plus de réponse.
La situation devient intéressante. On se remet à marcher, sans savoir, à l’instinct. Dans le silence. On souffre. Celui qui nous empêche d’avancer, on le tue. Parce qu’il faut continuer de marcher. Le moment où l’on ouvre les yeux et que l’ont peut retourner vers le monde.
Car heureusement nous ne sommes pas tout·e seul·e dans le désert. Les autres sont la raison qui font qu’on a besoin d’aller se perdre. Ils sont aussi l’issue de secours qui nous permet de nous en sortir, carbonisé.
Voilà ce qui se passe en 1h40 de méditation. Trois jours perdu dans le désert, sans eau ni barre céréalière. On n’imagine même pas l’enfer que s’affligent ces extrémistes qui partent faire des retraites de plusieurs jours ou des randonnées de centaines de kilomètres (cf Wild).
Cher Monsieur St Verraut,
De quelle planète venez-vous? De quelle époque surtout?… Votre référence au Suma a eu pour moi l’effet de la madeleine de Proust!
Vous lire est toujours un plaisir!
Merci!
Soso Montal
Le Suma c est Proust. Le Suma c est aussi Aznavour et ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Un temps où Fred pouvait encore piquer des Babybel pour son pote Antoine…
Merci pour votre commentaire.