AU REVOIR LÀ-HAUT
Albert Dupontel, 2017
LE COMMENTAIRE
À la veille de la Première Guerre Mondiale, le Ministre des Affaires Étrangères Edward Grey a déclaré : « Les lampes sont en train de s’éteindre dans toute l’Europe. Nous ne reverrons plus leurs lumières de notre vivant. » Dramatique. Les Anglais sont comme ça, surtout quand ils perdent au rugby. Certes les lumières allaient s’éteindre pendant de longues années. Mais elles allaient finir par se rallumer un jour en France, le pays des philosophes et des menteurs comme des arracheurs de dents.
LE PITCH
Les Poilus reviennent du combat en piteux état.
LE RÉSUMÉ
Albert Maillard (Albert Dupontel) est interrogé à un poste de Police au Maroc pour une sale affaire qui remonte aux tranchées.
C’est une longue histoire… compliquée!
Au front, Albert est ami avec Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart), un fils de bonne famille. Tous les deux répondent aux ordres du belliqueux Lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte).
Pradelle prend comme excuse la mort de Grisonnier et Terrieux, partis en repérage, pour justifier un assaut (cf Les sentiers de la gloire). Albert comprend que c’est en fait Pradelle qui a tué les deux officiers et se fait tirer dessus par le Lieutenant. Édouard lui sauve la vie avant d’être grièvement blessé au visage.
À l’hôpital, sous morphine, Édouard se rappelle de son père Marcel (Niels Arestrup) qui ne croyait pas en lui et préférait lui donner des billets de 10 francs plutôt que des câlins. L’idée de rentrer à Paris le panique, malgré les propos rassurants d’Albert.
Mais ton père il t’aimera quand même!
Édouard demande à Albert de l’aider à changer d’identité. Péricourt devient ainsi Larivière.
Madeleine Péricourt (Émilie Dequenne) veut se recueillir sur la dépouille de son frère. Pradelle découvre qu’Édouard serait soit-disant mort, ce qui l’arrange (cf La vie et rien d’autre). Il passe un marché avec Albert : si Péricourt se tait, il aura le droit de devenir Larivière et Pradelle fermera les yeux.
L’ex-Lieutenant fait désormais du profit sur les dépouilles des officiers morts pour la France, sans honte, profitant d’une main d’oeuvre chinoise pas chère et des approximations de l’administration française. Ce filou de Pradelle va même jusqu’à épouser Madeleine Péricourt pour mieux prospérer.
Édouard prend la petite Louise (Heloïse Balster) sous son aile. Elle devient sa traductrice officielle. Il a l’idée de dessiner des monuments aux morts pour les vendre, sans les construire, en encaissant l’argent au passage. Albert est d’abord réticent. Il va pourtant marcher dans la combine.
Marcel Péricourt souffre de la disparition de son fils. Il organise un concours pour financer un monument aux morts en hommage à Édouard. Ça tombe bien. Il invite Albert pour qu’il lui parle de ses souvenirs de bataille. Albert en profitera pour flirter avec la bonne, Pauline (Mélanie Thierry).
Pendant le concours, Marcel croit retrouver la patte artistique de son fils.
Édouard découvre que ce maudit Pradelle s’est marié avec Madeleine. Pour se venger, il lui colle l’inspecteur Joseph Merlin (Michel Vuillermoz) aux fesses. Pradelle ne s’en sortira que grâce à l’aide de Marcel qui, en échange, lui demande de retrouver la trace du faussaire qui pourrait bien être son fils.
Les commandes affluent. Édouard a emménagé au prestigieux Lutetia. Albert l’informe de son souhait de partir dans les colonies.
Marcel retrouve son fils et lui fait une confession.
J’aurais voulu lui dire qu’il avait raison de vouloir être ce qu’il était. Qu’il avait du génie avec ses dessins. Et qu’il fallait vraiment être un sacré imbécile pour pas le voir. Je voulais surtout lui dire qu’il était mon fils et que j’en étais fier.
Édouard, les larmes aux yeux, le prend dans ses bras avant de sauter du toit.
Albert retrouve Pradelle sur un chantier et le tue. Ce qui lui vaudra d’être épargné par l’officier qui l’interroge, qui se trouve être le père du jeune officier que Pradelle a abattu dans le dos. La boucle est bouclée.
Albert n’a pas menti sur un point : c’était effectivement une longue histoire compliquée. Il est libre désormais. À sa sortie, Pauline et Louise l’attendent.
L’EXPLICATION
Au Revoir Là-Haut, c’est un pieux mensonge.
Édouard, Albert et Pradelle sont tous les trois de sacrés escrocs :
Édouard, sous ses airs romantiques, n’est rien d’autre qu’un morphinomane qui fait du profit sur des monuments qu’il ne construit pas. Il vit dans son monde et n’a pas le sens des responsabilités.
Il était incapable de faire la différence entre le rêve et la réalité.
Pradelle tire dans le dos de tout le monde, sans scrupule.
Quand les familles viennent se recueillir, elles vont pas creuser la tombe pour vérifier que c’est bien leur mort à eux!
Quant à Albert, il est un petit menteur qui se donne quand même bien du mal pour extorquer de l’argent aux clients de la banque pour laquelle il travaille. La différence vient peut-être du fait qu’il est altruiste. Il usurpe une identité pour venir en aide à son ami Édouard, vole de la morphine pour le soulager, dissimule la vérité aux Péricourt pour ne pas les faire souffrir.
Dans la rivalité qui oppose Pradelle à Édouard, Albert fait figure d’observateur. Pradelle est une fripouille qui ne prend même pas la peine de faire semblant. À l’inverse, Édouard est un faux-escroc. Il porte un masque qui dissimule une vraie fêlure. Derrière son loup, il ne fait pas ce qui lui plait, lui plait. Pour deviner deviner deviner qui il est, il faut comprendre son goût pour le dessin dès son plus jeune âge, la mort de sa mère et le désintérêt de son père.
L’artiste cherche la reconnaissance (cf Birdman). Édouard cherche l’attention de Marcel. Une fois réconciliés, sur le toit du Lutetia, il peut s’en aller pour toujours. Son suicide est noble. Son père lui a donné la permission de partir. Contrairement aux chirurgiens esthétiques qui ne l’ont pas réparé, les mots de son père l’ont définitivement soulagé.
La guerre fait la part belle aux escrocs car il s’agit d’un moment où la notion d’éthique devient relative. On se débrouille (cf La traversée de Paris).
Chacun essaie de s’en sortir comme il peut (cf Le Pianiste). On recolle les morceaux.
Édouard avait un peu de grandeur. Il a le mensonge noble. À ce titre, il peut décoller vers la postérité qui l’attendait en tant que héros de guerre tandis que personne ne se souviendra de Pradelle, menteur minable.
Ce ne sont pas tes affaires qui ne m’intéressent pas, c’est toi. C’est pas ce que tu fais qui m’indiffère, c’est ce que tu es.
Pradelle s’est enterré vivant dans sa médiocrité. C’est ce qui aurait pu arriver à Albert si Édouard ne l’avait pas sorti de son trou. Albert doit tout à Édouard qui l’a impressionné en survivant à sa gueule cassée. Édouard l’a inspiré et empêché de se terrer dans une reconversion publicitaire minable (cf 99 francs). C’est grâce à Édouard si Albert a pu rencontrer Pauline et Louise. Tout a été permis par un mensonge utile.
Avec elles, la vie peut enfin commencer, dans ce Maroc où l’arnaque est une seconde nature.
Parfait.
Je vous remercie grandement pour le récit transcrit et rend bien hommage à ce très beau film inspirant, réaliste et même avec une pointe initiatique.
Merci Danny pour ce commentaire.