PROFESSION : REPORTER
Michelangelo Antonioni, 1975
LE COMMENTAIRE
Tout l’intérêt d’un road trip n’est pas de voir du pays, contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori. Il s’agit plutôt de se retrouver soi-même. Car le véhicule finit nécessairement par caler à un moment ou un autre. Sans possibilité de fuir.
LE PITCH
Un journaliste change d’identité pour se rendre aux rendez-vous d’un mort.
LE RÉSUMÉ
David Locke (Jack Nicholson) a une petite réputation en tant que reporter. Il est néanmoins désabusé.
I’ve run out of everything – my wife, the house, an adopted child, a successful job. Everything except a few bad habits I could not get rid of.
Parti en Afrique pour suivre un groupe de révolutionnaires, son enquête commence néanmoins à s’enliser dans les sables. La communication avec les locaux est compliquée.
De retour à son hotel, il découvre que Robertson (Chuck Mulvehill), son voisin de chambre, est mort sur son lit (cf La Plage). Leurs conversations lui revient. Robertson lui semblait être un homme fascinant, libre et sans attache (cf The Master).
Profitant de leur ressemblance, Locke échange leur photo de passeport pour s’emparer de son identité.
Rachel (Jenny Runacre), la femme de Locke, apprend la mort mystérieuse de son mari. Elle mène l’enquête, accompagnée par le producteur Martin Knight (Ian Hendry).
Tandis que Locke honore des rendez-vous notés dans le carnet de Robertson. Il s’improvise trafiquant d’armes pour le compte des révolutionnaires de Munich à Barcelone, où il rencontre une jeune femme (Maria Schneider).
Do you believe in coincidences?
Pris en chasse par Rachel et Martin Knight, puis par des policiers, le couple s’arrête à l’Hôtel de la Gloria – sur la route de Tanger. Locke incite la jeune femme à partir, tout en lui promettant de la retrouver dans trois jours. Elle quitte l’hotel sans savoir où aller.
Après quoi, elle revient dans la chambre où Locke s’est donné la mort.
La police, Rachel et Knight arrivent au même moment pour constater le décès.
Sa femme prétend ne pas le reconnaître, à l’inverse de la jeune femme.
Is this David Robertson? Do you recognize him?
I never knew him.
Do you recognize him?
Yes.
L’EXPLICATION
Profession : Reporter, c’est l’absence d’une autre vie que la sienne.
Les esprits tragiques parviennent à s’accommoder de la vie telle qu’elle est. C’est le cas de Robertson qui ne se pose pas des tonnes de questions existentielles. Il dresse des constats simples, avec lesquels il semble parfaitement à l’aise.
We’re creating of habits.
Au contraire de Locke qui est davantage torturé. Incapable de se satisfaire du quotidien. Il a besoin de fantasme constamment (cf Le Prestige), car accepter le réel ne lui est tout simplement pas possible.
It’s us who remain the same. We translate every situation, every experience into the same old codes. We just condition ourselves.
Son métier le conduit à toujours chercher autre chose, au bout du monde (cf La vie rêvée de Walter Mitty). Au hasard, une histoire de révolutionnaires, pleine de rebondissements. Quelque chose de croustillant à se mettre sous la dent.
I prefer men to landscapes.
Malheureusement, rien ne se passe (cf Le désert des tartares). Les milices qu’il piste n’ont absolument rien d’exceptionnel. Pas de scoop. Sa voiture s’embourbe peu à peu dans le sable, le laissant dans sa frustration. Perdu dans ses doutes.
I must have taken the wrong trail.
La mort de Robertson donne à Locke une occasion trop belle de tenter un dernier pari : changer de vie. Une manière de tout recommencer. Poursuivre sa quête en jetant les dés une nouvelle fois.
Wouldn’t it be better if we could just forget old places. Forget everything that happens. Just throw it all away, day by day.
Il sait pourtant pertinemment qu’il ne peut pas se soustraire à la vie. Toutes les personnes qu’il a interrogé dans le cadre de son métier le lui ont révélé. Il cherche quelque chose au mauvais endroit, à l’extérieur plutôt que se concentrer sur lui-même. La réponse n’est pas ailleurs.
Your question are much more revealing about yourself than my answer would be about me.
Ses reportages deviennent des fables que Locke finit par se raconter et dont il ne peut plus se satisfaire. Elles ne reflètent jamais que ce qu’il veut refléter de la réalité, pas la réalité.
We can have a conversation; but, only if its not just what you think is sincere, but, also what I believe to be honest.
Il entame un nouveau parcours emprunté à Robertson avec plein d’espoir. Une nouvelle vie. À l’hôtesse de l’agence de voyage, il répond que toutes les destinations lui sont ouvertes. Tout est possible. La tentation de Dubrovnik.
Cependant, les événements lui rappelle bien vite qu’il ne peut pas s’échapper. Il y a des rendez-vous à honorer, même pour les morts. Locke ne peut pas faire ce qu’il veut.
Keep the appointment.
Un grand-père lui tient ensuite un discours désenchanté à propos de la nouvelle génération.
Ninos. I’ve seen so many of them grow up. Other people look at the children and they all imagine a new world. But me, when I watch them, I just see the same old tragedy begin all over again.
Une jeune femme anonyme lui donne d’abord l’illusion qu’il recherche. Être quelqu’un d’unique, menant une vie exceptionnelle.
You’re not like the others.
Très vite, elle se permet de lui poser des questions beaucoup plus terre à terre. Les questions qui fâchent.
What are you running away from?
Obligeant Locke à se confronter à la cruelle vérité : il n’a tout simplement pas de direction.
Where are you going?
I haven’t made up my mind.
En souhaitant se transformer en quelqu’un d’autre, il est devenu personne. Il s’est perdu en poursuivant des chimères. Bloqué dans une chambre d’hôtel où les visiteurs ne sont que de passage, et où strictement rien ne se passe. En direction vers nulle part. Inlassablement rattrapé par les personnes qu’il cherche à fuir.
Comble de l’ironie, il n’est même pas reconnu par sa femme mais par une personne sans identité. Locke n’avait que sa vie. Il l’a laissée s’effacer comme si elle n’avait jamais eu lieu. Lui qui voulait marquer l’histoire a traversé sa vie comme un fantôme.