TAXI DRIVER
Martin Scorsese, 1976
LE COMMENTAIRE
On conduit son taxi comme on peut (cf Drive). La règle est d’être responsable du conducteur devant soi. Alors on regarde toujours devant, bêtement, un peu comme un mouton. Pour mieux faire attention et peut-être aussi accrocher le feu vert. Éviter de conduire au rétro, regarder vers le passé, s’intéresser à la généalogie… sinon on pourrait vite basculer dans la paranoïa. On essaie d’ignorer le camion qui nous colle aux fesses (cf Duel). Aucune envie de voir les cochonneries que font les clients sur le siège arrière.
LE PITCH
Un ancien vétéran du Viet-Nam, reconverti en conducteur de taxi, dévisse.
LE RÉSUMÉ
De retour du Viet-Nam, Travis Bickle (Robert de Niro) souffre de dépression. Il a l’idée de travailler comme chauffeur de taxi pour occuper ses nuits sans soleil.
Il remarque Betsy (Cybill Shepherd) une bénévole dans l’équipe du Sénateur Charles Palantine (Leonard Harris).L’accoste au culot et l’emmène boire un café. L’histoire tourne court après que Travis lui propose d’aller avoir un film… dans un cinéma porno de la 42e.
Ses nombreux coups de fils et bouquets de fleurs n’y feront rien.
New-York le dégoûte encore davantage lorsque la jeune Iris (Jodie Foster) essaie d’échapper à Sport (Harvey Keitel), son mac.
I think someone should just take this city and just… just flush it down the fuckin’ toilet.
Il confie son mal-être à un collègue, Wizard (Peter Boyle) qui le met en relation avec un marchand d’armes. Lors d’un braquage dans une petite épicerie, Travis abat le délinquant (cf Joker). Un peu plus tard cette nuit, il retrouvera Iris pour essayer de la dissuader de faire le trottoir. Il essaie de la convaincre à nouveau le lendemain matin.
Travis veut vraiment faire le ménage. Il se rend à un meeting de Palantine avec l’intention de le tuer. Malgré sa coupe à l’iroquoise, il se fait repérer par les services secrets. Obligés de quitter les lieux. Il fait une descente au bordel du mac d’Iris où il tue Sport et deux autres gangsters. Puis il tente de se suicider. À court de munition, il mime le geste devant des policiers médusés.
Malgré tout, il est célébré comme un héros (cf Sully) pour s’être débarrassé de ces trois hommes.
Here is a man who would not take it anymore. A man who stood up against the scum, the cunts, the dogs, the filth, the shit. Here is a man who stood up.
Travis reçoit une lettre de remerciements de la part des parents d’Iris qui a repris l’école à Pittsburgh. De nouveau chauffeur de taxi, Travis a la surprise de conduire Betsy désormais toute mielleuse avec lui. Il la dépose chez elle sans lui faire payer la course puis reprend sa route.
Lorsqu’il regarde dans son rétroviseur, quelque chose semble le contrarier à nouveau.
L’EXPLICATION
Taxi Driver, c’est la tentation de la radicalisation.
Suite aux attentats du Bataclan (cf Novembre), un ancien membre de la DGSI parlait d’un phénomène que ses services avaient remarqué dans la foulée des émeutes de 2005 : de nombreux jeunes cherchaient à ventiler leur colère à travers un engagement politique (cf Athena).
Ne trouvant écho dans aucun des mouvements de l’époque, nombre d’entre eux avaient fini par succomber aux sirènes fondamentalistes. Et certains avaient même fini par partir au Proche-Orient. On connait la suite.
Travis est un peu à l’image de ces jeunes à la dérive. Bien plus profond qu’il n’en a l’air. Certes il n’a pas les diplômes qu’ont les requins qui travaillent pour les cabinets de campagne (cf les marches du pouvoir), mais Travis se pose des questions sur son existence. Il veut savoir quel est son rôle.
All my life needed was a sense of someplace to go. I don’t believe that one should devote his life to morbid self-attention, I believe that someone should become a person like other people.
Il est un jeune homme dévoué qui n’a, a priori, rien d’un psychopathe. Comme beaucoup, il a servi son pays. À son retour, il se sent seul et abandonné comme beaucoup d’autres marines (cf Rambo, The Master, Né un 4 juillet).
Loneliness has followed me my whole life, everywhere. In bars, in cars, sidewalks, stores, everywhere. There’s no escape. I’m God’s lonely man.
Il tente alors de se réinsérer pour devenir un membre productif de la société (cf the Yards), comme chauffeur de taxi. Prêt à aller partout, à n’importe quelle heure, pour conduire les autres. Son métier va l’exposer à la vacuité du monde (cf La Dolce Vita) – sans ceinture de sécurité. Alors qu’il aurait besoin qu’on lui redonne un peu le moral, il est confronté au pire. Ce qui anesthésie ses émotions (cf Detachment).
All the animals come out at night – whores, skunk pussies, buggers, queens, fairies, dopers, junkies, sick, venal. Someday a real rain will come and wash all this scum off the streets. I go all over, I take people to the Bronx, Brooklyn, I take ’em to Harlem, I don’t care. Don’t make no difference to me.
Il vocalise son désarroi et le partage avec son entourage.
I got some bad ideas in my head.
Aucune réponse. Ses collègues lui disent de garder la tête froide, qu’il prend les choses trop à coeur.
Don’t worry so much!
Travis bascule de lui-même dans le chaos. L’échec de sa relation avec Betsy sert de détonateur. Il va se reprendre en main dans un monde qui se laisse doucement mourir, où il n’est ni compris ou entendu. Les choses doivent revenir à l’endroit.
Fini le porno, la prostitution, l’alcool. Il s’astreint à une discipline de fer.
Récupéré par personne, Travis n’écoute plus que lui. Il devient son propre Dieu et se parle dans le miroir
You talkin’ to me, you talkin’ to me, you talkin’ to me? Then who the hell else are you talking? You talking to me?? Well I’m the only one here. Who the fuck do you think you’re talking to??
Comme un terroriste kamikaze, il se mue en tueur sans scrupule à la recherche du symbole. Empêché dans sa tentative de tuer Pallantine, il se rabat dans un bordel où il trouve certainement la mort. Ce qui lui permet de rejoindre son paradis (cf Valhala Rising) : un endroit où Iris est rentrée dans le droit chemin, où il continue d’exercer son métier, où Betsy est désormais amoureuse de lui, où il peut se permettre le luxe de la déposer sans lui faire payer le prix de la course.
Le monde est comme il devrait l’être : Plus de misère, ni d’inégalités et donc plus de violence. Dans ce paradis, on est courtois. On va à l’école. Chacun rend service à son prochain sans attendre quoi que ce soit en retour.
On se dit merci.
Tout va bien.
Mieux.
Il y aura néanmoins toujours une menace dans le rétroviseur.
Même dans son paradis, Travis ne sera jamais en paix.
8 commentaires