J’ACCUSE
Roman Polanski, 2019
LE COMMENTAIRE
En attendant un hypothétique jugement dernier, certains peuvent se retrouver en jugement anticipé devant la justice des hommes – notamment ceux qui portent des moustaches en dehors de Movember. Les suspects doivent alors répondre de bonne foi devant les juges. L’honneur du pays en dépend parfois.
LE PITCH
Un militaire découvre que le meurtrier n’était pas le Colonel Moutarde.
LE RÉSUMÉ
L’officier Français Alfred Dreyfus (Louis Garrel), né à Mulhouse, purge une peine pour haute trahison, déporté sur une île isolée.
Vous n’êtes plus digne de porter les armes.
Bien qu’il clame haut et fort son innocence, la justice l’estime coupable d’avoir fourni aux Allemands des informations secret-défense. Cette décision polémique fait bien les affaires des membres de l’État-Major qui ne portaient pas ce Juif dans leur coeur.
De quoi a-t-il l’air Picquart ?
D’un petit tailleur Juif qui pleure tout son or qui va à la poubelle.
Pour son rôle déterminant dans cette affaire, le commandant Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin) obtient une promotion. Il passe lieutenant-colonel et chef du Deuxième Bureau. On l’assigne sur une nouvelle affaire de trahison : le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy (Laurent Natrella).
Au coeur du problème, une note retrouvée dans une poubelle dans laquelle Esterhazy promettrait de divulger des informations aux Allemands.
Profondément antisémite mais faisant preuve de loyauté, bien qu’il soit l’amant de Pauline Monnier (Emmanuelle Seigner), Picquart découvre que l’écriture de Esterhazy est similaire à l’écriture supposée de Dreyfus.
Il interroge le graphologue (Mathieu Amalric) dont la conclusion est formelle : Il n’y a pas de problème.
Et si je vous disais que Dreyfus n’a pas écrit cette lettre ?
Je vous dirais que de toute évidence, les Juifs ont formé quelqu’un d’autre pour écrire comme Dreyfus!
Cette explication ne convainc pas l’officier. Il n’en dort plus la nuit et se sent obligé d’en parler à ses supérieurs. La gêne est palpable…
Je ne veux pas d’une autre affaire Dreyfus!
Ce n’est pas une autre affaire mon général, c’est la même!
Pendant ce temps, Alphonse se morfond dans sa cellule, loin du monde (cf Cast Away).
Picquart insiste et fâche sa hiérarchie.
Un nouveau procès ?? Vous êtes fou!
Le Lieutenant Colonel va devant les ennuis. On intercepte son courrier. Comme par hasard, sa relation avec Catherine Monnier éclate au grand jour. Le commandant Hubert Henry (Grégory Gadebois) le traite de menteur en plein procès. Ambiance.
Picquart, par l’intermédiaire de son ami d’enfance Louis Leblois (Vincent Perez), fait la rencontre d’Emile Zola et de quelques soutiens politiques de poids. Le scandale éclate au grand jour. Tout le monde est éclaboussé : les généraux Charles-Arthur Gonse (Hervé Pierre), Auguste Mercier (Wladimir Yordanoff) et Raoul Le Mouton de Boisdeffre (Didier Sandre).
Quelques têtes peuvent tomber…
La première sera celle d’Hubert Henry, arrêté puis retrouvé mort dans sa cellule du Mont Valérien.
Un nouveau procès est ouvert dans un climat délétère. Les livres de Zola sont brûlés. On peut lire « Mort aux Juifs » sur les vitrines des boutiques (cf Monsieur Klein).
Picquart est innocenté puis élevé au rang de général. Dreyfus est toujours coupable mais bénéficie de circonstances atténuantes. Son exil est commué en dix ans de prison. Il sera libéré avant la fin de sa peine, puis réintègre l’armée française en 1906.
Dreyfus tient à rencontrer Picquart pour lui demander la promotion qu’il aurait mérité.
Je trouve que c’est injuste.
Sans blague.
Il obtient une fin de non-recevoir de la part du nouveau général.
Ça ne va pas être possible.
Picquart, confus, lui demande malgré tout pardon de ne pas avoir à lui dire merci.
Toutes mes excuses pour le rôle que j’ai joué dans cette triste farce. (…) Je ne serais jamais arrivé là sans vous.
L’EXPLICATION
J’accuse, ce sont toujours les mêmes qui gagnent à la fin – en France.
Dans la troisième République de Sadi Carnot, il ne fait pas bon être homosexuel, immigré ou Juif. Le colonel Jean Sandherr (Éric Ruf), profondément attaché à sa patrie, a fiché sur sa liste pas mal d’ennemis potentiels de la nation :
1,000 étrangers à interner. Et encore! Il n’y a pas les Juifs.
Lorsqu’un espion est annoncé au sein même de l’armée française, il est nécessaire de trouver la taupe (cf Sens unique). Dreyfus est le parfait bouc-émissaire.
Dreyfus ? Le Juif ?
Le seul Juif du bâtiment!
Évidemment. Dreyfus est le fusible, l’homme à abattre, presque l’ennemi public numéro 1. L’exemple à donner. Tous les prétextes sont bons pour le faire tomber. Personne ne viendra le pleurer.
J’ai cru vous entendre dire que j’étais coupable car il s’agissait de mon écriture. Et vous venez de dire que je suis coupable car il ne s’agit pas de mon écriture ?
Parfaitement!
Cou-pable! Point final.
Le dossier secret aurait du être détruit. On n’aurait plus jamais du en entendre parler. Affaire conclue. Quelle surprise de voir ce lieutenant-colonel, pourtant antisémite, se rebeller contre sa direction.
Nous connaissons tous votre avis sur la race élue.
Je souhaiterais qu’il soit coupable, ça serait plus facile!
Dans l’armée, ce sont les chefs qui dirigent et les soldats qui exécutent (cf Les sentiers de la gloire). Picquart n’était tout simplement pas de cet avis.
C’est peut-être votre armée. Ce n’est pas la mienne.
Juif ou pas, la vérité doit parler. Sinon cette affaire finira par éclabousser l’armée. Picquart ne veut pas que cela se produise. Alors il va fouiller les poubelles (cf Ne le dis à personne), risquant de mettre beaucoup de gens dans l’embarras.
Son obstination lui vaudra un passage en prison sans toucher les francs 20,000. Mais la lumière est toujours au bout du tunnel (cf Les évadés) pour les hommes d’honneur.
Vous n’avez pas à me remercier, je n’ai fait qu’écouter ma conscience.
Picquart, défenseur de Dreyfus bien qu’il ne l’aime pas, s’improvise en une sorte de Oskar Schindler. À la différence de l’Allemand qui est parti profil bas, Picquart ressort de cette mascarade pitoyable avec les honneurs.
Un Juif a été déshonoré puis exilé et torturé avant d’être réhabilité – sans être récompensé comme il aurait du l’être. Pendant qu’un général antisémite arrive à la tête des armées françaises au début du XXe siècle.
Rien n’a changé ou presque (cf Detroit).
Quand une société en est là, elle tombe en décomposition.
Ce n’était pas totalement faux. La France est rentrée dans ce XXe siècle en se reposant sur ses acquis. Ne sachant pas encore qu’elle allait sortir affaiblie par deux conflits mondiaux majeurs et dépouillée de ses colonies si chères à Michel Sardou.
Le Front National s’est rassemblé.
L’antisémitisme n’a pas disparu en France. Bien au contraire.
En bref, c’est un film d’un accusé coupable sur un acusé innocent, non?
Merci Von. Malheureusement je ne crois pas que ça soit aussi simple. Voyez-vous : le cinéma, c’est pas du football.
La comparaison entre l’époque de Dreyfus et la nôtre relève du raccourci. L’antisémitisme est aujourd’hui surtout le fait des musulmans radicalisés. Il y a certes l’extrême droite soralienne, mais le xxi eme siècle est surtout marqué par de nouvelles formes de nazisme : salafisme et indigénisme en tête. Aujourd’hui ce sont les Houria Bouteldja qui représentent avant tout la réalité du fascisme. Ce qui n’enlève rien à la pertinence du film remarquable de Polanski, que j’ai adoré.
Merci J.O. pour ce commentaire.