LA PLATEFORME
Galder Gaztelu-Urrutia, 2019
LE COMMENTAIRE
Il ne faut pas se fier aux apparences, dans le Banquet de Platon on ne traitait pas de gastronomie (cf La Grande Bouffe) mais bien d’amour. En plein confinement, sur le point de s’éclater le ventre pendant des semaines après avoir dévalisé les supermarchés comme il se doit, peut-être que le temps est venu pour nous de réfléchir à notre égoïsme.
LE PITCH
Un homme doit survivre dans la fosse.
LE RÉSUMÉ
Goreng (Iván Massagué) se réveille dans ce qui ressemble à une cellule en compagnie de Trimagasi (Zorion Eguileor). Au milieu de la pièce, un trou béant. Personne ne comprend rien sauf le vieux qui n’arrête pas de répété que c’est évident.
Les deux hommes sont au niveau 48. Chaque jour une plateforme de nourriture va se présenter avec une question essentielle :
Qu’est-ce qu’on va manger?
Ou plutôt qu’est-ce que ceux du dessus leur auront laissé ? Chaque mois, le niveau change de manière aléatoire (cf Cube).
Goreng voulait arrêter et lire Don Quichotte. Le voilà de son plein gré pour 6 mois. Trimagasi est là pour meurtre. Un an.
Le mois suivant, niveau 171. Goreng se réveille attaché au lit. Le vieux l’a pris de vitesse car il sait pertinemment qu’à cet étage, la survie passe par le cannibalisme. Alors qu’il commence à être découpé, Goreng est secouru in-extremis par Miharu (Alexandra Masangkay), une femme qui cherche désespérément sa fille à travers les étages.
Le mois suivant. Niveau 33. Goreng partage désormais sa cellule avec Imoguiri (Antonia San Juan), une membre de l’Administration. Elle avoue qu’il s’agit d’une expérience visant à prouver le principe de solidarité spontanée. En phase terminale, elle veut participer à la réussite de l’expérience car elle n’a plus rien à perdre.
Si les gens mangeaient uniquement ce dont ils ont besoin, la nourriture arriverait en bas sans problème.
C’est pas si simple à l’intérieur.
Non c’est vrai. Mais ça ne l’est pas non plus à l’extérieur.
Goreng n’y croit pas. Pour lui, il faut plutôt employer les grands moyens. En l’occurence, il menace ceux du dessous de chier sur la nourriture pour qu’ils se rationnent. Cela fonctionne, au moins pour l’étage inférieur.
Là ils sont convaincus.
Par de la merde…
Plus efficace que votre solidarité spontanée.
Mois suivant. Niveau 202. Imoguiri s’est pendue pour que Goreng puisse continuer l’aventure.
Mois Suivant. Niveau 6. Goreng partage à présent sa cellule avec Baharat (Emilio Buale Coka). Il a une idée audacieuse.
Descendre pour remonter.
Contraindre les 50 premiers étages à jeuner puis rationner les étages inférieurs jusqu’en bas. Problème : les pensionnaires du dessous voient arriver le plateau repas plein sans pouvoir se jeter dessus. Dur dur!
Un messie ça multiplie le pain et les boissons. Ça n’enlève pas la nourriture de la bouche!
Le périple s’annonce donc difficile. Goreng et Baharat rencontrent un vieux sage qui les met sur la piste.
L’Administration n’a aucune conscience de ce que vous faites. (…) Vous avez besoin d’un symbole. Ce qu’il vous faut, c’est un plat. (…) Imaginez un peu la tête qu’ils feront lorsqu’ils verront que la fosse leur renvoie un tel plat. Peut-être qu’à ce moment là, ils comprendront le message.
La pana cotta est le message. Quand les prisonniers ne le comprennent pas, ils ont droit au baton. La lutte est farouche au fur et à mesure de la descente. À moitié morts, les deux hommes arrivent au 333e et dernier étage où se cache la fille de Miharu. Goreng et Baharat peuvent lâcher la pana cotta et mourir tranquille. La petite est le message. Elle remonte sur la plateforme vers le niveau zéro.
Va-t-elle y arriver ?
L’EXPLICATION
La Plateforme, c’est normalement assez pour tout le monde.
La société tend à l’égalité mais est encore loin d’avoir atteint son but. Notre monde est hiérarchisé avec des niveaux. Celles et ceux qui sont au dessus peuvent se servir les premiers. Face à un buffet à volonté, le réflexe naturel est de se goinfrer.
Celles et ceux qui suivent devront se contenter des miettes. Peu importe qui se retrouve dans les premiers étages, le réflexe est invariablement le même. Le monde est constamment déséquilibré avec des obèses au balcon et des crèves la faim dans la corbeille (cf Le Transperceneige).
Gourmandise ? Égoïsme ? Peur de manquer ? Toujours est-il que personne ne pense à ceux du dessous (cf Titanic). C’est simple : on les ignore. Ils n’existent pas. Et puis d’abord, pourquoi partager ? Si les rôles étaient inversés, les autres nous renverraient-ils l’ascenseur ? Apparemment non puisque chaque mois, les étages changent mais c’est immanquablement la même histoire (cf Next Floor).
Au passage, on oublie également le beau principe de méritocratie permettant à ceux d’en bas de monter vers les sommets grâce à leur talent.
Y’aura toujours un connard pour t’empêcher de passer.
En dessous du 50e étage, pas de bol. Coincés pendant un mois. Il ne reste plus qu’à manger son prochain, la conscience tranquille dans la mesure où Jésus lui-même a donné sa bénédiction.
Celui qui mange ma chair et bois mon sang a la vie éternelle.
Le monde pourrait être équilibré. Au lieu de cela, il est violent.
Il doit y avoir quelque chose à retenir. La fosse n’est certes qu’un trou, nous devons quand même bien avoir un rôle. Cela ne peut quand même pas être aussi simple.
Peut-être que vous êtes là pour ça.
Selon le sage, la réponse passe par un symbole qui doit être préservé par l’éducation – dans le meilleur des cas. Puisque malheureusement l’éducation ne fonctionne pas avec tout le monde (cf Idiocracy).
Je vous demande solennellement de ne pas vous approcher pas de la plateforme. Ce qu’on veut c’est vous faire participer à un mouvement de protestation pacifique qui changera incontestablement le cours de l’histoire.
Qu’est-ce que tu racontes ? Parle avec des mots simples.
Goreng et Baharat se font les apôtres de la modération à chaque étage. Ils tentent d’abord d’évangéliser. Ensuite, ils sont contraints de frapper. Surtout, ils doivent se sacrifier eux-aussi au profit de la petite.
Car le message est avant tout de penser à la génération d’après et de lui permettre de remonter du 333e sous-sol au rez-de-chaussée. Faire confiance aux enfants (cf Le voyage de Chihiro). On sait qu’ils sont souvent plus courageux (cf Kirikou) et globalement moins dans le jugement que nous (cf Tomboy).
La petite fille va-t-elle y arriver ?
Évidemment!
Comme n’a de cesse de le répéter celui qui pose la question.
Très bonne critique !
Merci Benjamin!
⚠ ATTENTION SPOIL SI VOUS AVEZ PAS VU LE FILM ⚠
En fait la vraie fin est au milieu du film quand le chef cuisinier engueule l’équipe en cuisine parce que y a un cheveu dans la panacota.
En réalité la petite fille qu’il fait remonter n’existe pas. Il fait bien remonter la panacota : « le message ».
Sauf qu’avec tout ce merdier elle remonte avec un cheveu dessus.
Personne n’étant au courant de ce qu’il se passe dans la fosse, les cuisiniers ne comprennent absolument rien au message et croient que les gens n’ont pas voulu la manger.
Rappelez vous ils cuisinent réellement les plats préférés des prisonniers. Le hero du film avait demandé des escargots et il les trouve quand il est 6e niveau.
Le message du film est qu’il faut changer nous-même et ne plus rien attendre des gens d’en haut qui ne comprennent rien aux problèmes des gens d’en bas.
Le film entier est un satire de la société d’aujourd’hui. Ils utilisent le thème de la folie, mais le film ne se résume pas à ça.
Pour ma part, ce film est vraiment un chef d’œuvre sur tous les points.
Merci pour cette perspective très intéressante dans laquelle les efforts de ceux du dessous seraient finalement vains. Ceux du dessus ne se soucient guère de ce qui se passe et on l’impression d’être altruiste en préparant les plats préparés des pauvres. Le déni, sans la culpabilité.