LA VIE RÊVÉE DES ANGES
Érick Zonca, 1998
LE COMMENTAIRE
Pour peu que l’on y prête attention, la vie est drôlement morose. Le début d’année. La grippe. Les grèves. Le prix de l’essence / du gaz / de l’électricité / des matières premières. La vie chère quoi. Le chômage. La retraite à 65 ans. Les impôts. Pour un peu, les anges auraient presque envie de retourner au Paradis (cf Les Ailes du Désir).
LE PITCH
Deux jeunes femmes galèrent dans l’enfer du Nord (cf La vie d’Adèle, Bienvenue chez les Ch’tis).
LE RÉSUMÉ
Isabelle (Élodie Bouchez) vagabonde jusqu’à Lille avec son sac à dos. Elle vit des petits revenus que lui rapportent ses cartes qu’elle vend dans la rue. Dans un bar, elle sympathise avec un patron d’usine d’origine slave (Zivko Niklevski) et qui lui propose un job de couturière.
Pas travail toi?
Non…
Moi trouver vrai travail pour toi. Toi aimer travail moi trouver vrai travail.
Mieux que pôle emploi!
Malheureusement, Isabelle n’est pas très douée pour la couture. Elle fait tout de travers et se fait remercier quelques jours plus tard.
Vous partir!
Juste assez de temps pour rencontrer Marie (Natacha Régnier) chez qui elle va dormir. En réalité Marie squatte dans l’appartement d’une femme qui a été victime d’un accident de voiture et dont sa fille Sandrine (Louise Motte) est restée dans le coma.
En soirée, Isabelle et Marie croisent le chemin de deux videurs Charly (Patrick Mercado) et Fredo (Jo Prestia).
Vous faites le tri. Les bonnes et mauvaises graines… Vous nous connaissez pas là, vous nous laissez rentrer ?
Ben… ta copine là, elle se laisse pousser les cheveux. Toi t’arranges les tiens. Vous vous maquillez un peu. T’enfiles une petite robe. Vous essayez de ressembler à des nanas. C’est tout.
C’est quoi ton métier ? Tu juges après la gueule des gens.
Ils sortent parfois ensemble. Marie couche avec Charly, mais a surtout remarqué Chriss (Grégoire Colin) le patron énigmatique du Blue.
Il est jeune pour être patron!
Chriss sauve la mise à Marie dans un grand magasin où elle se fait prendre par la sécurité après avoir essayé de voler un blouson. 1,000 francs. Il paie pour lui éviter les ennuis. Après quoi, il l’emmène à l’hôtel et couche avec elle de manière forcée.
Marie cherche pourtant à le revoir. Tous les deux entretiennent une relation détachée et violente. Quoiqu’elle en dise, elle est très amoureuse de lui.
Pendant ce temps, Isabelle rend visite à Sandrine à l’hôpital. Elle lui fait même la lecture, guettant le moindre signe de progrès (cf L’Éveil).
Ils ouvrent les yeux mais ça veut pas dire grand chose. C’est un tout petit signe.
Puis Chriss se lasse. Il charge à Isabelle de dire à Marie qu’il ne veut plus la voir. Cette dernière se met dans un état de rage. Elle essaie de le revoir. Isabelle tente de l’en dissuader. Dispute.
Tu vas pas t’humilier à lui courir après comme une conne là! T’es pas son chien.
J’en ai rien à foutre d’être humiliée! Tu crois que j’ai pas été humiliée jusqu’ici? Avec une vie de merde! Traitée comme de la merde! Toi t’en as rien à foutre : Tu portes tes panneaux dans le dos avec écrit ‘merde’ dessus.
Isabelle s’en va.
Maintenant, chacun pour soi!
De toute façon, l’appartement allait être vendu. Il aurait fallu partir.
Isabelle apprend que Sandrine est miraculeusement sortie du coma. Lorsqu’elle veut annoncer la bonne nouvelle à Marie, Isabelle la trouve en train de dormir. Elle lui écrit un message d’adieu. Entendant du bruit dans la chambre, Isabelle aperçoit Marie sur le point de se défenestrer.
Suite au suicide de Marie, Isabelle prend un boulot dans une usine de micro-conducteurs où elle doit faire rentrer des fils dans des connecteurs.
On dirait que vous avez fait ça toute votre vie!
L’EXPLICATION
La vie rêvée des anges, c’est la vie dont on ne veut pas.
Les anges sont des êtres doués de toutes les perfections. Leur vie rêvée n’a donc strictement aucun intérêt puisque rien ne dépasse. Une vie sans aspérité, digne de celle des influencers sur les réseaux sociaux (cf The American Meme). Les mêmes soirées, dans les mêmes hotels… À un moment rien ne ressemble plus à une piscine qu’une autre piscine, qu’elle se trouve à Los Angeles ou à Miami.
Franchement, on comprend très bien pourquoi on laisse aux autres cette vie rêvée.
On préfère mener une vie autrement moins ambitieuse. Une vie mutilée. Se lever tôt. Habiter dans des endroits désespérants. Faire un travail sans intérêt pour lequel on va investir l’essentiel de son temps.
Quand Isabelle arrive à Lille, elle affirme son intention de vouloir casser la baraque.
Faut pas rester ici, faut bouger.
Marie la recadre aussitôt.
Tu te fais du mal pour rien. Pis tu rêves beaucoup.
Dans cette vie, on ne rêve pas. Charly et Fredo, fatalistes, ne voient d’ailleurs aucun problème avec le fait de ne se faire aucune illusion.
Et alors, c’est pas bien serveuse? (…) Démerdez vous, on se donne rendez-vous dans quinze piges, on verra ce que vous serez devenues.
Les deux videurs lancent un défi à toutes celles et ceux qui voudraient péter plus haut que leur cul. De toute façon, cette vie qui parait minable en apparences ne vaut-elle pas mieux qu’une vie fantasmée ridicule ?
Ça vous plait de travailler dans un café style hollywoodien ? On se sent un peu comme une star non ?
Honnêtement…
Non! À Lille, on vit la vie, la vraie – pour reprendre le slogan publicitaire d’une chaîne de supermarchés appartenant à une riche famille locale.
On ne gagne pas de fric. Pas de quoi rentrer dans des concerts minables.
Faut savoir où vous mettez les pieds les filles.
Dans cette vie là, on se fait maltraiter. Marie se fait traiter comme de la crotte par le patron du Blue, un mec qui conduit un 4×4 bleu de marque japonaise.
Isabelle continue de se bercer de l’illusion que le soleil peut briller. Qu’on peut sortir de son coma. Marie doit encore lui mettre les points sur les i.
T’es une fille larguée, tu le vois même pas!
Parce que dans la vie qu’on a choisi, on se fait des ami·es avec lesquel·les on peut s’engueuler comme du poisson pourri.
On est en train de devenir infecte l’une avec l’autre.
Les taquets deviennent monnaie courante.
Un jour aussi tu verras que t’auras besoin des autres, on verra ta gueule!
Je t’enverrai ma photo.
Pas besoin de mettre les formes, ou faire preuve de valeur morale. Ce n’est même pas grave.
Tu vis chez elle t’es même pas allée la voir.
On s’en fiche. Il ne reste plus qu’à retourner trimer à la mine (cf Germinal). S’installer sur sa chaise, ou sauter par la fenêtre – au choix.
Une vie médiocre. Au moins, c’est la nôtre.
On la revendique, sans fierté mais sans honte non plus. En se disant qu’il y a pire ailleurs (cf Capharnaüm, Precious).