MORT D’UN COMMIS VOYAGEUR
Volker Schlöndorff, 1985
LE COMMENTAIRE
Le père au crépuscule de sa vie prend plaisir à regarder son fils si plein de promesses. Sa jeunesse est rassurante. Elle sous-entend que la vie continue. Et pourtant dans ce sourire, on trouve aussi beaucoup d’amertume, liée à toutes ces choses que le père aimerait pouvoir faire pour peu qu’on lui donne quelques années de plus – que son fils va certainement gaspiller en jouant avec son ballon (cf Rien en commun).
LE PITCH
Un homme se retrouve avec sa vie derrière lui (cf Monsieur Schmidt).
LE RÉSUMÉ
Willy Loman (Dustin Hoffman) est commercial. Ce qu’on appelait par le passé VRP. Il rentre à la maison plus tôt que d’habitude. Son voyage a été annulé. Sa femme Linda (Kate Reid) s’inquiète. En plus de sa situation professionnelle, Willy angoisse à propos de son fils Biff (John Malkovich) qui était promis à bel avenir mais qui risque de ne plus aller à l’Université. Ça serait une catastrophe pour le paternel qui a travaillé toute sa vie pour que sa famille puisse prospérer. Toute une vie pour rien (cf Monsieur Schmidt).
Willy perd la tête petit à petit. Il voit des fantômes du passé, comme son frère Ben (Louis Zorich) par exemple. Biff et son frère Happy (Stephen Lang) promettent à leur père qu’ils vont lancer leur business, dans le but de calmer ses nerfs.
Le lendemain, William rencontre son patron (Jon Polito). Il aimerait un job en ville pour éviter d’avoir à se déplacer. Howard refuse et le licencie, estimant que William ne peut plus représenter la compagnie. De son côté, Biff ne connaît pas plus de succès dans son entreprise.
La famille se retrouve pour dîner. Alors que Willy ne veut pas entendre de mauvaise nouvelle, une violente dispute éclate. Biff reproche à son père d’avoir trompé sa mère lors d’un voyage à Boston. Il les a surpris et ne lui a jamais pardonné depuis. Son modèle paternel s’est effondré, les belles paroles avec. Willy reste seul à table, sous le choc.
De retour à la maison, Linda recarde Biff.
Attention must be finally paid to such a person!
Le fils tente de se réconcilier avec le père (cf Fences). Une nouvelle dispute éclate car Biff essaie de convaincre son père qu’il est juste ordinaire, ce que Willy refuse d’entendre.
Pop, I’m a dime a dozen and so are you…
I am not a dime a dozen! I’m Willy Loman and you are Biff Loman!
Préférant ignorer ce que dit son fils, Willy se perd dans ses délires. Il imagine que Biff devient un grand businessman. Encouragé par le fantôme de Ben, Willy provoque un accident de voiture en espérant que Biff puisse profiter de l’argent de son assurance vie.
Lors de l’enterrement, Biff est bien résolu à ne pas suivre les traces de son père.
C’est Happy qui est content de prendre la relève.
L’EXPLICATION
Mort d’un commis voyageur, c’est une transmission rompue entre le père et le fils.
Il existe un conflit de génération entre Willy et Biff. Le père conservateur vient d’un monde dans lequel il faut trimer dur pour gagner sa vie. La masculinité se définit par son boulot.
A man who can’t handle tools is not a man.
On passe en général une vie à pointer pour une seule et même compagnie. Avec des hauts et des bas bien sûr. Sans se plaindre. Le labeur finit par être récompensé. C’est la promesse. Le système fonctionne comme cela. « Fonctionnait » plutôt. Car le système est en train d’évoluer et Willy reste à quai.
He works for a company thirty-six years this March, he opens up unheard-of territories to their trademark, and now in his old age they take his salary away!
À mesure qu’il se rapproche d’une retraite qu’il redoute, il se rend compte qu’il n’a pas réussi (cf Hollywoodland), qu’il va se faire débrancher (cf Matrix) et qu’il est trop tard. Le temps ne se remonte pas. Ce constat le rend amer. Il a du mal à l’admettre (cf Rencontre avec Joe Black).
I’ve always made a point of not wasting my life. Whenever I come back here I know that all I’ve done is to waste my life.
Willy maudit la concurrence sur laquelle son système s’est pourtant construit. Il n’a pas été pris en traitre. Simplement, il n’arrive plus à suivre.
There’s more people! That’s what’s ruining this country! The population is getting out of control! The competition is maddening!
Il regrette le manque de respect. La machine s’emballe et se moque pas mal de ceux qui restent sur le carreau. Cette idée lui est intolérable.
There was respect and comradeship and gratitude in it. Today, it’s all cut and dried, and there’s no chance for bringing friendship to bear or personality. You see what I mean? They don’t know me anymore.
Plutôt que de cracher dans la soupe, il préfère défendre ce système qui l’a asservi mais malgré tout entretenu pendant des années ; et espérer que son fils réussisse là où il a échoué. Willy ne souhaite que le meilleur à Biff. Il veut survivre à travers son fils. Son métier est en train de mourir parce qu’il n’a plus d’énergie. Biff en a à revendre et peut entretenir la flamme.
Le problème c’est que Biff a envie d’autre chose. Il a observé son père et il est conscient que le système risque de le broyer lui-aussi. Son refus de devenir comme Willy est radical.
Will you let me go, for God’s sake? Will you take that phony dream and burn it before something happens?
Pendant que son père tire des plans sur la comète, Biff n’a aucune idée de quoi demain sera fait.
I tell you Happy, I don’t know what the future is. I don’t know what I’m supposed to do.
Il commence doucement à se faire à l’idée. Son esprit devient flexible contrairement à celui de son père, extrêmement rigide. Biff voit la vie comme une suite de possibilités. L’important est de se trouver plutôt que de se laisser enfermer dans un job qu’on n’aime pas.
I run out of that building and I see the sky, I see all the things I love in this world. The work, the food, the time to sit and smoke. And I look at this pen and I ask myself, « What the hell am I grabbing this thing for? Why am I trying to become something I don’t wanna become when all I want is out there waiting for me the minute I say I know who I am? »
Le père et le fils ne peuvent pas se comprendre. Alors qu’ils partagent pourtant la même aspiration : vouloir le mieux pour eux et leur famille. Ils ne s’entendent simplement plus sur la manière d’y parvenir.
Cette incompréhension tourne au drame puisque le sacrifice du père renforce la colère du fils. Biff n’avait rien demandé à Willy si ce n’est que de l’accepter ses choix, plutôt que de décider à sa place. Plutôt que d’être dans une continuité, ils sont devenus des forces contraires.
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