CLEVELAND CONTRE WALL STREET

CLEVELAND CONTRE WALL STREET

Jean-Stéphane Bron, 2010

LE COMMENTAIRE

Normalement quand on lève la main droite et qu’on dit je le jure, c’est qu’on va dire la vérité. Croix de bois, croix de fer, si on ment, on va en enfer. Pour peu que l’enfer existe évidemment. Toute la vérité, rien que la vérité donc… même si le phénomène de la rumeur ou des fake news nous font sérieusement questionner la notion même de vérité. Qu’est-ce qui est vrai ?

LE PITCH

Et si les victimes de la crise des subprimes avaient pu faire un procès aux traders (cf Le Loup de Wall Street) ?

LE RÉSUMÉ

La ville de Cleveland a massivement subi la crise des subprimes. Des citoyens lésés, en colère, se sont ligués pour mener des actions collectives contre les banques qu’ils accusent d’être responsables du cataclysme (cf Inside Job).

L’avocat Josh Cohen en est convaincu. Il réclame un procès auquel les 21 banques new yorkaises s’opposent farouchement. Un procès de cinéma, dans des conditions réelles, va pourtant bien avoir lieu. Il s’agit d’un vrai tribunal, en présence de vrais jurés, d’un juge de profession et des personnages non fictifs avec de vrais témoignages. C’est sérieux.

This is our god damn city, this is not an academic exercise.

Josh Cohen se trouve du côté des victimes de Cleveland. Keith Fisher défend les banquiers de Manhattan.

Un policier confirme que la ville a été sévèrement touchée. Il raconte les évictions avec des larmes aux yeux, évoquant une veuve de 86 ans qu’il a du faire partir de chez elle.

It was really really hard for me to deal with that because you know… it could have been my grand mother.

Un agent de maintenance raconte comment il s’est pris les pieds dans le tapis des crédits. Aujourd’hui, ce père de famille doit quitter sa maison qui va être mise aux enchères.

Un ouvrier dans le bâtiment doit également quitter son logement avec sa femme et leurs enfants. Lui aussi a cru aux promesses des agents qui venaient lui proposer un refinancement.

Un ancien trafiquant de drogue raconte comment il est devenu courtier, comment ses primes passaient du simple au double lorsqu’il faisait signer des subprimes. Il évoque aussi le peu de scrupule des banques.

If you have to make $2500 to get this loan but you only make $1400. You change the 1 in 2, the banks don’t care.

Un conseiller municipal confirme avoir vu les crédits se multiplier et avec eux, les évictions. La violence émerge. Il accuse Wall Street d’avoir mis en place des armes de destruction massive.

Un employé explique comment une banque conçoit ses logiciels de manière suffisamment flexible pour maximiser ses bénéfices. Jusque là, rien d’anormal. Les subprimes permettaient aux banquiers d’obtenir un profit 100x supérieur à un produit hypothécaire classique. Les gens classés « à risque » paient un taux d’intérêt deux fois plus élevé que le taux classique pour payer le risque que la banque prend en leur prêtant de l’argent.

C’est ainsi que plus de mille milliards de dollars ont été générés par les subprimes. Alors que ces produits vont contre le bon sens : si on ne peut pas rembourser un prêt à 7%, comment rembourser un prêt à 14% ? L’employé fait part de son sentiment de culpabilité.

I permitted the privileged few to exploit the unsuspected many.

Invariablement, Keith Fisher utilise l’argument du libre arbitre pour questionner la responsabilité des banques.

This is a sad story and it’s very tragic but it’s not the fault of Wall Street. Sometimes people take risks and people should be free to take risks. And sometimes they fail.

Pour Fisher, la responsabilité des banques n’a pas été prouvée. Personne n’a forcé personne. Pour Cohen, Wall Street a conçu et encouragé les subprimes qui ont conduit Cleveland dans le mur. Le jury délibère (cf 12 hommes en colère). Les débats sont houleux. Le verdict est rendu : 5 coupables, 3 non-coupables.

Le procès est perdu.

Tout le monde rentre à la maison, pour ceux qui en ont encore une. À la TV, Obama multiplie les promesses.

We’re going to make things right, (…) we’re going to change that!

On sait qui lui a succédé depuis.

L’EXPLICATION

Cleveland contre Wall Street, c’est la raison derrière la gronde populaire.

Deux camps s’affrontent au tribunal. D’un côté, le peuple et ses petites gens ruinés représentés par Cohen. De l’autre, la finance et ses riches banquiers représentés par Fisher. Entre les deux, un fossé qui se creuse. En jeu, la question de la responsabilité.

Who pays? Does Wall Street have to pay or does Cleveland has to swallow the cost?

Pour Cohen, les banquiers obsédés par le profit ont profité de la dérégulation pour imaginer des produits quasi immoraux leur permettant de profiter de la crédulité des pauvres et faire de l’argent sur leur dos.

À ce titre, Wall Street devrait être reconnu responsable et peut-être rendre une partie de ses bonus obscènes.

I think the banks took advantage of them.

Pour Fisher au contraire, ce qui s’est passé est certes déplorable, mais il a été permis par un système qui repose sur le libre-arbitre. Chacun doit prendre ses responsabilités. 

It was a guy, he made his own bed and now he has to sleep in it.

Les contrats ont été lus et signés en connaissance de cause. Il n’y a eu aucune malice de la part des banques. On ne va quand même pas infantiliser les gens au point de les prendre par la main ? Ce n’est quand même pas la faute des banquiers si les clients ne comprennent rien à ce qu’ils signent.

A subprime rate…?

Qui les obligent à signer ? Personne.

Pourquoi signent-ils ? Agrandir une maison qu’ils n’ont pas les moyens de payer ? Rembourser le crédit qu’ils ne peuvent plus payer ? Vivre le rêve Américain qu’on leur sert tous les jours à la TV et qu’ils ne peuvent pas s’offrir ?

On peut être Américain et ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre – souvent obèse (cf Super Size Me).

We have to learn to live within our means.

En filigrane, il s’agit là du procès du système. La dérégulation permet véritablement tout et n’importe quoi. On peut même gagner de l’argent en misant sur l’échec d’une entreprise (cf The Big Short)!

They got their bonuses based on my misfortune… That can’t be right.

Ce qui parait tout de même un peu étrange, à moins qu’on envisage la finance comme un Casino de Las Vegas (cf Casino). Après tout, certains savent jouer à la roulette. Les banques en profitent donc pour faire ce pourquoi elles existent : du profit. Des produits financiers complexes. Souvent incompréhensibles pour le commun des mortels qui signent sans se poser de question – jusqu’à ne plus pouvoir payer leurs traites.

Chacun pourra se faire son opinion.

Le constat est que ce système creuse les inégalités. De plus en plus de pauvres, toujours plus pauvres. Toujours plus exposés (cf American Factory). De moins en moins de riches, toujours plus riches. C’est un fait. Comme le fait remarquer un membre du jury qui votera « non-coupable » :

Everything was going so beautifully in America and then all of a sudden everybody is having a foreclosure.

Les Misérables, mis dehors par milliers, constituent désormais des groupes de protestation qui viennent frapper à la porte des puissants. Souffrant d’avoir été trop crédules. Ils ont signé de mauvais contrats. Se noyant et criant à l’aide (cf Titanic). Ils entendent Fisher leur répondre, aussi narquois qu’un Président Jupitérien (cf Le Casse du Siècle) :

If you’re going through hell… keep going. That’s what I’m asking you to do. Keep going, keep the American dream going.

Ces gens qui n’ont plus rien et à qui on demande de faire un effort ont donc le choix entre retourner trimer sans broncher pour continuer de faire fonctionner la machine avant qu’on ne les débranche (cf Matrix)… ou faire la révolution (cf V for Vendetta).

Pour qui voter après avoir perdu sa maison ?

Comment les banquiers réussissent-ils encore à se regarder dans une glace ? 

Le système peut-il être amélioré grâce à plus ou moins de régulation ?

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

4 commentaires

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.