GARDE À VUE
Claude Miller, 1981
LE COMMENTAIRE
Se mettre sur son 31. Faire bonne figure, en toute circonstances. Jusqu’à ce que les masques tombent. Ils finissent toujours par tomber. Le noeud papillon ne trompe alors plus personne.
LE PITCH
Un notable est suspecté du viol et du meurtre de deux fillettes.
LE RÉSUMÉ
Jérôme Martinaud (Michel Serrault), notaire bien connu à Cherbourg, est convoqué par la police le soir de la Saint Sylvestre. L’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura) et son adjoint Belmont (Guy Marchand) enquêtent sur une sale affaire : Deux fillettes ont été retrouvées mortes étranglées et violées, à quelques semaines d’intervalle.
Martinaud connaissait l’une d’entre elles et l’a découverte. Il est donc d’abord entendu comme témoin.
Son attitude interpelle. Ses réponses sèment le trouble.
Si j’avais le courage de tuer, ce n’est pas les petites filles que je choisirais.
Gallien a des doutes.
Il est coupable ou pas coupable?
Quand j’ai le dossier oui et quand je suis devant lui, je suis moins sûr.
Alors il muscle son interrogatoire en provoquant Martinaud par quelques insinuations qui mettent le notaire hors de lui.
Elles sont tellement ignobles vos questions que vous en avez honte!
Le ton monte. Martinaud s’emporte.
Permettez moi vous dire messieurs que vous commencez à me faire chier!
Gallien décide d’en faire son suspect. Il le place en garde à vue (cf Au Poste!), contre l’avis du commissaire divisionnaire (Jean-Claude Penchenat).
Belmont profite de quelques minutes seul avec Martinaud pour le passer à tabac. Malgré les coups, le notaire n’avoue rien.
Si j’ai tué personne, le sadique change de camp.
Martinaud parle de sa relation compliquée avec sa femme Chantal (Romy Schneider) dont il est séparé par un couloir.
Vous ne savez sûrement pas ce que c’est que de frapper à une porte qui ne s’ouvre pas monsieur l’inspecteur.
Elle est convoquée à son tour. Sa déposition est sans équivoque. Le notaire aurait tenu des propos déplacés envers sa nièce Camille (Elsa Lunghini) (cf 1 sur 5).
Il est ignoble Martinaud dès qu’il cesse d’être Maître Martinaud.
Épuisé, Martinaud passe aux aveux. Un rebondissement fait que le cadavre d’une autre fillette est retrouvée dans le coffre d’une voiture volée et remorquée au commissariat. Le meurtrier (Michel Such) était venu la déclarer quelques heures auparavant.
Martinaud est remis en liberté par Gallien, non pas par gaité de coeur.
Soyez gentil, allez vous en maintenant.
Devant le commissariat, Chantal attend dans la voiture. Lorsque Martinaud monte à bord du véhicule, il se rend compte que sa femme s’est suicidée. Il appelle à l’aide l’inspecteur.
L’EXPLICATION
Garde à vue, c’est se concentrer sur le mauvais sujet.
Toutes les personnes qui cherchent quelque chose dans la vie deviennent des sortes d’inspecteurs Gallien retranchés dans leur commissariat. On commence par se trouver un mystère mystérieux (cf Ne le dis à Personne)…
Est-ce que vous savez pourquoi vous êtes là?
Mieux qu’un problème à résoudre, un crime à élucider! On peut alors consacrer son temps à trouver un·e coupable, quitte à négliger son propre entourage et sacrifier sa vie entière (cf Prisoners, Zodiac).
De ce point de vue, Martinaud représente le parfait meurtrier : respectable et cynique à souhait. Celui qu’on rêve de coincer. Un beau puzzle avec de nombreuses pièces que Gallien rêve de réussir à assembler. Encore faut-il ne pas prendre le sujet à l’envers.
Les questions il faut les poser dans le bon ordre.
À force de se concentrer sur ce qu’on croit être la bonne piste, on peut passer à côté de l’essentiel sans s’en rendre compte. Ainsi le true detective Martin Hart explique que pendant toutes ses années, il a cru regarder dans la bonne direction sans réaliser qu’il négligeait le plus important : sa femme et ses deux filles.
De la même manière, Gallien s’est fait un film dans sa tête et a perdu le fil de la réalité (cf Insomnia). Encore un qui pense que le réel n’a pas eu lieu (cf La Fameuse Invasion des Ours en Sicile). En tout cas, pas comme il le souhaiterait. En effet, Gallien est convaincu de la culpabilité de Martinaud. Par conséquent, il n’écoute plus le témoin.
Vous poursuivez votre histoire pendant que je vous en raconte une autre.
En vérité, il n’écoute plus rien.
Quand est-ce que vous allez me dire quelque chose que je puisse croire?
On fait tous plus ou moins la sourde oreille.
Il est un peu comme vous votre collègue, il n’écoute que ce qui l’arrange.
Martinaud est devenu une idée fixe pour Gallien, son vilain petit canard, l’ennemi public numéro 1. Il est le coupable tout désigné. Ne reste plus à Chantal que jeter un peu d’huile sur le feu.
Il fait partie de ces hommes qui espèrent que les choses s’arrangent à condition qu’on n’en parle pas.
Martinaud n’est pas clair, ce qui entretient Gallien dans son obsession. Sa relation avec Camille. Son comportement lors de l’interrogatoire. Sa version des faits ne tient pas debout. Il ment. Son histoire est lugubre… autant que n’importe quelle histoire finalement. Totalement banale.
Vous n’avez jamais eu envie de tuer quelqu’un vous?
La garde à vue est la fin d’un exercice en entonnoir, une sorte de mise à mort. Convaincu de tenir sa proie, l’inspecteur va la travailler jusqu’à l’épuisement. Le processus se met en place. Les questions reviennent comme des boomerangs. Belmont donne quelques paires de claques. Gallien s’acharne. Martinaud n’a aucune chance. La fatigue se fait sentir. Comment le suspect ne peut-il pas passer aux aveux dans de telles circonstances, au cours de ce qui ressemble à une véritable séance de torture ?
Gallien ne fait que se perdre sur une fausse piste.
Il ne voit même pas que la situation est absurde. Le coupable s’est présenté de lui-même à la police, pour déclarer le vol du véhicule dans le coffre duquel il a laissé trainer l’une de ses victimes. Chantal s’est suicidée dans la voiture. Que valait sa version des faits ?
Gallien se trouve bien honteux. Il s’est trompé sur toute la ligne. À quoi sert-il ?
On pense connaître la solution.
Alors qu’elle se trouve tout bêtement sous nos yeux (cf Her).
Encore mieux, elle nous est parfois carrément servie sur un plateau.
On préfère regarder ailleurs (cf Le Prestige).