LES BAS-FONDS
Jean Renoir, 1936
LE COMMENTAIRE
Depuis tout petits, les hommes aiment se comparer entre eux (cf Compétition Officielle). Pas tant pour se rassurer du point de vue de leur masculinité que poussés par une insatiable curiosité envers l’autre. Fascinés, ils observent et se jaugent. L’homme entretient un certain sens de l’admiration envers lui-même.
LE PITCH
Deux hommes aux antipodes se retrouvent à la case départ.
LE RÉSUMÉ
Un baron (Louis Jouvet) est accusé de malversation. Ruiné, il va voir ses biens saisis par la justice.
De l’argent a disparu, beaucoup trop d’argent…
De son côté, Pépel Wasska (Jean Gabin) vit avec les termites dans un sous-sol tenu par Kostileff (Vladimir Sokoloff), et entretient une liaison avec sa femme Vassilissa Kostileva (Suzy Prim). Pépel s’en sort grâce à des petits cambriolages.
Il se trouve que le prochain a lieu chez le baron! Pépel est surpris de le trouver sur les lieux.
Vous n’allez pas appeler la police ?
Pourquoi faire ?
Le baron est complètement détendu puisqu’il n’a plus rien à perdre. Ce sont les huissiers qui vont lui rendre visite le lendemain.
Si tu trouves cinquante roubles tu auras bien de la chance! Pour le reste je te le donne, ce n’est plus à moi.
Les deux hommes sympathisent.
Trinquons entre collègues!
Désormais sans le sous, le baron rejoint la pension Kostileff. Il y est accueilli chaleureusement par les marginaux qui vivent à la cave (cf Parasite).
Ici on ne s’étonne de rien, tu pousses la porte et ça y’est tu fais partie de la famille. (…) On n’est pas plus mal ici qu’ailleurs.
Kostileff commence à être inquiété par la police. Pour éviter de finir au trou, il promet à l’inspecteur (André Gabriello) la main de sa jeune fille Natacha (Junie Astor).
Il n’y a vraiment pas moyen de s’arranger ?
Celle-ci est amoureuse de Pépel. Elle refuse. Kostileva s’énerve.
Tu ne te rends pas compte que nous en avons besoin de cet homme là! Il peut si ça l’amuse nous arrêter du jour au lendemain. (…) Enfin tu es une ingrate ou une imbécile ? Après tout qu’est-ce qu’il te demande ? Te voir un instant. Toi, ça ne te coute pas grand chose. Et nous ça peut nous tirer d’affaire. Natacha, tu n’as donc pas de coeur ?! Tu oublies que nous t’avons accueillie, nourrie, sortie de la rue!
Kostileff se fâche et châtie la jeune femme. Pépel intervient puis la foule s’en mêle pour lyncher Kostileff détesté de tous. Lorsque la police arrive, Kostileva dénonce son amant. Le baron prend la parole pour défendre son ami.
Ils sont tous aussi fautifs que Pépel.
Pépel est libéré et remercie son ami.
Baron, t’es un copain toi.
Natacha retrouve son amoureux et ils partent tous les deux, laissant la misère derrière eux.
Allez! En route!
L’EXPLICATION
Les Bas-Fonds, ce ne doit pas être une impasse.
La société est indéniablement divisée en deux avec la première-classe réservée à l’élite et la seconde classe où croupissent les oubliés. Les fameux bas-fonds.
L’essor de ce qu’on appelle les classes moyennes avaient pour but de combler le fossé entre les riches et les pauvres. Servir de passerelle pour rapprocher les deux mondes en quelques sortes. Tendre la main à celles et ceux du bas pour qu’ils se rapprochent un peu du haut.
Mais les classes moyennes ne progressent plus. La passerelle s’écroule. Donc la fracture sociale est plus que jamais béante. Pendant que l’élite s’occupent à définir les contours du monde de demain, dans les bas-fonds on s’ennuie ferme.
Ne rêve pas debout ça ne sert à rien. (…) On nait, on vit, on meurt, il n’y a pas à s’apitoyer là dessus.
Les gens des bas-fonds prennent la vie avec fatalisme. Ils attendent que le bateau coule sans espoir de grimper sur un canot de sauvetage (cf Titanic).
La mort apaise tout, elle est douce pour nous les pauvres. Tu ne souffriras plus.
On pourrait croire que le sommet est composé de gens bien éduqués, respectueux et disciplinés tandis que les bas-fonds sont peuplés de gens sans scrupule comme Kostileff ou Kostileva. Inversement, on pourrait imaginer que dans les bas-fonds les gens ont le coeur sur la main – parce qu’ils n’ont rien d’autre (cf Bienvenue chez les Ch’tis). Tandis que les riches qui ont tout pour être généreux ne font rien qui ne soit désintéressé (cf House of Gucci).
Ce n’est pas si chic que tu le penses, et c’est à charge de revanche.
La vérité est ailleurs. Ce n’est effectivement pas aussi simple (cf Insomnia), comme le fait remarquer Pépel.
Les ivrognes ne sont pas toujours ivres et les voleurs ne sont pas toujours en prison. Tout de même ça s’arrange un peu.
La rencontre entre le baron déchu et le cambrioleur romantique l’illustre très bien. Tous les deux partagent les mêmes frustrations.
On espère toujours le grand coup qui vous suffira pour toute la vie et puis il arrive jamais…
Mon pauvre ami, tout le monde en est là.
L’experience du baron prouve qu’il est possible de dégringoler. Si dans les bas-fonds, on a l’impression que son identité est diluée au milieu des autres ; quand on est dans les hautes sphères, on peut être destitué·e. Ce qui est presque pire.
Vous savez pas ce que c’est que de perdre son nom!
Le baron et le cambrioleur rament donc dans la même galère.
La vie te plait…?
Ça dépend des jours…
Les pauvres pensent qu’ils ne peuvent rien faire et les riches n’ont pas l’impression de faire autant que ce qu’ils voudraient. Le baron a cru que sa vie avait un sens, jusqu’à ce qu’il perde sa chemise.
Quand je pense à ma vie, il me semble que je n’y ai fait que changer de costume.
Preuve que nous sommes toutes et tous logé·es à la même enseigne.
Dieu n’entend pas ses Saints mieux que les autres.
Pour ne pas se retrouver coincé·e, il est possible de penser différemment pour mieux naviguer entre les mondes. Plutôt que de penser à la verticale, on peut considérer la vie à l’horizontale. Plus d’histoire d’ascenseur social en panne. Une route s’ouvre devant nous.
Plutôt que de se recroqueviller dans son chateau, ou pourrir au fond de sa grotte, redevenir nomades (cf Nomadland). Prendre son baluchon comme Pépel et Natacha. Être heureux.