PERFECT DAYS

PERFECT DAYS

Wim Wenders, 2023

LE COMMENTAIRE

À trop chercher constamment des formes de gratifications instantanées, on finit par ne plus apprécier quoi que ce soit. Il faut tout de suite enchaîner sur autre chose, plus vite. Une boulimie de sollicitations, sans aucune parenthèse. Prendre le temps est désormais inconcevable. On ne s’assied plus sans se réfugier immédiatement sur son smartphone pour y checker ses notifications ou écouter des messages audio – en accéléré. Les choses simples n’émerveillent plus personne. Même le faire remarquer ne semble plus suffisant pour mériter l’attention.

LE PITCH

Un homme solitaire trouve de la beauté dans la routine de son quotidien.

LE RÉSUMÉ

Hirayama (Kōji Yakusho) est ce qu’on appelle un agent d’entretien. Il nettoie les toilettes publiques de Tokyo. Chaque matin, il se lave le visage puis se taille la moustache. Après quoi, il arrose ses plantes. Il se paie une canette de café au distributeur puis prend la route. Dans sa voiture, il écoute des albums des années 70 qu’il a sur cassettes.

Le jeune Takashi (Tokio Emoto) assiste Hirayama dans son service. Il est beaucoup plus bavard.

Je déteste le service du matin, il y a toujours du vomi partout!

Takashi nourrit une forme d’incompréhension concernant l’éthique professionnelle de Hirayama.

Comment pouvez-vous vous investir autant dans ce travail ? Je n’aurai pas de réponse…

Les jours se suivent. Hirayama se lève, se lave, se taille la moustache, arrose ses plantes, prend son café et commence son service. Il s’arrête régulièrement dans un sushi bar du métro (cf Jiro dreams of Sushi). Le soir, il lit. Lorsqu’il s’endort, il rêve en noir et blanc. Des idéogrammes s’entremêlent aux silhouettes qui ont marqué sa journée.

Parfois des enfants se cachent dans les toilettes. Hirayama explique aux touristes leur fonctionnement, ou laisse la place aux hommes qui sont pressés. Il prend son déjeuner dans un parc avec souvent la même jeune femme assise sur le banc voisin. Un sans abri (Min Tanaka) qu’il croise souvent attire son attention.

Hirayama remarque que quelqu’un a laissé une feuille de papier avec le début d’une partie de morpion. Intrigué, il complète la feuille puis la replace au même endroit. Le lendemain, quelqu’un a joué son tour. La partie se poursuit jusqu’à ce que l’inconnu·e remercie Hirayama.

Takashi a besoin d’argent pour sortir avec sa petite amie Aya (Aoi Yamada). Il propose à Hirayama de faire un tour dans une boutique de musique.

Il faut vendre toute votre collection!!

Celui-ci refuse et lui donne quelques billets en échange. Finalement, Takashi appelle Hirayama un beau matin pour lui annoncer qu’il démissionne.

Niko (Arisa Nakano), la nièce de Hirayama, s’invite chez lui pour quelques jours. Elle l’accompagne à son travail, et fait du vélo avec lui. Elle s’amuse du fait que son oncle semble vivre dans un autre monde.

C’est sur Spotify ?

Je ne sais pas. Ça se trouve où ?

Quoi donc ?

Ce magasin.

Jusqu’à ce que la mère de Niko (Yumi Asō), avec laquelle Hirayama est en froid, ne vienne la récupérer. Elle échange brièvement avec son frère.

Tu nettoies vraiment les toilettes…?

La vie continue. Hirayama se rend au restaurant de Mama (Sayuri Ishikawa). Il l’aperçoit dans les bras d’un homme (Tomokazu Miura). Hirayama s’imagine des histoires sur cette femme, et cet homme. Il s’agit en fait de son ex-mari venu la retrouver. Ce dernier retrouve Hirayama sur les bords du Sumida. Il lui confesse qu’il souffre d’un cancer et qu’il avait besoin de revoir son ex-femme.

Ce n’est pas ce que vous croyez.

Tous les deux sympathisent et s’amusent avec leurs ombres.

Le lendemain matin, Hirayama reprend le volant sur Feeling Good de Nina Simone. Il regarde sa route avec un sourire et des larmes dans les yeux, pendant que le soleil se lève.

L’EXPLICATION

Perfect Days, c’est se contenter d’être là.

Hirayama est un homme très discret (cf The Barber). Il ne fait pas de bruit, ni d’histoire. Chaque jour, il va travailler comme un agent d’entretien auquel on ne prête pas attention. Pourtant, il est extrêmement consciencieux comme s’en étonne Takashi.

Détendez vous! Ça ne va pas rester propre longtemps.

Pourquoi autant mettre autant d’efforts dans une tâche qu’il faudra reproduire à nouveau le lendemain ? Hirayama donne l’impression d’être un Sisyphe heureux. Si les toilettes de Tokyo sont si propres, c’est un peu grâce à sa contribution. Il s’en satisfait.

Surtout, ce métier lui permet de rester attentif à son environnement. Hirayama aime regarder le vent dans les branches. Il prend des photos qu’il conserve religieusement dans une armoire. Un matin, il aperçoit une pousse au pied d’un arbre, qu’il se permet de récupérer pour compléter sa collection. Chaque soir, il réussit à lire des livres. Il n’a pas de smartphone.

Hirayama vit un peu à l’ancienne, ce qui ne l’empêche pas de vivre. Au contraire, il semble bien plus connecté au monde que les personnes qui l’entourent. Sur l’autoroute, il est le seul qui prend la direction du Nord tandis que des embouteillages bloquent la direction du Sud. Au moins, il avance.

Takashi considère Hirayama comme un OVNI.

Vous ne vous sentez pas seul ?!

Mama a plutôt tendance à admirer cet homme qui parle très peu.

Vous êtes un intellectuel!

Un homme qui apparait étonnement libre face à une modernité qui enchaîne.

Pourquoi les choses doivent elles changer ?

Niko est contente de se rapprocher de son oncle et passer quelques jours avec lui. Face à son impatience, il a toujours une réponse qui l’apaise.

On va voir l’océan maintenant ?

Non, plutôt la prochaine fois.

… C’est quand la prochaine fois ??

La prochaine fois, c’est la prochaine fois. Maintenant, c’est maintenant.

Imparable.

Hirayama ne cherche pas à se mettre en avant. Il n’attend pas qu’on le remercie. Rien ne l’agace. Il n’a pas de frustration. On ne l’entend pas se plaindre. À vrai dire, on ne l’entend pas. À peine esquisse-t-il un semblant de tristesse lorsqu’il pense que Mama se remet en couple avec son ex-mari. Tomoyama se révèle être un homme épuisé, qui a vu sa vie lui filer entre les doigts. Comme beaucoup, il s’est empressé de tout faire et tout voir sans y parvenir. À présent, il doit quitter la scène avec l’impression désagréable d’une vie inachevée.

Tellement de choses que je ne sais pas… C’est comme ça que la vie se termine.

Tous ces gens qui jettent de l’huile sur le feu de leur anxiété en cherchant à remplir le vide avec n’importe quoi. Courir après le temps qu’on perd à regarder des contenus en boucle sur son écran pendant des heures. Au contraire d’Hirayama qui s’est mis en retrait, pour continuer d’accueillir les événements de la journée comme autant de surprises. Ce qui lui permet d’apprécier des choses toutes simples. Sa vie est un verre à moitié plein.

On pourrait croire, comme Takashi, qu’Hirayama est un homme extraordinaire. Une sorte de moine bouddhiste sur lequel rien n’aurait d’emprise et qui aurait percé le secret du bonheur.

En réalité, Hirayama est comme tout le monde. Un anonyme perdu dans une megalopole où l’individu est noyé dans la fourmilière. Ce qui distingue Hirayama, c’est qu’il est simplement content d’être là (cf Paterson). Ce qu’on ne sait plus être.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

2 commentaires

  • Bonjour,

    Et merci pour ce commentaire très agréable à lire.

    À mon sens, le départ de Takashi est une séquence qui mérite d’être approfondie puisque nous voyons qu’Hirayama, que nous avons appris à apprécier, perd soudainement pied face à cette surcharge de travail et ce déséquilibre dans sa routine. D’un coup, l’on voit que l’harmonie commence à se fissurer et notre héros ne peut plus faire face qu’à son travail devenu harassant et humainement « humiliant » : la fatigue l’empêche de s’adonner à ses activités préférées et enrichissantes, notamment la lecture. Il ne trouvera même pas la force de se laver. Le beau, offert par la répétition, se transforme en sale et harassant. Malgré toute son application et sa vie solitaire, il devient malgré lui celui qu’il ne veut pas être. Heureusement, cela ne durera qu’un jour!

    Un rapprochement peut aussi être effectué avec la séquence dans laquelle il est confronté à sa sœur, qui semble être son opposée exacte, ayant quant à elle suivi les injonctions familiales et sociales afin de profiter d’un luxe matériel en contrepartie d’une pauvreté affective, en témoigne la relation qu’elle a avec sa propre fille. Peut-être ici aussi un renvoi à une vie passée et fuie…

    • Merci Göetz Guilbeau pour ce commentaire. Votre interprétation est intéressante et montre qu’une routine parfaitement maitrisée peut conduire à la satisfaction, même dans le cas d’une occupation peu reluisante comme nettoyer les WC publics. Hirayama a trouvé son équilibre. Quand sa nièce arrive, elle conduit également à une petite forme de dérèglement…

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