CIVIL WAR

CIVIL WAR

Alex Garland, 2024

LE COMMENTAIRE

Les récentes sorties médiatiques des dictateurs modernes ont toutes été tournées en ridicule : menaces farfelues de construire des murs, de lancer des offensives, d’annexer leurs voisins ou encore d’avoir recours à l’arme atomique (cf Dr Folamour). Il serait peut-être temps de les prendre au sérieux. Car si les lunettes roses paraissent grotesques, l’arme est bien réelle.

LE PITCH

Une équipe de reporters traverse une Amérique en guerre avec elle-même.

LE RÉSUMÉ

Le Président des États-Unis (Nick Offerman) s’apprête à prendre la parole devant une nation fracturée (cf L’âme divisée de l’Amérique), alors qu’il exerce son troisième mandat de manière autoritaire.

We’re closer than ever to a historical victory… God bless America.

En effet, l’Amérique voit les forces de l’Ouest de la première République de Californie et la seconde République du Texas s’affronter avec celles des états loyalistes. Pendant que l’alliance de Floride compte les points.

La photo reporter Lee Smith (Kirsten Dunst) et son collègue Joel (Wagner Moura) veulent interviewer le Président alors que les forces sécessionnistes marchent vers Washington DC. Ils emmènent avec eux Sammy (Stephen McKinley Henderson) et la jeune Jessie (Cailee Spaeny).

Miliciens et soldats se tirent dessus, à se demander comment ils peuvent ne pas se confondre.

You dont know what side they are fighting for.

Au cours de leur voyage, les journalistes font des haltes dans des stades universitaires transformés en camps de réfugiés ou traversent des villes qui font comme si rien ne se passait.

You are aware there’s a really huge civil war going on everywhere…?

We usually try to stay out of it. With everything that’s been going on, it seems like it’s for the best.

En route, les journalistes font de mauvaises rencontres. Un soldat nationaliste (Jesse Plemons) et son commando jettent des corps dans une fosse. Mieux vaut répondre correctement aux questions qu’il pose.

What kind of American are you..?

Sammy est victime d’une balle perdue. Joel, qui a perdu ses amis, craque.

À Charlottesville, les journalistes apprennent que les forces loyalistes ont abdiqué. Les forces de l’Ouest vont reprendre la Maison Blanche. Ce n’est plus qu’une question de temps.

Lee et Joel suivent les forces armées dans leur progression. Jessie est de plus en plus exposée aux horreurs du conflit. Lee se sacrifie pour la protéger.

Le Président est capturé puis exécuté, sous les yeux de Jessie.

L’EXPLICATION

Civil War, c’est constater les dégâts.

En dehors des cabinets d’assurance, peu de personnes ont envie de penser à l’éventualité que les choses puissent mal tourner. Tout le monde fait semblant d’ignorer l’apocalypse au coin de la rue. Par confort, on s’attache à l’idée que continue comme d’habitude. On évite de se poser trop de questions, en particulier celles qui fâchent.

Once you start asking those questions you can’t stop. So we don’t ask. We record so other people ask.

C’est presque naturel. Si chacun·e est conscient que le système est imparfait (cf The Big Short), on espère que le système ne se défasse pas – pour reprendre les termes de Camus. On ne veut pas considérer la possibilité du chaos, bien qu’elle existe (cf Joker).

Sleep any chance you get. You never know what’s coming around the next corner.

C’est ainsi que trois générations qui n’ont pas connu la guerre autrement qu’à travers les récits de leurs grands-parents, ont carrément oublié l’Histoire. Comme si la guerre appartenait au passé. On nie la possibilité de se retrouver en guerre soi-même. D’ailleurs, les conflits se déroulent plutôt ailleurs en Ukraine ou au Proche-Orient – sur les écrans. C’est bien commode. Les conflits ne nous concernent pas directement et ne doivent pas nous empêcher de continuer à faire du shopping.

Et si on faisait à nouveau la guerre ? Pire : et si l’on se faisait la guerre (cf Athena)? Et si cette guerre avait lieu là où on l’attend le moins, c’est à dire aux Etat-Unis ? Le spectre d’une nouvelle guerre civile pourrait ressurgir plus vite qu’on ne le pense.

Il y a seulement quelques années, il était tout simplement impensable que le rêve américain puisse s’achever. Pourtant, l’Occident ouvre enfin les yeux sur la fébrilité d’États-Unis qui se fissurent. La concurrence (cf There will be blood), la propriété privée, le profit à travers la consommation sur fond de dérégulation… Les Etats-Unis ne semblent plus être à la hauteur des nouveaux défis sociétaux et environnementaux. Le gendarme du monde peine à maintenir le monde en équilibre. Et pour cause, il n’arrive même plus à garantir l’unité sur son propre sol.

Lee, Joel et Jessie sont trois spectateurs de ce naufrage (cf Sans Filtre). Comme tout le monde, ils n’arrivent pas à en croire leurs yeux.

It’s not our story.

Impensable pour eux de devoir prendre les escaliers pour éviter de se retrouver coincés dans l’ascenseur suite à une coupure de courant.

We offer the option to use the stairs.

Impensable d’imaginer ne pas pouvoir se servir d’une pompe à essence à cause de l’inflation galopante. Pas aux Etats-Unis d’Amérique!

$300 buys you a sandwich.

Lee, Joel et Jessie ne se reconnaissent pas dans ce qui est en train de se passer. Ce n’est pas possible.

There has to be some mistake. We’re American, right?

À force de regarder derrière l’objectif de leur appareil, ces reporters n’ont rien vu venir. Lee fait des cauchemars de ces reportages passés. Joel refuse de voir le monde tel qu’il est. Jessie porte des baskets en matière écologique. Les voilà plongé·es de force dans une réalité qu’ils ne faisaient que photographier jusque là. Ils ont vu l’histoire défiler devant leurs yeux et se retrouvent désormais en première ligne – les deux pieds dedans, sans s’en être rendu compte.

We’re too late, we missed the story. 

Tout indiquait pourtant que les Etats-Unis étaient bien une poudrière :

Un Président despote qui incite la foule à se lancer à l’assaut du capitole après avoir perdu les élections.

Des massacres de masse (cf Bowling for Columbine).

Des kilos en trop (cf Super size me).

Un complot (cf JFK).

Trop d’excès (cf The Wolf of Wall Street).

Du racisme (cf LA 92).

Trop de bêtise (cf Idiocracy).

Quelques usines qui ferment (cf American Factory).

Trop de misère (cf The Florida Project).

Lee n’a pas survécu à cette fin du monde. Joel va sans doute souffrir de syndromes post-traumatiques jusqu’à la fin de ses jours. C’est maintenant à Jessie de se faire violence pour reconstruire sur ce champ de ruines. Bon courage.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

2 commentaires

  • Merci pour cette explication qui est assez chouette.
    Toutefois il manque vraiment une dimension politique à l’histoire. Le film s’appelle Guerre Civile et on a aucune idée du pourquoi du conflit. Comme vous le dites, les belligérants ne sont pas différenciés. Ça donne une vision neutre de Miss Univers « tout le monde a tort, la guerre c’est mal ». Je pense que c’est ce qui explique la fin toute molle en mode « tout ça pour ça ».
    Les journalistes passent bien pour des gros vautours en road trip qui attendent leurs kilos de viande, c’est caricatural la vision du métier. Risquer sa vie pour la fame quoi.

    • Merci Lou pour ce commentaire. Je suis d’accord avec vous : la dimension politique de cette guerre civile n’est effectivement pas abordée. On soupçonne quelque chose de complexe entre des états loyalistes et d’autres sécessionnistes, sans comprendre pourquoi. Ce n’est pas le sujet. Éluder l’origine du conflit oblige le spectateur à se concentrer sur le chaos vécu par ces journalistes qui traversent le pays comme s’il était devenu un jungle. Civil War est un film témoin d’action, plus qu’un film intellectuel, qui se termine sur un constat d’impuissance : Les Etats-Unis sont revenus à un état de violence primaire. Personne n’a pu l’empêcher.

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