LE MAL N’EXISTE PAS

LE MAL N’EXISTE PAS

Ryusuke Hamaguchi, 2023

LE COMMENTAIRE

En 2007, Elise Pottier affirmait que le bonheur n’existe pas. Tout un microcosme s’était pris de passion pour sa berceuse. Aujourd’hui, Elise Pottier n’existe plus elle-même. On peut la chercher partout, on ne la trouve nulle part depuis 2012. Preuve que l’on peut passer chez Michel Drucker ou Anne-Elisabeth Lemoine, puis disparaitre définitivement des radars. Rien n’est éternel.

LE PITCH

Un projet urbain bouscule l’équilibre rural.

LE RÉSUMÉ

Takumi (Hitoshi Omika) et sa fille Hana (Ryô Nishikawa) parcourent la forêt. Tous les deux savent bien faire la différence entre chaque arbre. Il est l’homme à tout faire des habitants du coin. La vie parait paisible jusqu’à l’arrivée de Takahashi (Ryûji Kosaka) et Mayuzumi (Ayaka Shibutani).

Ces deux employés de Playmode sont venus présenter un projet pour profiter de l’essor du glamping : contraction de glamour et camping. Une tendance post covid chez les Tokyoïtes.

Une rencontre fascinante avec la nature vous attend…

Ils sont reçus avec beaucoup de retenue par les habitants.

Vous parlez d’optimisation mais vous ne pensez qu’aux bénéfices!

En effet, les locaux émettent quelques réserves à propos de la construction d’une fosse septique qui risquerait de polluer la nappe phréatique (cf Promised Land). Derrière l’opportunité économique, Takumi ne comprend pas le rationnel.

Il y a trop de choses incompréhensibles…

Puis il y a les cerfs sauvages qui pourraient représenter un danger. Sans parler du gardiennage 24h/24 nécessaire pour éviter les risques d’incendie. Devant ce projet qui ne tient visiblement pas debout, le maire fait également entendre sa voix – avec toute la retenue qui l’honore.

L’eau s’écoule vers le bas. (…) Les gens d’en haut doivent agir de manière responsable. (…) C’est notre priorité que vous compreniez.

Takahashi et Mayuzumi se retrouvent dans l’embarras.

Votre remarque est pertinente et nous en tiendrons compte. (…) Nous ferons remonter votre point. (…) Le PDG de notre société, c’est lui qui aura le dernier mot.

D’autant que Playmode veut avancer vite pour bénéficier de subventions. Le Président tranche dans le vif entre deux réunions en vidéo-conférences prises depuis sa voiture.

Le mieux est l’ennemi du bien. (…) On ne peut plus faire machine arrière. C’est pour la bonne cause! (…) Je vous rappelle que ça paie aussi vos salaires!!

Takahashi et Mayuzumi retournent au village. Ils ont en tête de convaincre Takumi de devenir le gardien des lieux, moyennant une bouteille de vin.

Takumi ne boit pas.

Takahashi s’émerveille et se verrait bien changer de vie.

Alors que Mayuzumi voulait se rendre à la gare pour rentrer à Tokyo, la petite Hana a disparu.

Takumi finit par la retrouver au petit matin dans un champ, face à un cerf blessé. Lorsque Takahashi veut lui venir en aide, Takumi lui saute à la gorge et l’étrangle. Après quoi, il évacue Hana qui saigne du nez.

L’EXPLICATION

Le Mal n’existe pas, c’est le péril de la gentrification.

La gentrification est une transformation sociale qui se traduit par la transformation matérielle et symbolique de l’espace :  Un processus d’appropriation d’un espace populaire par des groupes sociaux issus des classes supérieures (cf Germinal).

Ce phénomène est une conséquence de la société telle qu’elle a été pensée. Avec un système dérégulé basé sur le recherche de l’accumulation du capital, ce qui permet aux possédant·es de prospérer davantage. Les riches, toujours plus riches, ont naturellement besoin de plus d’espace vital pour s’étendre et donner du sens à leur fortune, au détriment des classes populaires.

La chance sourit à ceux qui ne courent pas après. C’est injuste, mais c’est comme ça.

La gentrification n’est pas un mal au sens où elle se présente toujours derrière une promesse de progrès : tout le monde en profitera. Le projet de Playmode a vocation à dynamiser le secteur, avec la garantie que les touristes vont affluer et avec eux, de nouvelles sources de revenus.

Les personnes derrière la gentrification sont des gens intelligents, qui réfléchissent plus vite que la moyenne, comme le patron de Playmode.  Même s’ils réfléchissent sur le papier. Leurs décisions ont des conséquences réelles alors qu’elles s’appuient sur des graphiques et des prévisions de taux de croissance souvent optimistes. En quelques sortes, ils vivent déjà dans une forme réalité synthétique. Le réel devient ce qu’ils veulent en faire, pas l’inverse.

Par ailleurs, ces utopistes sont souvent des gens qui s’ennuient. Ils inventent tout un tas de désirs car on ne saurait se satisfaire d’une poignée de besoins. On se retrouve dans une ré-interprétation de l’épicurisme où profiter de la vie veut dire profiter au maximum d’absolument tout, plutôt que de contenter de ce que l’on a. Il en faut donc toujours plus. Ce qui conduit des personnes à inventer des concepts ridicules comme le camping glamour – dont on ne sait pas vraiment ce que cela signifie.

Par ailleurs, les acteurs de la gentrification sont frustrés à l’image de Takahashi et Mayuzumi qui n’aiment pas leur boulot, ni leurs collègues.

C’est un ramassis de cons, comme je me l’imaginais.

Parce qu’ils ne vivent pas dans le réel, ces citadins nourrissent les fantasmes les plus fous comme celui de partir vivre à la campagne pour reconnecter avec la nature. Pas sûr qu’ils en soient capables. Enfin, ils veulent y croire. Quitter Paris pour devenir fleuriste en Province, faire de la décoration d’intérieur ou ouvrir un bar… Comme si c’était facile. Il suffit de réussir à couper du bois pour que Takahashi s’imagine en bûcheron.

En réalité, ils ne se rendent pas compte de l’écosystème qui les entoure. Ils ne connaissent rien aux arbres comme Takumi et Hana. De la même manière, leur intention d’installer une fosse sceptique au mépris de la santé des habitants prouve qu’ils n’ont absolument rien compris à l’importance de l’eau pour le village.

Avec cette fosse sceptique, mon monde serait complètement bouleversé!

(…) L’eau restera plus propre qu’en ville!

Les personnes derrière la gentrification s’en moquent. Ils ne prennent pas la responsabilité de leurs décisions. D’ailleurs ni le PDG ni le consultant de Playmode ne se déplacent pour affronter la population.

On continue d’avancer nonobstant, guidé par l’obtention de subventions. Et l’on s’étend sans se soucier du reste, comme de la faune. Ce que vont devenir les cerfs qui étaient là avant eux n’est clairement pas leur souci.

Où est ce qu’ils iront?

Quelque part ailleurs j’imagine?

En réalité, rien n’est leur problème.

Quelqu’un devra en faire les frais!

Pour eux en tout cas, il n’y a pas de mal.

Takumi est l’homme qui s’oppose à cette gentrification. Il a la sagesse d’écouter avant de parler. Face au discours de Playmode, il n’émet pas un jugement éthique. Il évalue les risques.

Takumi est respectueux des lieux et se considère comme un locataire de passage sur cette planète, pas un propriétaire terrien à qui tout est dû.

Quelque part, nous sommes tous des étrangers.

Il observe son environnement et s’appuie sur des faits, n’hésitant pas à mettre les employés de Playmode face à leurs contradictions si besoin.

Vous venez de nous dire que vous ne pourrez pas tout anticiper…

Il s’érige en défenseur du village et de ses intérêts. Lors de la réunion de présentation, Takumi donne un avertissement sans frais.

Si vous en faites trop, l’équilibre sera rompu!

Cela n’est pas suffisant pour arrêter les gens de Playmode qui reviennent à la charge avec des cadeaux pour l’amadouer. Alors Takumi veut faire définitivement barrière à la gentrification pour préserver sa fille, tant qu’il est temps.

C’est pourquoi il conduit discrètement Takahashi dans la forêt et détourne son attention pour mieux le neutraliser.

Il n’y a pas de mal, là non plus.

LE TRAILER

Cette explication n’engage que son auteur.

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