PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

Céline Sciamma, 2019

LE COMMENTAIRE

Le présent fuit sous nos pas. À force de toujours regarder vers l’avant, on finit par ne plus savoir d’où l’on vient. On prend ainsi le risque de perdre le fil. Pour peu que l’on se retourne de temps en temps, on peut se rappeler de moments brûlants ou de personnes marquantes qui ont contribué à rendre notre aventure si passionnante. On se rappelle d’un regard qui donne du sens à notre histoire.

LE PITCH

Une jeune peintre tombe amoureuse de sa muse.

LE RÉSUMÉ

Marianne (Noémie Merlant) est sollicitée par une comtesse (Valeria Golino) afin de faire le portrait de sa fille Héloïse (Adèle Haenel). Le tableau sera ensuite envoyé à un noble Milanais qui décidera de consentir, ou pas, au mariage. Au XVIIIe siècle, l’amour fonctionnait ainsi.

Le problème est qu’Héloïse ne peut pas se voir en peinture. Marianne doit donc se faire passer pour une dame de compagnie et travailler de mémoire. Chaque jour, elle capture des détails comme les pièces d’un puzzle qu’elle essaie de reconstituer sur la toile.

Au cours de leurs sorties quotidiennes, les deux jeunes femmes se trouvent une certaine complicité. Son tableau terminé, Marianne refuse de trahir la confiance d’Héloïse et lui révèle la véritable nature de se présence sur l’île. Le travail ne plait pas. Tout est à refaire.

La comtesse partie en voyage, Marianne et Héloïse entament une liaison. Ensemble, elles accompagnent Sophie (Luàna Bajrami), la servante, au cours de son avortement. Elles débattent sur Orphée et la mort d’Eurydice.

Il ne fait pas le choix de l’amoureux, il fait le choix du poète.

Assistent à un rassemblement de femmes au cours duquel la robe d’Héloïse prend feu.

Le retour de la Comtesse sonne la fin de la récréation. Le tableau est validé.

Cette fois-ci je l’aime bien.

Peut-être parce que je vous connais un peu mieux.

Peut-être que j’ai changé aussi depuis.

Cependant, la vision d’Héloïse en robe de mariée ne cesse de hanter Marianne, jusqu’au moment de leurs adieux.

Ne regrettez pas. Souvenez-vous.

L’artiste reverra Héloïse par deux fois. D’abord sur un autre tableau où Héloïse pose avec sa fille, tenant dans la main un livre ouvert à la page 28 – page sur laquelle Marianne lui avait dessiné son auto-portrait. La seconde fois à l’occasion d’un concert de Vivaldi, un compositeur que Marianne avait fait découvrir à son amante, visiblement encore très émue.

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L’EXPLICATION

Le portrait de la jeune fille en feu, c’est n’oubliez jamais.

On ne fait pas vraiment ce qu’on veut dans la vie. Regarder, sans toucher. Toucher, sans manger. Manger, sans avaler (cf L’Associé du Diable). Une existence remplie de frustrations. Si l’on en souffre énormément aujourd’hui, c’était pire à l’époque. En exil, Heloïse est la prisonnière de cette réalité comme un oiseau mis en cage alors qu’il n’ambitionne que de pouvoir profiter du grand air. Ça bouillonne.

Ça fait des années que je rêvais de faire ça.

Mourir?

Courir.

Autant dire que le futur terrorise Héloïse car il manque singulièrement de visibilité et surtout, il ne lui offre aucun contrôle. Sa mère décide de tout. La jeune fille est isolée sur son île, coupée du monde. L’idée de ce mariage arrangé, avec un Milanais qu’elle ne connaît même pas, ne peut pas lui convenir. Tout a été écrit à l’avance, ce qui lui est insupportable.

Vous parlez de ce destin comme s’il était terrible. (…)

Je sais que vous devez vous unir à un Milanais, c’est tout.

C’est tout ce que j’en sais aussi. Vous comprenez que ça m’inquiète ?

Héloïse ne veut pas renoncer. Au contraire, elle veut absolument choisir. C’est pourquoi elle refuse de se faire peindre, ce qui l’empêche aussi d’avancer. Marianne va prendre le temps d’écouter ses angoisses et de la rassurer. Dans ce monde là, Marianne lui rappelle qu’on essaie simplement de s’en sortir comme on peut. On avance à tâtons, ce qui n’est déjà pas si mal. Chacun dérive en essayant de ne pas couler.

Je ne sais pas si je sais nager.

Vous savez flotter.

Cette relation n’est pas unilatérale. Marianne se révèle également grâce à Héloïse qui lui fait comprendre qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie – et que c’est un problème. Jusque là, Marianne se contentait simplement de suivre ce qu’on lui disait de faire. Heureuse dans sa soumission. À l’aise dans une forme de détachement. La voilà désormais chahutée.

Il y a des règles, des conventions, des idées.

Vous voulez dire qu’il n’y a pas de vie, de présence ?

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Les deux femmes se trouvent car elles traversent les mêmes doutes.

Je n’aimerais pas être à votre place.

Nous sommes à la même place.

Elles se séduisent de par leur sensibilité, conscientes malgré tout qu’il ne s’agit que d’un rêve et qu’elles devront se réveiller, chacune dans un lit différent. Leur séparation est inéluctable. Si elles refusent cette réalité, elles se heurtent à un mur. Rien à faire. On se fait mal. La pensée qu’Héloïse puisse lui échapper rend Marianne possessive, ce qui fait enrager une Héloïse impuissante. La dispute éclate.

Maintenant que vous me possédez un peu vous m’en voulez. Vous n’êtes plus de mon côté, vous me reprochez la suite, vous n’êtes plus solidaire. Imaginez moi triste ou malheureuse, si ça vous rassure. Mais ne m’imaginez pas coupable.

Les deux femmes ne veulent pas être écrasées par la vie. Elle vont finalement trouver un subterfuge, en s’inspirant d’Orphée à qui Hadès avait donné une chance de retrouver Eurydice puis qui a préféré ne pas la ramener du royaume des morts.

Si la vie les contraint à ne plus se fréquenter, cela ne doit pas être une fatalité. Plutôt que de vouloir garder l’autre à tout prix, jusqu’à ce que mort s’en suive (cf Cold war), elles acceptent de laisser l’autre s’en aller. Descendre jusque dans les enfers pour la saluer une dernière fois et mieux s’en souvenir.

La vie décide à notre place. Marianne et Héloïse montrent qu’on peut ne jamais perdre les personnes qu’on croise sur sa route (cf La La Land). Le souvenir donne accès à la liberté infinie (cf At Eternity’s Gate). Le tableau figé de la jeune fille continue de faire brûler ses flammes dans le coeur de celle qui l’a peinte.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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