LA PEAU DOUCE
François Truffaut, 1964
LE COMMENTAIRE
On dit de l’herbe qu’elle est plus verte ailleurs, surtout aux abords du 7e étage. Dans certains ascenseurs, la peau des inconnues semble toujours plus douce. Leurs regards prennent des allures de paquets cadeaux. Pour un peu, on en oublierait presque que tout le monde doit redescendre au rez-de-chaussée un jour, d’une manière ou d’une autre.
LE PITCH
Un homme paie les conséquences de ses trop nombreuses hésitations.
LE RÉSUMÉ
L’écrivain Pierre Lachenay (Jean Desailly) donne régulièrement des conférences un peu partout dans le monde. Il doit se dépêcher afin de ne pas rater son avion pour Lisbonne où il doit y parler de Balzac. Dans l’avion pour le Portugal, il tombe sous le charme de Nicole (Françoise Dorléac), une jeune hôtesse de l’air. Tous les deux entament une relation qui se poursuit à Paris.
Franca (Nelly Benedetti), la femme de Pierre Lachenay, sent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Son mari semble absent. Elle cherche des solutions et propose une mise au vert, quelque part à la campagne.
Cela fait cinq ans que nous n’avons pas été seuls tous les deux.
Pierre va effectivement partir en Province, mais en compagnie de sa maîtresse. À Reims, il ne trouve malheureusement pas une seconde à consacrer à Nicole puisqu’il doit donner une conférence par ailleurs. L’homme pressé n’est déjà plus disponible. Les premières disputes extra-conjugales éclatent. C’est l’heure des reproches, des excuses et des regrets.
Excuse-moi mon petit…
Je commence à me demander ce que je suis venue faire ici!
De retour à Paris, Franca flaire l’adultère. Elle met Pierre à la porte, bien que celui-ci clame qu’il n’était avec personne.
L’écrivain met désormais la pression sur Nicole pour que le couple emménage ensemble, ce que Nicole refuse. La jeune femme sent que Pierre, hésitant, regarde toujours d’autres femmes.
Depuis quelque temps je m’aperçois que la vie n’est pas du tout ce que je croyais. Il y a eu un grand malentendu entre nous.
Souhaitant revenir à la maison, Pierre sollicite une entrevue avec Franca. Il ne sait pas que son ex-femme vient de découvrir une série de photographies compromettantes sur lesquelles Pierre s’affichent avec Nicole.
Franca le retrouve au restaurant, munie d’une carabine. Elle lui tire dessus sans trembler, puis s’assied calmement, l’air soulagé.
L’EXPLICATION
La Peau Douce, c’est se tirer une balle dans le coeur – par l’intermédiaire de sa femme.
Pierre Lachenay est un raconteur d’histoires exceptionnel. Ce n’est pas une surprise s’il est écrivain. Il pourrait être joueur de flûte. Cet homme promet à un ami qu’il va le ramener à Paris puis le laisse en plan, sans nouvelle. Sans scrupule. Il jure à sa femme qu’il était seul à Reims. Promet une place à Nicole pour qu’elle puisse assister à sa conférence mais ne trouve pas le temps, comme par hasard.
Je te demande pardon ma petite fille.
Ce charmeur est une véritable planche pourrie.
Pierre dit ce qu’il veut, tant que cela l’arrange. Ces histoires, il se les raconte également à lui-même évidemment. Pratique. Bien que confortablement installé auprès de Franca avec laquelle il a eu une petite fille, il continue de papillonner. Sensible aux sirènes alentours. Désireux de s’envoyer en l’air avec une hôtesse de l’air, en toute légèreté. D’une escale à une autre, sans poser les pieds sur terre.
Pierre ne changera jamais puisqu’il se conduit de la même manière avec Nicole, pour laquelle il est prêt à dire je t’aime par télégramme. Un télégramme qu’il n’enverra finalement pas. Tout comme il n’honorera pas la promesse faite à sa maîtresse.
Moi j’aurai tout mon temps pour toi, tu me crois ? Tu n’as qu’à lever le petit doigt et j’arrive.
Comment pourrait-il le faire ? En vérité, sa seule priorité reste avant tout lui-même. C’est d’ailleurs un peu la leçon qu’il dispense à travers ses conférences, comme lorsqu’à Reims il lâche :
Croyez ceux qui cherchent la vérité. Doutez de ceux qui la trouvent. Doutez de tout, mais ne doutez pas de vous-même.
À Franca, il affirme se détester. Mais c’est tout le contraire. Pierre flotte sur son succès et n’adore personne d’autre que sa petite personne. Il n’apprécie Nicole que d’une manière : la sienne.
Je t’aime mieux en robe. Tu en as emporté dans tes bagages ?
Pris au jeu de ses propres promesses, Pierre finit par se mettre hors-jeu. Insupportable, il a cependant toujours réponse à tout.
Attends, je vais t’expliquer.
Ce n’est jamais de sa faute. On voudrait presque le croire.
Je ne pouvais rien faire, c’était un engrenage.
Il accuse les autres, notamment sa femme qui se retrouve en première ligne.
C’est pas vrai tu n’aurais rien compris du tout. D’ailleurs tu ne comprends jamais rien!
Il rend tout le monde fou.
De par son attitude, ce bébé Cadum égoïste et indécis (cf Les choses de la vie) empêche toute forme de construction. Il avance, de travers, puis recule aussitôt.
Tu sais que ce n’est pas possible, on ne peut pas revenir en arrière comme ça.
Pierre ne fait rien d’autre que tourner en rond.
Tout ça pour en arriver au même point.
Dès lors, comment apprécier cet homme, autrement que pour un flirt? Son mariage est un enfer. Franca vit un calvaire quotidien.
Le problème vient du fait qu’il s’incruste dans la vie de son entourage. Nicole aimerait se débarrasser de ce passager encombrant.
Fiche moi la paix, je ne t’ai rien demandé!
C’est Franca qui va y parvenir. Car heureusement, Pierre est un imbécile qui, comme un meurtrier négligeant, laisse volontairement des indices derrière lui pour se faire prendre. Il donne ainsi la chance à son ex-femme de ne pas le reprendre. Lorsqu’elle découvre les photos, il s’agit de l’ultime mensonge. La goutte qui fait déborder le vase. Une opportunité inespérée sans laquelle Franca aurait été suffisamment faible pour accepter son retour. Au restaurant, elle le regarde les yeux dans les yeux puis le fusille de manière figurée. Il ne se relèvera pas de leur ultime dispute. Définitivement hors d’état de nuire.
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