PROMISED LAND
Gus Van Sant, 2012
LE COMMENTAIRE
L’homme est un gitan par nature, au sens où il est un voyageur – pas un sédentaire. Lorsqu’il se déplace en avion, il a l’impression de survoler les problèmes qui finissent par disparaître sous les nuages comme s’ils n’avaient jamais existé. Quand il prend le métro, l’homme va vite tout en faisant l’autruche. Par contre, lorsqu’il prend le bus, il ne peut plus ignorer la nature qui l’entoure et ce qu’il en a fait. Car c’est bien son visage qu’il voit en reflet dans la vitre.
LE PITCH
Un homme se demande s’il est du bon côté de la barrière.
LE RÉSUMÉ
Steve Butler (Matt Damon) est un élément brillant de Global Crosspower Solutions, un entreprise d’énergie spécialisée dans l’extraction de gaz par fracking. Il est un fin négociateur et il est très utile dans l’acquisition de terrains à exploiter. Son secret : la carte locale. Il est un enfant du cru. Lui aussi a connu la galère de voir la ferme de ses parents mettre la clé sous la porte. Il sait comment parler à ses clients (cf Le Loup de Wall Street).
The truth is, without the plant, without the industry, we had nothing. I’m not selling them natural gas, I’m selling the only way they have to get back.
Il débarque avec sa collègue Sue Thomason (Frances McDormand) dans une zone sinistrée de Pennsylvanie où les fermiers se faisaient pourtant une fierté de transmettre l’exploitation agricole de père en fils. Tout cela est bien fini désormais.
Steve s’offre du bon temps avec Alice (Rosemarie DeWitt) qu’il a rencontrée dans un bar. Tout se passe bien jusqu’à ce que le vieux Frank Yates (Hal Holbrook) ne bloque le projet en questionnant les méthodes de fracturation hydraulique. Il va falloir voter. L’affaire n’est pas encore dans le sac pour Steve.
D’autant que l’activiste Dustin Noble (John Krasinski) s’invite aux débats et fait campagne contre Global après avoir tout perdu lui aussi, quelque part dans le Nebraska. La résistance s’organise.
Steve reçoit des informations confidentielles en provenance de Global montrant que l’histoire de Dustin est pipeau. Les photos qu’il distribue de son village dans le Nebraska auraient été prises en Louisiane. Discrédité, Dustin plie bagage.
Ce n’est pas tout à fait une victoire. Toute cette histoire était montée de toute pièce par Global afin de garantir le succès de Steve. Ce dernier ne supporte pas l’idée qu’on doute de ses capacités, ni qu’on puisse l’utiliser de la sorte.
Alors que les habitants s’apprêtent à voter, Steve révèle la supercherie.
I’ve looked a lot of you right in the eye and told you that there’s a bunch of money under your feet and we can get it out risk free. Guaranteed. Clearly it’s not true.
Sue l’informe qu’il est viré. Elle retourne à New York. Cela tombe bien elle détestait cet endroit. Elle se déguisait en plouc tout en dormant au Sheraton.
Steve décide de rester (cf À l’origine). Il rejoint Alice, et la résistance (cf l’Armée des ombres).
I don’t know what to say anymore. But where we are now, where we’re headed! We might be betting more than we think. Everything that we have is on the table now. And that’s just not ours to lose.
L’EXPLICATION
Promised Land, c’est refuser d’être pris pour un imbécile.
Steve a été marqué dans son enfance par la fermeture d’une industrie (cf American Factory). Il a d’abord vu les dégâts sur la communauté. Ensuite, il a compris sa propre fragilité face aux entreprises multinationales (cf Merci Patron!). C’est pour cela qu’il a décidé de rejoindre les puissants. Afin de ne plus jamais avoir à revivre ce sentiment de faiblesse. Il a cédé aux sirènes de l’argent par cynisme, pragmatisme et aussi un peu par fierté.
Fuck you. Money is the ultimate liberator.
Il excelle dans son job car il sait comment s’adresser à celles et ceux qui sont dans la difficulté puisqu’il a vécu la même histoire. Pour Global Crosspower Solutions, Steve est un agent infiltré parfait (cf The Departed).
Steve fait le boulot. Il enchaîne les contrats, sans se poser de question. Sans état d’âme. Avec des collègues qu’il ne connaît pas et qu’il ne reverra plus. Tout cela est très impersonnel. Souvent au mépris des locaux. Lorsque la voix de Frank Yates s’élève, elle casse les oreilles. Il s’agit d’un ennemi qu’il faut étouffer.
Même chose avec Dustin, l’écolo-empêcheur de tourner en rond. Steve a été formaté (cf Oblivion) pour être efficace, persuadé de faire du bon boulot. Sans se soucier de savoir si son boulot est juste.
En l’occurrence, Global Crosspower Solutions essaie de récupérer des terres pour une bouchée de pain en profitant de la misère des habitants (cf Gomorra), afin de l’exploiter pour une petite fortune tout en saccageant la terre. Car rien ne repousse autour des mines de gaz de schiste.
Steve va connaître un électrochoc lorsqu’il réalise que Dustin est en fait de son côté. Que tout cela n’est qu’une machination. Son orgueil en prend un coup, lui qui pense n’avoir besoin de personne pour conclure un contrat. La compagnie n’aurait-elle donc pas confiance en lui ? Ne serait-il qu’un vulgaire pion ? Soudain le discours de Yates commence à s’éclaircir et parvenir à ses oreilles.
We’re not fighting for land, Steve, we’re fighting for people.
Steve ouvre lentement les yeux (cf Eyes Wide Shut). Il développe un esprit critique. Son regard change sur le monde. Il se souvient du passé et comprend qu’il joue désormais pour ceux qui ont terrassé ses parents.
Voilà qu’il a l’impression d’être passé du côté obscur de la force. Il réalise qu’il existe des choses plus importantes que l’argent et qu’il travaille pour une entreprise dont il ne partage pas les valeurs. La Global Crosspower Solutions est le symbole d’un monde qui court à sa perte. Cette entreprise sert le néant (cf L’histoire sans fin).
We have nothing left to sell and we can’t afford to buy anything. You came here to help us. Offer us money. All we had to do to get it was be willing to scorch the earth under our feet.
Il change de camp (cf Valkyrie), non par idéalisme mais bien par amour propre. Fini les sornettes! Il ne veut pas être naïf comme ont peut-être pu l’être ses parents, qui auraient peut-être pu s’organiser autrement. Lui ne se fera pas rouler. Impossible d’être exploité par une corporation qui se moque à ce point des individus, impossible de servir de batterie à des machines inhumaines (cf Matrix), impossible de croire aux discours selon lesquels nous vivons sur une terre qui nous aurait été promise.
Nous serions les propriétaires de la planète et pourrions l’exploiter comme bon nous chante, en nous moquant de notre impact sur l’environnement ? Ce n’est pas vrai. En tout cas, ce n’est pas comme ça que Steven a été élevé et ce n’est pas comme cela qu’il entend vivre. Alors il décide de ne plus être d’accord. Il ne vivra peut-être pas dans le confort, mais au moins il sera en accord avec ses convictions (cf Des hommes d’honneur).
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