THE USUAL SUSPECTS
Bryan Singer, 1995
LE COMMENTAIRE
Des hommes on se rappelle surtout de l’attitude. Alors ils friment autant qu’ils le peuvent. Quand ils sont plusieurs, ils se livrent à une petite compétition de celui qui en imposera le plus. La tronche. L’allure de gangsters. Le regard de tueur. Parfois, pour de vrai.
LE PITCH
Mystérieuse explosion d’un cargo. Sale affaire dans le port de San Pedro…
LE RÉSUMÉ
Suite à un deal de drogue qui aurait mal tourné, l’agent Dave Kujan (Chazz Palmintieri) débarque à Los Angeles pour interroger l’un des deux survivants, Verbal Kint (Kevin Spacey). En dehors de quelques corps calcinés, aucune trace de drogue n’a été retrouvée de ce supposé deal de drogue. Bizarre… Kujan veut remonter jusqu’à Dean Keaton (Gabriel Byrne), un ancien flic ripoux qui se serait soit disant rangé.
De son côté, Kint n’est qu’un petit escroc minable, handicapé. Six semaines auparavant, il s’était fait interpeller en compagnie de quatre autres brigands notoires, dont le fameux Dean Keaton.
McManus (Stephen Baldwin), Hockney (Kevin Pollack) et Fenster (Benicio del Toro) partageaient la cellule. C’est à ce moment que la bande en aurait profité pour convaincre Keaton de se joindre à eux pour un braquage contre la police de New York.
Pendant ce temps, l’autre survivant de l’incendie de San Pedro, un marin hongrois, révèle au FBI que l’homme responsable de ce carnage n’est autre que Keyser Söze, sorte de légende qui donne des sueurs froides aux gangsters les plus téméraires.
A spook story that criminals tell their kids at night.
C’est ce même Keyser Söze, représenté par son avocat Maître Kobayachi (Pete Postlethwaite), qui aurait sollicité la bande pour intervenir sur le deal de drogue de San Pedro. Il s’agissait d’un piège. Une fois sur place, les malfrats se sont tous faits abattre par un seul et même homme…
Tous sauf Kint.
Kujan reste persuadé que Kint protège Keaton, qu’il imagine parfaitement en Keyser Söze. Quand Kint quitte le poste de police, Kujan réalise qu’il vient d’être mené en bateau. Tous les détails de l’histoire que lui a conté Kint sont affichés au mur derrière lui. Tout était pipeau.
La police reçoit également un fax avec le portrait robot de Keyser Söze d’après la description faite par le marin hongrois qui correspond exactement au visage de… Kint.
Kujan avait le coupable sous la main. Il part à sa recherche. Trop tard, Kint / Söze a déjà filé.
And like that… he’s gone.
L’EXPLICATION
The Usual Suspects, c’est le génie de l’évidence.
Quand un crime vient d’avoir lieu, on fait défiler les suspects habituels. Ceux avec lesquels on a le moins de chances de se tromper, parce que l’on cherche l’évidence. Alors que c’est précisément quand tout semble évident que l’on devrait être sur ses gardes. Malheureusement, l’agent Dave Kujan est bien trop vaniteux pour se méfier de l’eau qui dort. Trop bête pour imaginer l’impensable. Il prend tout le monde de haut et croit prendre tout le monde de vitesse.
I’m smarter than you.
Il s’est déjà fait sa religion. Comme s’il avait déjà tout compris. Pour lui, l’évidence est Dean Keaton : un homme incapable de résister aux sirènes du crime (cf Sexy Beast).
A man can convince anyone he’s somebody else, but never himself.
Un coupable tout désigné, qui correspond tellement à l’idée que Kujan veut se faire de Keyser Söze : mystérieux, violent, insaisissable et déterminé.
Then he showed those men of will what will really was.
Dean Keaton. C’est sûr! Dave Kujan se raconte se fait un film dans sa tête. Coincer le grand bandit qui fait peur à tout le monde ferait de lui le nouveau Sherlock Holmes. Ce scenario correspond exactement à l’idée que Dave Kujan se fait de lui-même. Tellement excité à l’idée d’accrocher Arsène Lupin à son tableau de chasse, il regarde l’histoire de bien trop près pour y voir clair. L’évidence est pourtant sous son nez, sans qu’il ne veuille la voir.
Dave Kujan est du pain béni pour le vrai Keyser Söze, un gangster plus malin que les autres. Qui sait très bien que personne ne regarde vraiment (cf Le Prestige). Söze, coincé, se fait passer pour un infirme afin d’éviter de se faire prendre. Il accepte de se mettre en retrait, dans l’ombre, quand Kujan cherche la lumière. Pour s’échapper, Keyser Söze s’efface afin de fournir à Kujan l’évidence qu’il recherche. Il ne lui reste plus qu’à raconter la mélodie que Kujan a envie d’entendre, fabriquée sur des articles collés au mur devant lui. Il ne reste plus qu’à brouiller les cartes dans des détails sans importance.
Le génie est un joueur de flûte qui ne se met pas en avant. Il sacrifie son ego en jouant le minus aux yeux du monde, ce qui lui permet de parvenir à ses fins. Le diable prend le metro, ce qui lui permet de se cacher dans la foule (cf L’Associé du Diable).
The greatest trick the devil ever pulled was convincing the world he did not exist.
Le secret de Keyser Söze est d’avoir compris ce qui compte : Ne jamais triompher. Avoir le succès modeste. Résister à la tentation de vouloir briller. Plutôt que de chercher la gloire, il préfère la liberté. C’est d’ailleurs pourquoi il n’hésite pas à abattre femme et enfants – plutôt que de se retrouver émotionnellement dépendent, et donc à la merci de potentiels ravisseurs.
Söze comprend le système pour mieux le retourner. Plutôt que de construire une famille du crime organisé (cf Le Parrain), il s’appuie sur des mercenaires. Tout le monde travaille pour lui, en free lance, sans le savoir ni le connaître. Personne ne peut se retourner contre un patron qui n’existe pas (cf El buen patron). De cette manière, Keyser Söze se protège de toute trahison potentielle.
One cannot be betrayed if one has no people.
Après tout, pourquoi faire le boulot soi-même ?
C’est évident.
Il fallait y penser.
Kujan n’a pourtant rien compris.
Le génie est de donner l’impression a posteriori que tout était évident.
Excellente analyse, j’adhère.
Merci Dominique.