RÉALITÉ

RÉALITÉ

Quentin Dupieux, 2014

LE COMMENTAIRE

Quel plaisir d’être dans une salle obscure, pleine à craquer, et d’être le seul à rire au beau milieu du film. Une manière naturelle de se démarquer – en dehors de son noeud papillon. Éveiller la jalousie. Jeter le trouble chez les autres qui se demandent forcément pourquoi un·e inconnu·e se met à rire à ce moment précis. Qu’y a-t-il donc de si drôle ? Les cinéphiles se demandent avec angoisse ce qu’ils ont raté. Tout. Ils ont tout raté. Tous des cons, sauf moi.

LE PITCH

Un caméraman décide de passer derrière la caméra.

LE RÉSUMÉ

Jason Tantra (Alain Chabat) est technicien sur un plateau de TV où le présentateur Dennis (Jon Heder) écoute Jacques (Brad Greenquist) parler de sa recette de tarte aux fraises. Dennis n’arrête pas de se gratter (cf Bug), il est convaincu qu’il souffre d’eczema. Il est par contre le seul à voir ses boutons…

Jason a de l’ambition. Il veut réaliser son premier film d’horreur qui s’appellerait Waves et qui raconterait l’histoire de postes de TV qui tueraient les spectateurs. Son projet séduit le producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert). Il faut dire que Marshall est en train de s’arracher les cheveux avec Zog (John Glover), un réalisateur plutôt pédant dont il ne comprend pas la direction artistique.

Bob Marshall a le coup de coeur mais se pose la question de la souffrance des personnages. Il veut un gémissement qui marque les esprits.

Pour être honnête, j’ai pas vraiment réfléchi à ce détail.

Oui mais c’est un détail important!

Bob lui donne 48h. Jason commence ses enregistrements, ce qui a le don d’agacer sa femme (Élodie Bouchez) pendant qu’elle fait ses séances de psychanalyse. Jason se désole de voir que son film est déjà sorti au cinéma.

Oh putain, c’est mon film! Y’a un type qui a eu la même idée que moi!

Il panique et réclame un peu d’encouragements de la part de Bob qui lui donne 24h de plus – dans sa grande mansuétude.

Dennis s’est fait virer et pourchasse Jason, qui commence effectivement à se voir en double.

I think we’re the same person.

Le cauchemar confine à l’absurde et devient réalité, comme le nom de cette petite fille (Kyla Kenedy) qui joue dans le film de Zog. Jason ne s’en sort pas et se rend dans un hôpital psychiatrique.

Je souhaite être interné parce que je suis en train de perdre les pédales.

Il appelle Bob depuis l’hôpital pour le prévenir. Incroyable mais vrai, il est en fait dans le film de Zog, en direct, alors qu’il parle au téléphone à Bob qui n’en croit tout simplement pas ses yeux.

Ce n’est plus la réalité, c’est du génie.

Le film va se faire. Y’a plus qu’à! La recette de Jacques a fonctionné.

I put the strawberries in a damp cloth. And then I rub them. So gently that way you don’t damage the skin. 

L’eczema était bien dans notre tête.

It’s on the inside, the inside of your head.

realite

L’EXPLICATION

Réalité, c’est une pression de malade mental.

À l’origine, il y a une aspiration assez simple :

What is your goal in life?

To be happy.

Mais nous sommes un tout petit peu plus ambitieux que Jacques. Jason rêve de plus qu’une charlotte aux fraises. Dream bigger. C’est ce qui le conduit à rencontrer la plus haute autorité du métier : le producteur. Le producteur fixe les règles. Il nous teste pour voir ce qu’on a dans le bide, encore que les tripes ne servent pas à grand chose.

Insides serve no purpose.

Le producteur veut voir comment on fume, comme on encaisse le stress. Il veut voir si on délivre. Comment on résiste à la pression. Il pose les questions qui font mal.

Si ça te prend autant de temps de trouver un gémissement, tu vas le faire en combien de temps ton film?

Le producteur montre la marche à suivre et nous on fait le reste. Jason commence à faire des cauchemars. Il demande un peu d’indulgence. Alors le producteur en rajoute une couche.

Plus j’attends, plus je vais être exigeant… 

Il faut dire que Bob s’impose beaucoup de pression lui-même. On n’est pas là pour s’amuser. Plutôt pour faire du fric. Beaucoup de fric. Tourner la planche à billets. On ne rigole pas avec les cigares.

Regarde comme c’est beau. Ça coûte la peau du cul.

Sous la pression, certains se concentrent. Ils ne sont pas nombreux.

Car en réalité, tout le monde disjoncte. Dennis somatise et se gratte de partout. Il finit même par insulter la costumière.

The matter is this bitch doesn’t want to listen to me and go back to our old detergent.

Jason fait des cauchemars dans lesquels il ne peut pas se lever de son siège pour aller chercher sa récompense. Il ne peut pas refuser de fumer même s’il n’aime pas cela, comme Melissa Thompson ne pouvait pas refuser à Harvey Weinstein de lui mettre la main sur la cuisse.

Melissa Thompson ne pouvait pas se douter que le flirt à la Weinstein n’est pas vraiment le flirt comme l’entendait Michel Delpech.

Jason vit dans l’ombre des maîtres, ce qui le conduit à des querelles de couple ridicules.

Tu crois que Kubrick s’enregistrait des heures comme ça comme un con ?

Je m’en branle de Kubrick. Chacun ses méthodes! (cf Appelez moi Kubrick)

Il y a l’angoisse que son travail soit moins bien en vrai que dans sa tête. C’est une possibilité.

Le film existe, je l’ai vu… et il est très mauvais.

On se prend la tête avec des cérémonies de remises de prix qui nous flattent l’ego. Ce qui nous conduit à perdre de vue le plus important : l’inspiration.

Finir à l’asile à se faire menacer par une infirmière de se prendre un suppositoire par les voies anales. C’est pas de la rigolade la pression. Au contraire, c’est très réel. Les gens pètent les plombs. Il n’y a que Murielle Pénicaud pour dire que le burn out n’est pas une maladie professionnelle. La sécurité sociale ne s’en remettrait sans doute pas.

Et pourtant…

Les gens souffrent, ils souffrent à fond!

C’est dommage de se mettre minable pour tout cela parce qu’on n’a qu’une vie, jusqu’à preuve concrète du contraire.

On est capable de choses géniales.

La clé consiste peut-être à ne pas oublier la base : la tarte aux fraises.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

3 commentaires

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