INCROYABLE MAIS VRAI
Quentin Dupieux, 2022
LE COMMENTAIRE
Malgré les directives du Ministère de la Santé recommandant aux Français·es de manger cinq fruits et légumes de saison par jour, les femmes continuent d’entretenir un rapport conflictuel à la pomme. Une sombre histoire de culpabilité liée au mythe du jardin d’Éden…
LE PITCH
Un couple emménage dans une maison aux propriétés étranges.
LE RÉSUMÉ
Alain (Alain Chabat) et Marie (Léa Drucker) visitent des maisons. L’une d’entre elles retient tout particulièrement leur attention. Notamment un mystérieux passage se situant à la cave. L’agent immobilier (Stéphane Pezerat) attise leur curiosité.
Ce conduit est un accès vers quelque chose qui peut changer votre vie.
Alain et Marie achètent dans la foulée.
Quiconque empreinte ce fameux conduit se retrouve au premier étage, douze heures plus tard et surtout trois jours plus jeune! Personne ne peut expliquer ce phénomène, pas même l’agent immobilier.
Ne me demandez pas pourquoi.
Incroyable mais vrai.
Curieux au départ, Alain se montre peu sensible au pouvoir de jouvence de la maison. Marie au contraire multiplie les voyages. Elle disparait en laissant des mots sur le frigo. Alain ne la voit plus beaucoup.
À demain.
Dis-moi ce que ca veut dire pour toi ‘demain’.
Gérard (Benoît Magimel) et Anne (Anaïs Demoustier) sont de passage pour dîner. Eux-aussi ont une nouvelle à annoncer.
Je sais pas comment expliquer, c’est trop énorme.
En effet, Gérard s’est fait installer une bite électronique. Alain et Marie ne savent pas comment réagir.
Sincèrement, c’est mieux de pas le dire je pense.
Gérard est obsédé par l’effet que cette annonce exerce sur Alain. Pendant que Marie continue de courir après sa jeunesse (cf L’Étrange Histoire de Benjamin Button).
J’ai rajeuni de neufs jours déjà!
Problème : la bite de Gérard tombe en panne. Il panique.
Ma bite! Elle fonctionne plus! C’est foutu! Ça marche plus! J’suis dans une merde noire!
Il fonce au Japon pour une procédure.
Même pas d’anesthésie, rien. C’est de l’électronique.
De son côté, Alain se fait pourrir par l’un de ses clients. Il peine à être aussi excité que Marie qui commence à ressembler à une adolescente (Roxane Arnal).
On a ce truc entre les mains et toi tu me parles de ces conneries ?!
La vie continue. Gérard meurt dans un accident de voiture après que sa bite prenne feu. Marie fait une dépression nerveuse et se fait interner. Convaincue que son corps est rempli de fourmis (cf Bug), elle parvient à s’ouvrir la main à l’hôpital avec un morceau de verre pour constater avec soulagement que des insectes en sortent.
Tu te rends compte ??
Pendant ce temps, Alain est à la pêche, tranquille avec son labrador.
L’EXPLICATION
Incroyable mais vrai, c’est réussir à ne pas perdre la tête.
L’ère est au sensationnalisme. L’information en continu sur toutes les chaînes. Le débat contradictoire a cédé la place à la polémique. Faillite de l’analyse. Manque de perspective. Titres tapageurs. Formats racoleurs (cf Night call). Tout cela nous emprisonne lentement dans une surenchère malsaine.
En tant que spectateurs et spectatrices anesthésié·es, l’événement ne suffit souvent plus à captiver notre attention. Il en faut toujours plus. Plus immédiat et plus surprenant. Tout doit devenir spectaculaire et l’absence de clou est une catastrophe.
Même l’agent immobilier doit faire sortir un lapin de son chapeau pour déclencher une offre.
Vous n’allez pas me croire.
Certain·es cherchent à passer de l’autre côté du miroir en créant la sensation. Tenir un sujet et le monter en épingle pour chercher l’effet d’annonce à leur tour. Le plaisir d’attirer l’attention grâce à une histoire abracabrantesque.
Les diners entre ami·es où l’on avait pour habitude de ne rien se dire deviennent prétexte à s’en mettre plein la vue.
Tu veux entendre un vrai truc de dingue ?
Car la sensation apporte de l’exclusivité. Un sentiment de se sentir au dessus de la mêlée. Grâce à sa bite électronique, Gérard se considère en avance sur son temps, et ne se prive pas pour le faire savoir à Alain et Marie.
On est en 2021 là, j‘ai l’impression de parler à des indigènes.
La sensation engendre une forme de rivalité, très explicite entre le couple Alain / Marie et Gérard / Anne.
Des trucs comme ça, ça peut créer des jalousies. Pis les gens, sont tellement cons.
Il faut absolument lâcher une bombe pendant le dîner pour prendre l’avantage. Exister sur le moment, en espérant que la déflagration soit suffisamment forte pour que l’effet s’inscrive dans la durée.
Gérard se soucie beaucoup de l’impression qu’a laissé la révélation sur son sexe. Marie fait mine de s’en moquer. Cela l’agace.
En fait, elle s’foutait bien de ma gueule cette conne.
Ces histoires ridicules finissent par complètement retourner la tête de celles et ceux qui s’en emparent.
Par exemple, Marie souscrit totalement à la possibilité de rajeunir en descendant une échelle la faisant monter d’un étage. Elle multiplie les aller-retours au point de ne plus penser qu’à cela. Fait des expériences avec des pommes pour apporter une preuve scientifique à son délire (cf La Mouche). Remontant le temps, à la limite de l’hystérie.
C’est horrible de vieillir. Tu sais pas toi, tu t’en fous de ton corps!
De son côté, Gérard pense que son intervention chirurgico-technologique le place à la pointe du transhumanisme. Un trendsetter. L’Elon Musk des Yvelines.
C’est pas horrible, c’est le futur!
Il confond néanmoins sa bite avec son nombril. Ce narcissique en perd complètement le sens des réalités. Se refermant sur lui-même (cf Sick of Myself).
Tu vois le temps qu’on perd avec ces gonzesses!?
Logiquement, il finir par prendre feu et faire une sortie de route.
Dans cette histoire de fous, Alain est le seul qui n’est pas emporté par la tempête (cf Take Shelter). Il ne perd pas les pédales et continue de se poser les bonnes questions.
C’est quoi l’intérêt?
Tandis que le monde entier flotte à la surface, Alain reste le seul à garder un peu de profondeur. Ses interrogations dérangent car elles sont fondamentales, plus qu’elles ne sont extraordinaires.
Philosophiquement, ça questionne quand meme un truc : c’est quoi être un homme?
Avec beaucoup d’humilité, Alain reconnaît être un peu déstabilisé par tous ces événements.
Je suis un peu perdu sur l’échelle du temps.
Cependant il reste bien ancré les deux pieds dans le réel. Il caresse les chats dans la rue. Plus préoccupé par ses histoires de boulot que de savoir quels insectes sont en train de lui bouffer les intestins. Il a besoin de dormir le soir pour faire le vide, comme une personne normale.
Alain est peut-être le dernier d’entre nous à être encore à la cool.
Pas d’accord avec cette vision. Pour moi le thème premier du film c’est le refut de vieillir, Marie s’accroche à sa jeunesse, Gérard à sa virilité. Alain n’a pas ces névroses, il est « cool » et s’accepte tel qu’il est. Il ne comprend ni son patron ni sa femme, et aspire à une vie tranquille qu’il finira par avoir.
Merci beaucoup Motoju. Effectivement, le refus de vieillir est un angle intéressant. Marie court après sa jeunesse et Gérard après son érection – tandis qu’Alain accepte le temps qui passe, tel un pêcheur avec son chien.
Oui sur ce même second angle, on a ici enfin une quête de l’immortalité amusante! Depuis la nuit des temps, l’Homme cherche à défier la mort. En Californie, des types rajeunissent à vue d’oeil en avalant des hormones et en buvant des jus fermentés. Ça donne envie! Alors qu’avec sa bite électronique, au moins Gérard s’amuse un peu tout en nous faisant rire. Marie, elle, vit furtivement son rêve de jeunesse tout en se musclant les fesses.
Le problème c’est que tout ça finit toujours très mal. Parce que tout le monde meurt à la fin, même les californiens. Donc autant s’amuser à vivre, tout simplement . Un bon film feel good.
Merci Delphine. Celui qui conduit sa vie en philosophe est effectivement Alain.
Trop crevé pour faire l’amour après le déménagement.
Pas intéressé de gratter quelques jours d’espérance de vie.
Il mène une vie simple, préférant le bonheur d’une journée à la pêche ou de caresser un chat dans la rue.