PROXIMA
Alice Winocour, 2019
LE COMMENTAIRE
Fut un temps, les parents disaient au revoir à leurs enfants au moment où ceux-ci prenaient l’autocar pour quitter leur campagne et voler de leurs propres ailes. La scène se finissait souvent dans un bain de larmes. Les temps changent. Aujourd’hui, les rôles sont inversés. Ce sont les parents qui s’en vont vers d’autres aventures (cf Interstellar), avec le sourire. Que leur progéniture se débrouille.
LE PITCH
Une maman dit au revoir à sa fille avant de partir sur Mars.
LE RÉSUMÉ
Sarah (Eva Green) est retenue pour faire partie de la première mission spatiale à destination de Mars. Elle devrait être aux anges. À la place, elle se sent coupable de quitter sa fille Stella (Zélie Boulant-Lemesle). L’étoile reste sur terre. Mais pas toute seule puisque Thomas (Lars Eidinger), l’ex-conjoint de Sarah va assurer la surveillance.
Y’a papa pour s’occuper de toi.
Relax y’a Lavax. Mais surtout, relax y’a papa (cf Kramer contre Kramer)!
Sarah doit se soumettre à une préparation épuisante physiquement et émotionnellement car ses collègues astronautes masculins ne sont pas tendres. Mike (Matt Dillon) fait même preuve d’un petit machisme qu’on attendrait plus de la part d’un astronaute aussi chevronné que lui.
Sarah part en quarantaine en Russie. Wendy (Sandra Hüller) fait la liaison entre la spationaute et sa fille. Les relations avec Stella se dégradent malgré tout. La petite fille boude.
Pars! Je préfère rester avec Wendy.
Sympa.
Finalement la mère et la fille se réconcilient avant le décollage au Kazakhstan. Sarah peut partir le coeur léger.
L’EXPLICATION
Proxima, c’est se frayer un chemin.
Il est loin le temps des sorcières (cf The Witch). Les femmes peuvent faire de plus en plus de choses : faire des enfants (cf Mother!), s’occuper des enfants (cf Perfect mothers), assumer les bêtises de ses enfants (cf We need to talk about Kevin), voter, conduire, danser (cf Suspiria), jouer au football (cf Comme des garçons), faire de la randonnée (cf Wild), faire du porno (cf hot girls wanted), même tuer (cf Nikita) si cela leur chante.
Par contre l’espace, elles n’y ont pas encore droit. Faut pas rigoler. La guerre des étoiles reste reservée aux mâles dominants. Au mieux, les femmes peuvent aider les hommes à aller dans l’espace (cf Les figures de l’ombre). Pas plus loin.
L’astronaute reste donc plutôt un homme comme Vincent (cf Bienvenue à Gattaca), Mark (cf Seul sur Mars), Neil (cf First Man) ou Roy (cf Ad Astra). Ryan reste clairement une exception (cf Gravity).
L’idée même qu’une femme puisse aller dans l’espace paraissait jusque là tellement incongrue que la mère de Sarah a tenté de dissuader sa fille toute son enfance.
My mother said it was not a job for girls.
Alors quels sont les jobs pour les filles ? Escort (cf Jeune et jolie) ? Sarah n’est pas d’accord. Elle veut prouver à Stella qu’elle peut devenir la première femme à décrocher les étoiles, bien que cela soit clairement plus dur pour une femme.
Tout d’abord parce que la femme est aussi maman, qu’elle le veuille ou non, et que c’est difficile d’abandonner son enfant à son ex-mari… allemand. Stella ne s’y trompe pas.
Avec lui, c’est quand même pas pareil.
Et non. En effet, avec Thomas, c’est plutôt ambiance Spätzl mit Most. Soyons sérieux : cela n’a jamais fait rêver personne. C’est la soupe à la grimace.
Ensuite, la femme reste avant tout une femme, sujet de désirs chez tout homme hétérosexuel qui se respecte. Mike multiplie les sorties hasardeuses pour mieux masquer le fait que dans le vestiaire, il n’est clairement pas indifférent aux charmes de sa collègue. Ah que le Texas, sa femme et ses enfants lui paraissent loin soudainement… Si proche de la poitrine presque parfaite de la belle Sarah.
La femme subit les petites remarques pénibles du médecin.
Y a des choses qui sont plus pratiques là-haut, comme des cheveux courts…
Comme si quitter la terre nécessitait de devoir dire adieu à sa féminité.
Elle encaisse les petites pics de ses instructeurs.
Maybe you don’t have to do everything…
Comme si elle n’était pas capable.
Elle prend aussi les tackles à la gorge de son ex-mari Allemand.
J’ai toujours eu une planète d’avance sur ta mère…
Et bim!
Par dessus le marché, sa fille lui fait un chantage émotionnel.
Maman tu me manques.
La souffrance est terrible pour Sarah qui somatise.
J’ai une blessure qui ne se referme pas et je ne comprends pas pourquoi.
La culpabilité chatouille son mollet endolori.
Ça fait des années que je m’entraine pour partir. Maintenant qu’il est l’heure de partir, je me suis jamais sentie autant attachée à elle.
Tiens donc.
Il semble que vraiment tout soit réuni pour empêcher les femmes d’aller plus haut. Sarah ne s’en laisse pas compter. Elle fait preuve de vulnérabilité tout en s’accrochant, car elle sait aussi qu’elle doit montrer l’exemple pour Stella. Même si ça ne fait pas plaisir à la gamine. À la fin de l’histoire, elle sera certainement furieuse que sa mère l’abandonne, tout en étant fière à la fois.
C’est comme cela qu’on apprend à gérer une belle complexité de sentiments. Quel formidable cadeau. Merci maman. Stella s’en rendra compte, des années plus tard. Sûrement trop tard.
Car Sarah ne reviendra pas.
Maman est-ce que tu vas mourir avant moi ?
La réponse est oui!
Les premiers qui se prennent le mur, c’est toujours sanglant (cf Le stratège). Le fait est que dans l’espace, les larmes de Sarah ne couleront plus mais après tout peu importe puisque de toute façon : après elle le déluge. Elle va être complètement coupée de la terre. En suivant son destin plutôt qu’en accomplissant son devoir, Sarah finit de décomplexer la jeune génération. Tout est désormais permis. On peut être égoïste, surtout lorsqu’il s’agit de réaliser ses rêves.
Le message que Sarah laisse à Stella, c’est que c’est chacun son biz. Les parents ne peuvent plus attendre après leurs enfants pour la retraite. De leur côté, les enfants ne peuvent plus compter sur leurs parents pour leur laisser un avenir qui ne soit pas criblé de dettes. Il faut se débrouiller. Comme le dit justement le proverbe italien :
Tu voulais un vélo, maintenant pédale.
C’est la vie. Cela n’empêche pas de se dire qu’on s’aime très fort, derrière une vitre pour éviter les microbes.
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