JURASSIC PARK
Steven Spielberg, 1993
LE COMMENTAIRE
Il faut se méfier de l’eau qui dort. Ce qui veut dire qu’il faut se méfier du moment où l’on croit que tout est sous contrôle. Chaque chose semble égale par ailleurs. Pas de surprise. On croit pouvoir relâcher son attention. Baisser la garde. C’est ainsi qu’on finit par ignorer la menace ambiante. Ne plus percevoir ces infimes vibrations annonciatrices d’une terre qui tremble toujours. La situation nous a déjà échappé.
LE PITCH
Un vieux monsieur souhaite remplacer Mickey par un vélociraptor.
LE RÉSUMÉ
John Hammond (Richard Attenborough) invite Alan Grant (Sam Neill), et Ellie Sattler (Laura Dern), deux paléontologues dont il finance les recherches, à se rendre sur une île du Costa Rica. Ils y rejoindront le mathématicien Ian Malcolm (Jeff Goldblum), ainsi que l’avocat Donald Gennaro (Martin Ferrero). Tout ce joli petit monde est censé donner son avis sur Jurassic Park, une idée un peu folle : ramener les dinosaures à la vie pour les parquer dans un zoo.
La visite commence, en compagnie des petits-enfants du vieux gâteux. Un désastre. Rien ne se passe comme prévu. Les visiteurs sont bloqués au niveau de l’enclos du T-Rex. Précisément le moment où les éléments se déchaînent. Un violent cyclone s’abat sur l’île. Ce à quoi s’ajoute la trahison de Dennis Nedry (Wayne Knight) qui désactive les systèmes de sécurité, libérant ainsi les monstres dans la jungle.
Jurassic Park devient une zone de non droit. Grant s’improvise en Indiana Jones pour venir au secours des enfants. Il ramène tout le monde au centre d’accueil où les rescapés se retrouvent coincés par deux vélociraptors. Finalement, c’est le T-Rex qui croque les deux autres dinosaures, permettant à Grant, Ellie, Malcolm et les enfants de sauter dans un hélicoptère et quitter une île redevenue sauvage – comme à la grande époque.
L’EXPLICATION
Jurassic Park, c’est l’apprenti sorcier.
Hammond est un grand rêveur. Ses élucubrations paraissent pour le moins fantaisistes. Elles sont néanmoins nécessaires puisque c’est grâce à des hommes dans son genre que la société peut changer. Là où trop de monde dit « non, ça ne sera pas possible », John Hammond répond « on va voir ce qu’on va voir! ». Il imagine l’impossible parce qu’il a suffisamment de ressources pour le rendre possible.
I spared no expense!
Sans Hammond, pas de progrès.
Son équipe de choc composée de Grant, Sattler et Malcolm devrait fonctionner – en théorie. Malheureusement, les ambitions démesurées de Hammond vont se refermer sur eux comme un piège. Le rêve vire au cauchemar, car Hammond a commis de nombreuses erreurs.
Tout d’abord, il s’est hissé sur des épaules de génie en développant un savoir qui l’a totalement dépassé. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Trop excité par sa découverte, Hammond a négligé Rabelais. Il ne s’est pas posé la question essentielle. À savoir, avait-il le droit de faire revenir les dinosaures à la vie ?
Il a volontairement ignoré la question éthique. Comme le précise le professeur Malcolm, les dinosaures ont eu leur chance. Hammond n’en a cure, emporté par son enthousiasme. L’entrepreneur joue avec la vie. Il franchit la limite en se prenant pour Dieu.
God creates dinosaurs, god destroys dinosaurs, god creates man. Man destroys God, man creates dinosaurs.
Par ailleurs, Hammond se précipite. Il voit trop grand mais surtout trop vite. Plutôt que de faire un projet test, il crée un parc grandeur nature dans lequel il jette quelques cobayes, dont ses petits enfants – sans savoir ce qui les attend. D’une manière irresponsable, il les jette en pâture à fauves dont il sait pourtant qu’ils sont dangereux.
Tout comme le Dr Frankenstein, Hammond refuse d’anticiper la violence des créatures qu’il engendre. Il n’a tellement pas peur de se planter qu’il en devient un kamikaze, mettant tout le monde en danger à commencer par son entourage direct.
Hammond multiplie les mauvais choix car il est aussi obsédé par le profit. Il veut marquer l’histoire pour passer à la postérité, et faire de substantiels bénéfices au passage, tout comme Gennaro qui ne pensent qu’aux revenus potentiels que le parc pourra générer.
En l’occurrence, on ne se parle pas du projet du WWF mais d’un programme de divertissement privé pour super riches. Cet appât du gain est partagé par Dennis Nedry qui vend son âme à la concurrence, n’hésitant pas à prendre des risques inconsidérés au nom de l’argent.
Trop absorbé par lui même et ce qu’il peut faire, Hammond pêche par orgueil. Il méprise la nature trouve pourtant toujours un chemin. Père fondateur, il veut garder la main sur les événements, en toute circonstance, depuis son poste de contrôle comme un micro-manager. Dans ce but, il confie son bébés à des ingénieurs censés tout savoir bien qu’incapables d’anticiper la loi de Murphy (cf Interstellar). La météo se retourne contre eux et la technique les lâche. Preuve que rien ne se déroule jamais comme prévu.
When they opened Disneyland in 1956, nothing worked!
Le contrôle n’est qu’une illusion comme le rappelle Ellie. Si Dieu n’est pas plus fort que les hommes, la nature va se charger de rappeler à Hammond quelle est sa modeste position dans ce grand monde.
Enfin, Hammond s’est simplement trompé sur la notion de divertissement et les attentes de son public. Il a voulu plaire en offrant un spectacle jamais vu encore, vu depuis des voitures téléguidés. Privant le public de toute autonomie alors que le public aujourd’hui s’est transformé en prédateur, à l’image du T-Rex.
Rex doesn’t want to be fed. He wants to hunt.
Le grand public en a marre de se faire servir. Ce que les gens veulent, c’est être au centre de l’action. L’illusion d’être aux manettes encore et toujours. Avec la garantie que personne ne sera blessé à la fin de l’expérience quand même. Un public d’aventuriers de salon. Hammond a commis la faute de vouloir sublimer la réalité à l’heure où ses clients ont déjà basculé dans les mondes virtuels (cf Ready Player One).
La magie s’est retournée contre lui. Voilà pourquoi il ne faut pas toujours prendre ses désirs pour des réalités.
LE TRAILER
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