LES RAISINS DE LA COLÈRE
John Ford, 1940
LE COMMENTAIRE
La vie n’est pas qu’une partie de plaisirs. C’est une chance. Si tel n’était pas le cas, elle ressemblerait à de paisibles vacances à la Martinique et franchement nous n’en profiterions sans doute même pas. À défaut de Martinique, nous serrons les dents dans l’obscurité en gardant l’espoir de voir midi à notre porte un jour ou l’autre.
LE PITCH
Une famille de l’Oklahoma se voit contrainte de déménager.
LE RÉSUMÉ
Les Joad sont heureux de célébrer le retour de Tom (Henry Fonda), en liberté conditionnelle après quatre longues années de prison. Malheureusement, la fête est de courte durée. La Grande Dépression a ruiné et exproprié de nombreux fermiers.
This is what makes it ours : being born on it, and working on it and dying on it. Not no piece of paper with writing on it!
Les Joad ne font pas exception. Leur propriété est saisie par les banques. Le grand-père ne peut se résoudre à partir.
This here’s my country. I b’long here. An’ I don’t give a goddamn if they’s oranges an’ grapes crowdin’ a fella outa bed even. I ain’t a going. This country ain’t good but it’s my country.
Ils sont pourtant contraints de prendre la route, direction la Californie où ils espèrent trouver du travail. Tout le monde prend place à bord d’une embarcation de fortune. Sur l’Autoroute 66 qui les conduit vers l’Ouest, les Joad subissent les railleries.
Them Okies got no sense and no feeling. They ain’t human. Human being wouldn’t live the way they do. Human being couldn’t stand to be so miserable.
Les grands-parents ne survivent pas au voyage. Noah (Frank Sully) et Connie (Eddie Quillan) quittent l’aventure en cours de route. Les Joad se retrouvent dans un camp de migrants trop dangereux pour qu’ils puissent s’y établir.
Il trouvent ensuite refuge au Keene Ranch qui se révèle être une sorte de camp de concentration où les misérables sont exploités et violentés par la milice. Les Joad parviennent à fuir dans la nuit pour le Farmworkers’ Wheat Patch Camp, une coopérative aux conditions de vie plus humaines.
Tom est toujours recherché par la police. Il doit fuir pour épargner sa famille de possibles représailles et poursuivre la lutte sociale. Pas sans faire ses adieux à sa mère (Jane Darwell).
I’ll be all around in the dark – I’ll be everywhere. Wherever you can look – wherever there’s a fight, so hungry people can eat, I’ll be there. Wherever there’s a cop beatin’ up a guy, I’ll be there. I’ll be in the way guys yell when they’re mad. I’ll be in the way kids laugh when they’re hungry and they know supper’s ready, and when the people are eatin’ the stuff they raise and livin’ in the houses they build – I’ll be there, too.
Après le départ de Tom, les Joad doivent malgré tout reprendre la route, la tête haute.
Rich fellas come up an’ they die, an’ their kids ain’t no good an’ they die out. But we keep a’comin’. We’re the people that live. They can’t wipe us out; they can’t lick us. We’ll go on forever, Pa, ’cause we’re the people.
L’EXPLICATION
Les raisins de la colère, c’est un peuple increvable.
À l’origine, on trouve toujours une erreur dans le système liée à une faiblesse humaine. Des traders trop gourmands qui jouent avec des subprimes et finissent par enflammer le marché immobilier (cf Inside Job). À l’autre bout de la chaîne, on trouve des personnes pas assez informées qui paient les pots cassés.
Après le krach de 29 qui a causé le suicide de quelques financiers de Wall Street, de nombreux fermiers se sont retrouvés à la rue du jour au lendemain. Virés comme des malpropres par des gens du cru, payés une misère par les grands groupes avides de profiter de la situation pour industrialiser l’Agriculture américaine.
You mean get off my own land…?
I can’t help that. I got my orders. They told me to tell you to get off.
Il s’agit d’une situation inédite, qui a une fâcheuse tendance à se reproduire malgré tout.
I never had my house pushed over before. Never had my family stuck out on the road. Never had to lose everything I had in life.
Évidemment, ce n’est jamais de la faute de ceux qui font le sale boulot.
Don’t go to blaming me! It ain’t my fault.
Le message est clair : que les pauvres n’attendent rien de l’État Providence. Le gouvernement laisse les plus faibles mourir de faim. La sélection naturelle. Darwin.
If there was a law, they was workin’ with maybe we could take it, but it ain’t the law. They’re workin’ away our spirits, tryin’ to make us cringe and crawl, takin’ away our decency.
Les Joad, qui pourraient être les Tuche, doivent traverser l’enfer s’ils veulent s’en sortir – sans aucune garantie d’y parvenir.
We got 1,000 miles to go and we don’t know if we’ll make it.
Certains membres de la famille ne s’en sortent d’ailleurs pas.
Les Joad doivent se ré-inventer alors qu’ils n’en ont pas la capacité. Ils se sentent abandonnés.
Seems like the government’s got more interest in a dead man than a live one.
Ils font en réalité l’expérience du système auquel ils ont souscrit (cf There will be blood). Sauf qu’ils sont désormais du mauvais côté de la barrière. Désormais, ils n’ont plus de propriété privée. Ils sont parqués dans des camps, exploités sans scrupule comme de la main d’oeuvre bon marché (cf Germinal).
Pire, ils deviennent des parias crasseux (cf Parasite) dont les autres se moquent et que les Américains rejettent.
We don’t want more Okies in this town!
Ils sont les premiers membres de cette Amérique oubliée sur le bas côté de la route (cf L’âme divisée de l’Amérique).
S’ils râlent trop, ils seront remplacés. Alors ils n’ont pas d’autre choix que de tracer leur route. Les Joad sont des durs à cuir. De bons Américains qui encaissent sans broncher. Cette résilience exemplaire permet au système de continuer à fonctionner.
Les possédants peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles : ce désastre va générer quelques victimes, une poignée d’objecteurs de conscience comme Tom. Les autres continuent de filer droit. Ils s’en sortiront même encore plus forts peut-être, si l’on en croit Nietzsche.
Ou alors… ils végéteront dans des roulottes et suivront les sirènes du premier populiste venu.
Dieu bénisse l’Amérique.
Un commentaire