LES CRIMES DU FUTUR
David Cronenberg, 2022
LE COMMENTAIRE
Bien malin·es ceux ou celles qui sauront deviner la tendance de demain. Dans un monde où les limites de l’âge de la retraite sont sans cesse repoussées (cf No Country for Old Men), on peut cependant annoncer sans trop se tromper que la chirurgie cosmétique a encore de beaux jours devant elle (cf Brazil).
LE PITCH
Les artistes du futur s’inspirent de leurs organes.
LE RÉSUMÉ
L’environnement est définitivement ravagé (cf The Road). Dans cet enfer, un jeune garçon du nom de Brecken (Sozos Sotiris) croque une poubelle en plastique. Sa mère Djuna Dotrice (Lihi Kornowski) ne le supporte plus. Alors l’elle l’étouffe avec un oreiller.
Dans leur atelier, Saul Tenser (Viggo Mortensen) et sa compagne Caprice (Léa Seydoux) pratiquent une nouvelle forme d’art à travers l’ablation de leurs organes lors de séances de chirurgie en public.
We understand human bodies are changing.
En effet, l’humanité a pris le contrôle de sa mutation et peut maintenant se libérer de ses excroissances en deux temps, trois coups de scalpel. Comme le mobilier fourni par LifeFormWare a fait disparaître la notion de douleur, on ne sent quasiment plus rien. C’est l’anesthésie générale grâce aux chaises qui aident à mieux digérer ou aux lits anti-cauchemars.
Saul est atteint d’un syndrome d’évolution accéléré. Il produit des organes en grande quantité, dont il se sépare pour éviter que le cancer ne l’emporte – tout en faisant de l’art au passage.
Son activité le contraint à se faire recenser auprès des enquêteurs du National Organ Registry : Wippet (Don McKellar) et Timlin (Kristen Stewart).
Parallèlement, une organisation secrète conduite par Lang Dotrice (Scott Speedman), le père de Brecken, est en train de détourner l’évolution. Un travail génétique visant à transformer le système digestif pour consommer du plastique. Le détective Cope (Welket Bungué) suit l’affaire de très près, avec la collaboration de Saul Tenser.
Lang aimerait que Saul utilise un sarcophage prévu initialement pour des autopsies mais dont il se sert pour créer, afin de réaliser… une autopsie. Celle de son fils.
If the police came and did an autopsy on his body, what do you think they’d find?
Outer space.
Lang est persuadé que cette performance offrirait une publicité incroyable au projet de recyclage qu’il est en train de concocter. Bien pratique dans une monde gangréné par la pollution (cf Wall-E). Ce serait l’occasion de montrer ce que les adultes font aux enfants, et par conséquent à l’espèce toute entière.
The world is killing our children from the inside out.
Les spectateurs sont choqués.
Dani (Nadia Litz) et Berst (Tanaya Beatty), deux techniciennes de LifeFormWare, tuent Lang à coups de perceuse dans la tête.
Le corps de Breck est encore grand ouvert, tandis que Timlin continue d’essayer de séduire l’artiste.
L’EXPLICATION
Les Crimes du Futur, c’est peut-être la renaissance de l’art.
Selon Georg Wilhelm Friedrich Hegel, l’art avait une fonction dans la vie au même titre que la religion et la philosophie. À travers l’art pouvait s’opérer une révélation sensible de la vérité. Rien de moins.
À la fin du XVIIIe siècle, la naissance des musées a fait perdre à l’art sa raison d’être. On a enlevé les statues grecques et latines se trouvant dans les parcs des chateaux, pour les mettre dans des maisons pensées pour des choses qui n’avaient pas de fonction dans la vie. L’art n’y servait plus à rien.
Hegel dit alors que l’art est mort. Rien de moins.
Une formule qui sera reprise plus tard dans une pub pour un soda au cola bien connu. Rien de plus.
Plus précisément, Hegel dit que la conception qu’il se fait de l’art appartient au passé. Ce qui semble être l’obsession de Tenser.
Have we just been made obsolete?
Désormais, c’est bien Georg Wilhelm Friedrich qui fait partie du passé. Les choses ont changé.
We both changed and now we are what we are.
En tout cas, elles peuvent peut-être changer grâce à Saul Tenser et Caprice qui développent cette nouvelle forme de performance artistique, plus chirurgicale, pour sortir de la torpeur. Réveiller les corps et les consciences peut-être ?
Tenser est un Paul avec une écharde dans la chair.
I dont like what’s happening to my body.
La technologie nous a rendu étrangers à la douleur. Ces ablations sont des manières que Tenser emploie pour ressentir à nouveau. Elles permettent de retrouver une compréhension du vivant. C’est uniquement lorsqu’on souffre que l’on comprend qui nous sommes. Tout est nouveau. Caprice jouit.
Chirurgy is the new sex.
Autour de l’auteur, toute la communauté artistique s’agite.
It’s like discovering a new Picasso!
Il ne s’agit pourtant pas de nouveaux ready-made. On ne parle pas non plus de la merde d’artiste réalisée par Manzoni. Ces ablations sont une manière futuriste de montrer qu’il est possible de reprendre le contrôle d’une évolution s’impose aux corps.
Organism needs organisation.
La manière dont Tenser se met en scène redonne du sens à l’art et influence de nouvelles approches. On s’auto-mutile comme Marina Abramovic. Yeux et bouches cousus. Greffes d’oreilles sur tout le corps car le temps est venu d’écouter plutôt que de voir ou de parler. Une ré-appropriation de soi et du monde.
This is our world.
Tenser veut aller encore plus loin. Il ne peut se satisfaire de quelque chose qu’il maitrise. Son souhait est que son oeuvre le dépasse.
I want to do more than perform, I want to construct.
Lang va lui donner l’opportunité car il est en train de penser l’avenir avec ses barres chocolatées.
A new world opens up.
L’autopsie de Brecken devient un moment capital du futur.
I dont know what we will see but I know it will be beautiful.
Où l’art permet de nouveau une révélation sensible de la vérité. Le monde ouvre alors les yeux sur un crime. Celui de l’enfant qui pourrait permettre à l’humanité d’imaginer un avenir. Brecken est le messie du recyclage. Il mange littéralement les poubelles.
C’est plus que ce que sa mère est prête à accepter. Elle ne lui permet pas de vivre. Une génération étouffée par la précédente (cf Les Sous-Doués).
L’autopsie révèle la vérité d’un monde qui n’est pas encore prêt à évoluer. La solution est connue mais n’est pas permise. À défaut de pouvoir sauver le monde comme certain·es le souhaiteraient, l’art permet une prise de conscience. Un premier pas de danse.