L’AVOCAT DE LA TERREUR

L’AVOCAT DE LA TERREUR

Barbet Schroeder, 2007

LE COMMENTAIRE

Selon Maître Vergès, un bon avocat ne doit sous aucun prétexte franchir la ligne blanche sous peine de devenir vulnérable. C’est à dire qu’il doit toujours rester du bon côté de la barrière qui le sépare de son client. Le secret du professionnel qu’il était. Ainsi que faire preuve d’une sérénité à toute épreuve, en toute circonstance.

LE PITCH

Rétrospective sur un avocat controversé et un homme mystérieux.

LE RÉSUMÉ

Jacques Vergès a grandi comme un ‘colonisé’ au Siam d’une mère institutrice et d’un père Consul de France. Né en colère.

J’ai vécu dans un pays colonisé. Fils d’un père né à la Réunion et d’une mère née au Viet-Nam. Mes souvenirs d’enfance sont ceux d’un pays où les gens de couleurs devaient s’écarter au passage des Européens. C’était là une vision inacceptable pour les adolescents que nous étions.

Il s’engage dans la profession juridique où il est commis d’office. C’est de cette manière qu’il se rapproche du combat des anti-colonialistes.

Je me suis dit ‘ce type, c’est moi’. Et j’ai compris que c’était ma vocation.

Il adopte régulièrement une défense de connivence dans laquelle l’accusé se fait accusateur. Cela devient sa marque de fabrique. Choqué par les massacres de Sétif en Algérie, il prend la défense de Djamila Bouhired à qui il permet d’éviter la peine capitale et dont il tombe amoureux.

À l’indépendance de l’Algérie, il lance le Journal Révolution Africaine. Puis il prend la défense des FPLP.

En 1970, il disparait de la circulation jusqu’à 1978. Personne ne sait où il est, pas même son vieil ami Siné.

Vergès a des relations troubles. Il fréquente notamment le Suisse François Genoud, un ancien Nazi qui finance le FLN. Wadi Haddad. Le terroriste Carlos et les membres de la RAF.

Au cours de sa carrière, il prend la défense de criminels de guerre tels que Klaus Barbie ‘le boucher de Lyon’ seul face à une armée d’avocats.

Ils sont trente neuf et moi je suis seul. Ça veut dire que chacun d’eux ne vaut qu’un quarantième de ma personne.

Il plaide pour Anis Naccache, Carlos, Magdalena Kopp. Parmi ses clients on compte également Georges Ibrahim Abdallah, Tarek Aziz, Bernard Bonnet, Simone Weber, Laurent Gbagbo, Cheyenne Brando, Omar Raddad, Jacques Médecin, ainsi que les protagonistes de l’affaire du sang contaminé. Que des pointures.

On me demande : Est-ce que vous défendriez Hitler? Mais je défendrais même Bush! À quelle condition? Qu’il plaide coupable.

En dehors de ces procès médiatiques, Vergès aimait tout particulièrement s’opposer à la justice française pour la mettre face à ses contradictions, arguant que la France avait utilisé dans ses ex-colonies les techniques qu’elle cherchait à condamner : répression, enlèvement, torture.

Il aimait faire dérailler la grosse machine étatique, en respectant scrupuleusement les règles du droit français. C’était son plaisir.

Vergès n’aura de cesse de rentrer dans le chou de la France jusqu’à ce qu’elle avoue s’être comportée comme des nazis de la Seconde Guerre mondiale vis-à-vis des nationalistes anti-colonialistes de son ancien empire.

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L’EXPLICATION

L’avocat de la terreur, c’est l’empêcheur de tourner en rond.

De l’avis de toutes celles et ceux qui le connaissaient, Jacques était un sentimental. Il n’y a qu’à l’écouter parler de Djamila, les sanglots dans la voix, pour comprendre que cet homme impassible n’était pas dénué d’émotion – bien au contraire. Ce passionné parlait de son métier avec beaucoup de romantisme.

Un procès c’est un lieu magique, c’est une boite à surprise.

Il s’amusait beaucoup de cette comédie et excellait dans l’art de la réthorique. Ce qui lui permettait d’être au dessus de la profession. La salle d’audience devenait pour lui une salle de spectacle où tout pouvait effectivement arriver.

C’est eux qui avaient préparé le spectacle. C’était à nous ensuite d’improviser notre pièce.

Lui qui était pourtant devenu avocat ‘par accident’, mais pas par hasard. Le prétoire était le seul endroit où il pouvait avoir une tribune. Car il était engagé. Il a toujours pris le parti du vilain petit canard même quand le vilain petit canard en question était effectivement vilain. Peu importe. À vilain, vilain et demi.

Vergès détestait avant tout le pouvoir qu’un régime tout puissant pouvait exercer sur un individu. Son âme de colonisé ne pouvait le supporter.

Je ne peux pas tolérer qu’un homme soit humilié, même un ennemi. 

Alors il a lutté dans la clandestinité, sans jamais faire de son combat quelque chose qui aurait pu s’institutionnaliser. Un terroriste en robe d’avocat. Il ne pouvait pas être sur le terrain. Jacques Vergès aimait aussi la France. Une certaine idée de la France.

Pour moi la France ce n’est pas les colons. C’est Montaigne, Diderot, la Révolution.

Il fut considéré à tort par certains comme l’ennemi de l’état alors qu’il cherchait simplement à dénoncer l’omnipotence de l’état. En ce sens, il était un élément sain du système visant à éviter les dérives totalitaires.

Son talent, sa personnalité, son attitude ennuyaient. Tout simplement parce qu’il était plus fort.

En face on se demandait : qu’est-ce que ce salaud va encore inventer aujourd’hui ? Et comme le salaud avait de l’imagination, chaque jour il inventait une affaire nouvelle!

Ses appuis étaient cependant tellement puissants qu’il ne fut jamais kidnappé ou qu’il ne disparut jamais pour toujours. On ne l’a jamais retrouvé au fond d’un trou dans le désert (cf Casino). C’était un homme qui avait suffisamment compris le système pour pouvoir mener sa barque (cf Un Prophète).

Vous savez toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Enfin si car le tribunal en tient compte. Mais la presse n’en tient pas compte. 

Il savait quelles étaient les failles du système pour mieux en tirer parti.

Le pouvoir est très mal obéi.

Jacque Vergès était l’enfant espiègle qui ennuie ses parents en sachant exactement où appuyer pour que ça fasse mal. Il fut un avocat brillant qui savait tirer profit de la complexité du droit pour mieux troubler les jurys, semant le doute dans les affaires qui paraissaient pourtant les plus simples. Une seule chose était simple pour lui : si le monde pouvait être divisé en deux, alors on trouve les faibles d’un côté et les forts de l’autre. Et Vergès avait clairement choisi son camp.

Plus que l’avocat des causes perdues, Vergès était surtout le grain de sable permettant à l’institution de ne jamais se reposer dans le confort de sa toute puissance. Celui qui nous agace mais sans lequel nous serions aveuglés par notre propre bêtise. N’oublions pas que ce qui fut jadis le pays des Lumières ne compte aujourd’hui que lorsque ça l’arrange (cf Nikita).

En France, les Guignols n’existent plus. On est bien obligé de balancer quelques porcs, sans faire trop de vagues, depuis l’affaire Weinstein. En France, on ne se dope pas.  On est mieux que les autres. Les médias ne communiquent pas quand notre cher président se fait humilier par les autres. On a mis du temps avant de reconnaître la torture en Algérie.

On devrait toujours être reconnaissant envers celles et ceux qui ne pensent pas comme nous.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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