GLORIA BELL
Sebastián Lelio, 2019
LE COMMENTAIRE
La rigologie, c’est du sérieux. On n’a plus assez d’occasions de rire ensemble. Il faut les trouver de manière individuelle. Pour peu qu’on parvienne à s’amuser à nouveau de la vie, on refait partir le grand manège afin de profiter un peu de sa solitude.
LE PITCH
Une femme divorcée affronte la cinquantaine avec courage, dans des guinguettes.
LE RÉSUMÉ
Gloria Bell (Julianne Moore) est mère de deux enfants et bientôt deux fois grand-mère. Sa fille Anne (Caren Pistorius) est enceinte d’un surfer suédois. Son fils Peter (Michael Cera) est dans une histoire compliquée puisque sa compagne est partie se chercher dans le désert. Gloria s’est séparée de son ex-mari (Brad Garrett) il y a une douzaine d’années.
Elle loue un appartement situé sous l’appartement du fils de sa propriétaire et qui est visiblement dépressif. Le cabinet d’assurance dans lequel Gloria travaille n’est pas une source d’épanouissement (cf Monsieur Schmidt). Elle appelle désespérément ses enfants au téléphone pour avoir l’impression d’être utile à quelque chose. Comme Anne et Peter volent désormais de leurs propres ailes, Gloria se réfugie dans des dancings de Los Angeles où elle dansent sur des vieux tubes du jurassique.
Elle y fait la rencontre inattendue de Carl (John Turturro), un néo-divorcé patron d’un parc d’attraction. Contrairement à Gloria qui s’accroche à sa famille, Carl essaie de fuir la sienne. Son ex-femme et ses deux filles ont tendance à être plutôt envahissantes.
Le couple se trouve et passe la nuit ensemble. Carl ne tarde pas à rappeler Gloria pour l’inviter à déjeuner et lui faire une déclaration d’amour qui fait littéralement chavirer Gloria.
I can’t get you out of my head.
Mais le téléphone sonne régulièrement comme une alerte, déjà. Gloria se méfie et demande à Carl s’il est effectivement divorcé ou non.
Les deux amants se voient régulièrement. Carl récite des poésies sud-américaines à Gloria histoire de la faire chavirer encore davantage.
Lors d’un dîner avec son ex-mari et ses enfants, Carl se fait plus discret. Personne ne lui prête vraiment attention. Il saisit un appel de sa fille pour disparaître sans prévenir. D’ailleurs, personne n’a remarqué son absence sur le moment. Choquée par ce départ précipité, Gloria ne veut plus entendre parler de Carl. Elle en a marre.
Well, when the world blows up, I hope I go down dancing.
Au tour de Gloria d’être harcelée au téléphone toutes les cinq minutes. Carl va l’avoir à l’usure. Tous les deux embarquent pour un weekend dans le Nevada, comme un nouveau départ. Puis Carl s’éclipse à nouveau, préoccupé par son ex-femme. Gloria prend les devants et jette son téléphone portable dans la soupe afin qu’ils ne soient plus dérangés. Tous les deux en rigolent. Carl l’embrasse avant d’aller aux toilettes, pour ne plus revenir. Profondément blessée, Gloria se laisse dériver dans la nuit. Elle se réveille au petit matin, au bord de la piscine d’un hotel de Vegas.
De retour à Los Angeles, Gloria essaie de reprendre sa vie. Elle se rend au mariage de la fille de sa meilleure amie. Lorsque le DJ lance la chanson de Laura Branigan, la place de Gloria est évidemment sur le dance floor. Elle s’execute, machinalement. Presque sans conviction.
L’EXPLICATION
Gloria Bell, c’est seule sur la piste.
Pas besoin de s’appeler Aristote pour conclure que nous sommes des animaux sociaux. Non seulement notre addiction aux réseaux nous le rappelle tous les jours. Il nous suffit également de constater le besoin de relations plus humaines que la société virtuelle a fait ressurgir en nous (cf Her). Ras le bol des machines et des applications de dating. Donnez nous une bonne vieille piste de danse, une chanson bien crado et un bar (cf Crazy Stupid Love). Les fondamentaux. Nous nous chargerons du reste.
Chacun essaie de trouver le bon rythme (cf Whiplash) et sa place dans la fanfare (cf Le Goût des Autres). C’est le jeu. Pour y parvenir, nous avons constamment besoin des autres afin de mieux nous situer. Il n’est donc pas totalement absurde de comparer la vie à une piste de danse avec ses différentes ambiances (cf La Fièvre du Samedi Soir).
La plupart du temps, on s’y croise (cf La La Land) mais en réalité on a envie de s’accrocher et ne plus se lâcher (cf La Boum). Parce qu’on redoute secrètement que la vie ressemble en fait plutôt à un jeu de chaises musicales et on n’a surtout pas envie d’être le dernier imbécile à ne pas trouver de siège sur lequel s’asseoir au moment où la musique s’arrête (cf Nous finirons ensemble).
C’est le drame que vit Gloria, seule depuis déjà une douzaine d’années, et qui n’a plus l’impression de compter aux yeux de qui que ce soit. Son ex-mari lui rappelle les souvenirs d’une vie qui s’est évaporée. Dans son métier, elle n’est rien de plus qu’une employée parmi d’autres, qui peut prendre son carton du jour au lendemain.
Elle a beau crier très fort et mettre le monde au défi, personne ne lui prête attention. Gloria est le pur produit d’une société qui nous a fait croire que nous étions tous uniques et qui se réveille autour de la cinquantaine, prenant conscience que tout cela n’était qu’un mensonge (cf Matrix).
Face à cette pesante vérité, Gloria ne se rebelle pas. Bien au contraire, elle veut continuer à croire à la belle histoire qu’on lui a vendue. Quand Carl la remarque, tout fait soudainement sens. Gloria ne veut d’abord pas se le permettre. La vie, elle connaît bien. Elle veut s’en protéger. Mais elle ne peut pas résister au charme de cet homme aux apparences si authentiques.
Gloria a voulu surfer sur la vie mais elle s’est faite rattrapée par la vague, les années, l’amertume et puis peu à peu la solitude et la résignation.
The planet is as good as blown up already my dear. We’re just arranging the deck chairs on the Titanic at this point.
La vie sonne toutes les cinq minutes sur son smartphone. Son voisin se plaint en permanence comme s’il était impossible d’échapper à cette petite voix.
Dans ces moments là, on a envie de se mettre minable (cf Very Bad Trip). On veut toucher le fond (cf Leaving Las Vegas). Quand notre mère vient nous chercher et nous ramener à la maison, on s’effondre une dernière fois par terre avant de se relever. Parce qu’on est obligé de continuer. Même si on n’a franchement plus envie d’aller danser.
Si seulement on pouvait assumer d’être seul·e à sa table et se dire que c’est pas si mal finalement. Tenter d’apprivoiser sa solitude plutôt que de la fuir (cf Fumer fait tousser). On ne nous laisse pas ce choix : il faut retourner danser et faire semblant. Sans plaisir. C’est finalement sur la piste de danse que la solitude fait le plus mal. Seul·e au milieu de tous les autres fantômes.
Pas mal !
Il me semble quand même que danser est vu comme cette possible échappatoire à l’absurde de la vie sur des rythmes endiablés et assourdissant (datant certes du jurassique mais qui restent intemporels pour la race humaine).
Turturo comme à son habitude dans un rôle torturé et hypocrite : Gloria transforme sa maison familiale en parc d’attraction où on fait semblant d’avoir peur et de mourir.
J’attendais un peu plus de rythme de ce film : auriez-vous une analyse philosophique des nombreuses scènes de chant dans la voiture ?
Merci pour ce commentaire Meena. Danser est un échappatoire qui ne semble plus faire effet sur Gloria, qui gesticule machinalement sur la piste. Enfermée dans son monde comme les participants à une soirée de Silent disco.
Quant à votre question, il faut d’abord considérer l’objet : La voiture est un outil qui nous emmène d’un point A à un point B. Symbole de progrès, elle nous empêche de faire du sur-place. La voiture est aussi le véhicule qui nous permet de nous insérer dans le traffic. Parmi les modes de transport, la voiture est considérée comme une bulle. On peut y chanter sans peur du ridicule. La voiture sert de caisse de résonance à Gloria qui cherche à se donner du courage. Elle a écouté la propagande musicale pendant des années et veut croire que si elle chante dans le tempo, elle accèdera au bonheur. Comme une artiste sur scène qui souffrirait d’un retour dans l’oreille, elle se rend compte que tout cela n’a rien de glorieux.