LE SUIVEUR

LE SUIVEUR

Christopher Nolan, 1998

LE COMMENTAIRE

Le penseur Belge Benoît Patard a très bien expliqué comment l’enfer des villes nous réduisait à l’état de pigeons (cf C’est arrivé près de chez vous). Les citadins sont heureux de croire qu’ils sont des sortes d’élus, dont la vie serait unique et signifiante. S’ils n’y croyaient pas, ils réaliseraient peut-être qu’ils ne sont guère que des poussins dans un élevage en batterie. Des consommateurs lambda, totalement prisonniers de la boutique et qui n’ont pas plus d’identité que les consommateurs de l’autre côté de la vitrine.

LE PITCH

Un homme prend en filature la mauvaise personne.

LE RÉSUMÉ

Un jeune homme (Jeremy Theobald) se met à suivre des gens dans la rue, au hasard, sans raison (cf Nimic).

Il n’a pourtant rien d’un prédateur sexuel (cf Shame).

I’ve been on my own for a while and getting kind of lonely and bored. That’s when I started shadowing.

And then?

Then nothing.

Jusqu’au jour où il se fait repérer par Cobb (Alex Haw), un cambrioleur pervers, un peu philosophe sur les bords, qui s’introduit chez les gens pour l’adrénaline, pour les faire réfléchir.

That’s what it’s all about : interrupting someone’s life. Making them see what they think for granted. They’ll have to think for the first time in the long time: why did they wanted all that stuff ? What it’s for?

Le jeune homme se prend au jeu, change d’allure et tombe amoureux d’une de leurs victimes (Lucy Russell). Une histoire compliquée. La jeune femme fréquente un mafieux qui la fait chanter avec des photos compromettantes. Sous l’influence de sa partenaire, le suiveur décide de cambrioler le mafieux afin de récupérer les fameuses photos. Au passage il tue un inconnu à l’aide d’un marteau.

Il s’avère que la blonde en question est la petite amie de Cobb, qui travaille pour le mafieux sus-mentionné. Cobb cherche une couverture pour un meurtre qu’il aurait commis, ou qu’il s’apprête à commettre. Il va en effet se débarrasser de la blonde, pour le compte de son patron. Celle-ci était en possession d’informations compromettantes. Elle doit donc disparaître. Cobb la tue avec le marteau utilisé lors du cambriolage. Le coupable est tout désigné.

Cobb disparaît dans la foule.

Capture d’écran 2020-08-21 à 20.13.56

L’EXPLICATION

Le Suiveur, c’est le mouton de Panurge.

Trop de monde, cela ne va pas. Mais plus personne, cela ne va pas non plus. Certains disent que la solitude est le mal du siècle. Effectivement, la solitude est terrible au sens où elle nous condamne à l’anonymat. Nous ne pouvons pas nous épanouir seul sur notre île, même lorsqu’elle est perdue au milieu d’un paradis Pacifique (cf Seul au monde).

Pas plus que nous serions épanouis seuls à Paris (cf Seuls two). Nous avons besoin du monde (cf Girl, interrupted). Surtout pour les animaux sociaux que nous sommes devenus, cette hypothèse est tout simplement insupportable. La solitude serait donc bien le mal de ce nouveau siècle hyper-connecté (cf The Social Network) puisque malgré tout le temps que nous passons sur ces réseaux, nous n’avons plus vraiment d’amis.

C’est bien pour cela que le jeune homme se met à suivre les autres : pour définir sa place dans la société. Il veut connecter avec ses semblables, de manière relativement maladroite. Tout ce qui lui importe, c’est de retrouver son humanité.

All of a sudden, those persons don’t belong to the crowd anymore, they become individuals.

Alors comme 90% d’entre nous, il devient un témoin passif de sa propre vie. Spectateur au sens de Guy Debord. C’est ainsi que l’écrivain est fasciné par ses semblables mais n’arrive pas à accoucher d’une ligne (cf Shining). Son voyeurisme le rend addict. Bien qu’il se fixe la règle de ne jamais suivre la même personne deux fois, il finit par suivre Cobb qui devient une sorte de gourou (cf The Master). Quelqu’un qui s’affirme, qui prend des risques, qui a ce qui manque aux autres : un point de vue sur le monde. Cobb fait les choses et il sait pourquoi. 

You take them away, show the what they had.

Il est différent. C’est de cette manière qu’on se met à suivre quasi religieusement des personnalités ou des hommes politiques. On rentre sous influence. Lorsque ces personnes postent des vidéos sur leurs plateformes, nous nous empressons de les liker sans réfléchir – voire de les imiter (cf The American Meme). Nous repartageons leurs tweets, sans nous poser de question. Persuadés de vivre la vie de rêve – par procuration, nous ne voyons même plus la menace. Et pourtant…

Everybody has a box.

La blonde n’est pas celle que nous voulions croire. Cobb non plus. L’histoire s’inverse. Et sans que nous ayons le temps de comprendre, nous nous retrouvons pris au piège de la toile d’araignée. Notre vie nous a été dérobée. On finit par payer à la place des autres, en imitant la signature de personnes que nous ne connaissons même pas. Tout ce qui ressemblait à des certitudes s’effondre sous nos pieds. Lorsqu’on se plaint, il est toujours trop tard.

How could you do this to me??

Nothing personal. I don’t even know you.

following-bar

À la fin de l’histoire, nous sommes les seuls responsables. Ce n’est que notre faute. Personne n’a poussé ce jeune homme à suivre les autres. Il a pris le risque de tomber sur quelqu’un de malveillant. Le suiveur a fini par vivre à travers l’autre, s’est fait prendre en filature sans s’en rendre compte, pris à son propre jeu et a perdu son identité. Il n’a finalement que ce qu’il mérite.

You set yourself up for it.

Le jeune homme s’est jeté dans le ravin, bêtement, comme les autres moutons du troupeau. Il devient le dindon de la farce. Le suiveur est le couillon de Marcel Pagnol. Pensons-y quand une marque nous invite ironiquement à ne suivre personne. Posons-nous des questions lorsque nous posons un précieux like sur une vidéo qui en compte déjà quelques millions. Essayons de nous en rappeler quand un homme politique nous encourage à aller porter notre projet, ou plutôt le sien (cf Macron à l’Elysée).

Qu’est-ce que cela dit de nous ? Où cette filature va-t-elle nous mener ?

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

3 commentaires

  • Merci beaucoup pour cette référence qui m’a fait beaucoup réfléchir.
    On peut aussi voir dans ce film une manière en apparence vicieuse mais en réalité peut etre plus profonde de s’intéresser à l’autre. On ne se contente pas d’observer en surface, en entrant chez l’autre on devient curieux de son univers, on découvre la personne, la personne se découvre. Le problème évidemment c’est quand cette rencontre vient avec un carreau cassé, une serrure défoncée et des bijoux volés.
    Donc loin de moi l’idée de proner le cambriolage mais peut être d’arrêter de penser qu’on connait les gens à travers des images qu’on ferait défiler.

    • Merci Delphine, donc d’après vous il ne s’agit pas que de suivre l’autre. Il faut essayer de rentrer dans sa tête.
      Mais alors on prend le risque d’être pris au piège. N’est-il pas plus sûr de continuer sa route, chacun de son côté ?

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