PAPERMAN

PAPERMAN

John Kahrs, 2012

LE COMMENTAIRE

Tous les matins, on attend son train sur le quai en ayant l’impression un peu désagréable de ne jamais prendre le bon (cf Nimic). On repart pour un nouveau tour de manège sans intérêt. La journée passe en coup de vent, comme la veille. Comme les autres. Pas comme la suivante, on espère. Demain sera un autre jour. Une autre chance.

LE PITCH

Un coup de foudre urbain sur le chemin du travail.

LE RÉSUMÉ

New York, 1940. George est un jeune comptable qui se rend à Manhattan avec une serviette à la main. Le vent souffle et lui ébouriffe un peu la mèche. Sur son bras se colle une feuille volante. Celle de Meg, après laquelle elle courait.

Meg rattrape finalement sa feuille pour la remettre dans sa serviette, et se poste sur le quai elle-aussi, juste à côté de George. Ils attendent.

Un train passe et fait souffler l’une des feuilles de George en plein dans le visage de Meg. Elle s’amuse d’avoir laissé une belle trace de rouge à lèvres sur ce formulaire. Quand George s’en rend compte, la jeune femme a déjà filé dans le train d’en face. Elle lui jette un regard en s’éloignant.

À son bureau, George contemple la marque de rouge à lèvres. Lorsque son patron vient lui larguer une nouvelle pile de formulaires à traiter – l’air sévère. Un courant d’air emporte presque la dédicace de Meg. George la rattrape in extremis. À travers la fenêtre il aperçoit Meg dans le gratte-ciel d’en face.

Il gesticule mais ne fait que capter l’attention de son boss. Celui-ci lui fait comprendre à son subordonné qu’il devrait se remettre au travail plutôt que de rêvasser.

George se rassoit mais commence à fabriquer un avion en papier, puis le lance par la fenêtre avec l’espoir qu’il atterrisse aux pieds de Meg. Ses tentatives échouent. Toute la pile y passe.

George aperçoit Meg quitter l’immeuble.

Son patron l’empêche de partir au moyen d’une nouvelle pile sur son bureau.

Tous ses collègues observent sa réaction : George file comme l’éclair.

Sur l’avenue, il manque de se faire écraser à plusieurs reprises. De l’autre côté, Mega a disparu. Par dépit, George lance l’un de ses avions qui était tombé au sol.

L’avion en papier fait un long voyage pour atterrir au milieu d’autres avions. Ils se mettent tous à s’animer dans un tourbillon, pour suivre George et le recouvrir.

De son côté, l’avion dédicacé finit sa course dans un bouquet de fleurs, juste devant Meg. Puis il décolle à nouveau. Elle le poursuit jusqu’à la gare.

De retour au point de départ.

Sur le quai, Meg retrouve George couvert de papier. Ils ne peuvent plus s’ignorer.

Avec son air de grand dadais, la tête légèrement en avant pesant sur ses cervicales, il va devoir prendre son courage à deux mains pour lui parler.

L’EXPLICATION

Paperman, c’est la nostalgie des coups de foudre « à l’ancienne ».

Le monde d’aujourd’hui est devenu un espace où les rencontres se font d’abord de manière virtuelle à travers les applications – quand elles se font. Car certaines relations se vivent de manière entièrement virtuelles. L’Amour s’est dématérialisé.

On ne tombe plus vraiment amoureux, on match. Ce qui n’est pas exactement la même chose.

Le match s’inscrit dans une relation qui se joue sur un autre rythme. Des couples ambitieux et cyniques à la fois, qui cherchent une relation absolue (cf Her) pour laquelle ils ne veulent renoncer à rien. Ainsi ils se forment plus vite, sans vraiment se jeter à l’eau. Ils nourrissent leur curiosité de l’autre via les réseaux sociaux et les applications de messagerie toute la journée et s’épuisent logiquement. Ils se lassent donc plus vite l’un de l’autre (cf Newness).

Assaillis par le doute et la tentation de l’ex (cf Last Night) ou de la prochaine relation, ils se séparent, en souffrance (Love). Celles et ceux qui se sont pris au jeu du mariage font le choix de divorcer, en souffrance (cf Marriage Story). On cherche à s’oublier (cf Eternal Sunshine). Parce qu’ils ne se supportent plus. Si désireux de se détacher du réel et tellement incapables d’y parvenir.

Un monde dans lequel on ne sait plus ce que c’est que d’être deux. On construit des morceaux de vie mis bout à bout. Les enfants deviennent des dommages collatéraux. Ils apprennent à faire des aller-retours.

Le match est une allumette dont la flamme ne dure quelques secondes.

On en revient tout doucement aux vieilles histoires en noir et blanc. À l’époque où les rencontres se faisaient d’une manière plus organique. Il fallait sortir de chez soi pour rencontrer quelqu’un.

On ne faisait pas l’autre dans un panier sur la base de quelques photos. Quelque chose nous portait naturellement vers l’autre. On voulait y voir un signe. Une feuille de papier portée par le vent. Il y avait toute une mystique quasi sacrée autour de la rencontre. Pas d’algorithme.

Le destin invitait les tourtereaux à se croiser à nouveau d’une manière à ce que l’on se dise que tout était déjà écrit. C’est tellement plus pratique quand tout est écrit d’avance, comme une forme d’évidence : parce que c’était lui, parce que c’était moi.

La foudre tombait, au moins d’un côté. Meg tape clairement dans l’oeil de George sans rien dire. Puis après, laisser le charme agir… C’est à dire se mettre au travail. Parce qu’une relation se construit plus qu’elle ne se consomment.

George et Meg se perdent puis se retrouvent parce que tout semble devoir les réunir. Dans cette grande ville de béton où ils sont tous les deux des anonymes, ils ont maintenant l’impression d’exister. Ils mettent une petite touche de couleur vive dans la grisaille.

Après tout, ce n’est pas un hasard si George et Meg se retrouvent dans une gare : ils s’apprêtent tous les deux à partir pour un long et beau voyage. Une belle histoire avec une magie pas trafiquée.

Pour un peu, cela donnerait presque la nostalgie de ces histoires d’amour à l’ancienne où les coups de foudre se produisaient un peu au hasard de la vie (cf Coup de foudre à Notting Hill). Surtout, les coups de foudre permettaient d’éviter les mariages arrangés (cf One of Us).

Les histoires à la Blanche-Neige et de son prince charmant.

Ou de la Belle au bois dormant… et de son prince charmant aussi.

Des princes, encore des princes, toujours des princes (cf Un Prince à New York).

Tout cela était bien joli mais c’était un peu truqué quand même. Et cela manquait cruellement de mixité!

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

2 commentaires

  • L’histoire rappelle des contes peu inclusifs certes, mais vous reconnaîtrez qu’elle ne peut pas être plus recyclable. Une fable de l’Amour durable.
    Merci beaucoup pour cette référence très poétique et votre si joli commentaire. Vive le papier!

    • Merci d’évoquer l’économie circulaire des relations d’autrefois.
      Il est vrai qu’à l’ère des relations jetables, le speed dating empêche toute possibilité de nouveau mythe amoureux.

Commentez ou partagez votre explication

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.