UN HOMME QUI DORT

UN HOMME QUI DORT

Bernard Queysanne, Georges Perec, 1974

LE COMMENTAIRE

Dans sa société du spectacle, Guy Debord qualifiait le spectacle de mauvais rêve de la société moderne enchaînée qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Installé·e confortablement comme dans un cinéma, à contempler le film plus ou moins divertissant de sa propre vie. À dormir les yeux grand ouverts. Avec l’audace un brin narcissique de croire que l’on est seul·e dans la salle (cf Brice de Nice).

LE PITCH

Monologue de la conscience d’un jeune homme en marge.

LE RÉSUMÉ

Il est cinq heures, Paris s’éveille. Sous les toits, un homme (Jacques Spiesser) n’a pas sommeil. Il lit dans son appartement, la clope au bec. Puis il s’endort.

Lorsqu’il se réveille, il enchaîne une autre cigarette. Un café. Il se lave les dents. Direction la faculté de Lettres. Pendant son examen, il marque un temps d’arrêt. Sa conscience lui parle.

Ton réveil sonne, tu ne bouges absolument pas. Tu restes dans ton lit, tu refermes les yeux. Ce n’est pas un geste prémédité, ce n’est pas un geste d’ailleurs mais une absence de geste. Un geste que tu ne fais pas. Des gestes que tu évites de faire.

Il remet tout en question, en imaginant ne pas aller à son examen. Comme s’il laissait sa place aux autres.

Un autre, un sosie, double fantomatique et méticuleux fait peut être à ta place un à un les gestes que tu ne fais plus : il se lève, se lave, se rase, se vet, s’en va.

S’il continue à observer sa routine, il se détache progressivement des autres. Il continue de manger ses steaks frites et de boire ses verres de vin. Cependant il fait le bilan sur sa vie en ayant l’impression de marcher seul au milieu de la route.

C’est un jour comme celui-ci, un peu plus tard, un peu plus tôt, que tu découvres que quelque chose ne va pas. Que tu ne sais pas vivre, que tu ne sauras jamais.

Il note tous les moindres détails de la vie autour de lui auxquels on ne prête généralement aucune attention, car on a mieux à faire. La fêlure dans le mur ou la goutte d’eau du robinet.

Il regarde des films et vit à l’envers.

Parfois tu marches toute la nuit, parfois tu dors tout le jour.

Il joue aux cartes, seul, dans une vie ralentie qui n’a plus d’autre sens que celui qu’il veut bien lui donner.

Ta chambre est le centre du monde. (…) Dans le silence de ta chambre, le temps ne pénètre plus. (…) Le temps passe mais tu ne sais jamais l’heure.

Tout doucement, il apprend à vivre avec détachement. Il observe les autres (cf Following) et trouve une certaine forme de beauté dans ce qui n’en a aucune a priori.

Tu as tout à apprendre. Tout ce qui ne s’apprend pas : la solitude, l’indifference, la patience, le silence. Tu apprends la transparence, l’immobilité, l’inexistence.

Passant comme un fantôme au milieu de la foule. Ce qu’il perçoit d’abord comme une forme de liberté se transforme rapidement en angoisse. Enfermé dans sa tête, il se sent comme un rat de laboratoire oublié dans son labyrinthe.

Combien de fois tu refais les mêmes gestes mutilés ? Les mêmes trajets qui ne conduisent jamais nulle part. Tu n’as d’autre secours que tes refuges de tes quatre sous. Ta patience imbécile. Les mille et un détours qui à chaque fois te ramènent à ton point de départ.

Il prend part à la vie parisienne mais n’en est pas un véritable acteur. Ne parlant à personne, ne produisant rien.

Seule compte ta solitude. Quoi que tu fasses. Où que tu ailles. Tout ce que tu vois n’a pas d’importance, tout ce que tu fais est vain, tout ce que tu cherches est faux.

Sa vie devient cauchemar, lorsqu’il comprend qu’il est finalement comme tout le monde. Prisonnier de la ville et de ses pensées en boucle.

Le jeu est fini, le monde n’a pas bougé et tu n’as pas changé. L’indifférence ne t’a pas rendu différent. Tu n’es pas mort, tu n’es pas devenu fou, (…) tu n’es plus le maître anonyme du monde.

L’EXPLICATION

Un homme qui dort, c’est avoir fait le tour de la question.

Cet homme s’est bien levé pour aller à la faculté de Lettres et passer son examen. Cependant, il s’interroge : que se passerait-il s’il ne s’était pas levé ? À partir de ce moment précis, sa conscience s’active. Qu’est-ce qui se passe quand on s’écarte du droit chemin ? Que se passe-t-il quand on prend la pilule rouge (cf Matrix) ?

Il établit d’abord un constat : l’école nous formate. En refusant l’examen, il ne deviendra pas le fruit de l’Éducation Nationale.

Tu ne diras pas ce que tu sais qu’il faut penser.

Il libère une chaise.

Ta place reste vide.

En sortant du cadre, cet homme a d’abord l’impression de comprendre ce qu’est la liberté. Il décide par lui-même pour la première fois. Son choix lui permet de voir ce que les autres ne voient plus, trop occupé·es à courir contre la montre (cf Alice au Pays des Merveilles).

Tu découvres avec presque parfois une sorte d’ivresse que tu es libre.

Très vite, l’homme se rend compte qu’on est condamné à devoir aimer son destin, car c’est tout ce qu’il lui reste (cf A Man). Quand on est dans le système, on veut croire à l’illusion que nos décisions comptent. Alors que lorsqu’on est hors du système, on est tout simplement de l’autre côté du miroir. Hors jeu.

Quand l’homme ne veut pas être un simple pantin, il s’exclut de tout.

Tu as vingt cinq ans et vingt neuf dents. Trois chemises et huit chaussettes. Cinq cent francs par mois pour survivre. (…) Tu ne feras plus d’études. (…) Attendre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à attendre. (…) Longer les quais, raser les murs. Perdre ton temps. Être sans dépit, sans révolte. (…) Tu ne veux que durer, tu ne veux que l’attente et l’oubli.

L’euphorie du sentiment de liberté passe très vite (cf Requiem for a Dream). Lucide sur sa condition, l’homme réalise qui il est vraiment (cf Hollywoodland). Sa seule réponse est l’indifférence (cf Detachment). Naviguer dans une vie sans surprise. Comment continuer à vivre sans but ?

Tu vis dans un vides plein de promesses dont tu n’attends rien. (…) Il t’importe seulement que le temps coule et que rien ne t’atteigne.

L’homme réalise qu’il dort, faute de mieux. Être éveillé ne lui apporte rien. D’une façon ou d’une autre, on est coincé (cf Sorry to bother you). Et l’on se met à faner avec les années (cf The Father).

Avec le temps, tes yeux ont perdu tout ce qu’ils avaient d’éclat.

La réalisation de cet homme est que l’on cherche désespérément à se distinguer car le sentiment de faire partie du troupeau nous est insupportable. Il nous faut impérativement être différent·e des autres. Être, au singulier, ou ne pas être.

Celles et ceux qui cherchent à sortir du lot se rendent pourtant bien compte que c’est impossible. Leurs efforts sont vains. On tourne en rond.

Tu n’as jamais fait qu’errer dans une grande ville.

L’homme désormais sait, et il n’est pas plus avancé.

Toutes et tous sur le même bateau, pas logé·es à la même enseigne (cf Titanic).

Une idée qui n’a donc rien de réconfortant.

Autant se rendormir.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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