RED ROCKET
Sean S. Baker, 2022
LE COMMENTAIRE
Aspirés par nos vies citadines, nous ne pensons qu’à gagner la course contre le temps. Aurions-nous oublié ce qui fait la joie de l’existence? Un peu de bicyclette à un rythme tranquille, sur un chemin de campagne, sans casque. Histoire de profiter un peu du ciel bleu. Rouler au milieu de la route, dans les flaques.
LE PITCH
Un acteur de films pour adultes revient à la case départ.
LE RÉSUMÉ
Mikey Davies (Simon Rex), alias Mikey Saber, revient au Texas dix sept ans plus tard, la queue entre les jambes malgré une carrière bien remplie dans le X (cf Boogie Nights). En galère, il retourne chez sa femme Lexi (Bree Elrod) qui vit avec sa mère Lil (Brenda Deiss). Mikey s’incruste.
You need a man around the house.
Il cherche du travail, fort d’un CV impressionnant.
I got a 81% positive click rate.
Malheureusement, ses hard skills n’impressionnent personne.
My management, they will not permit this.
Pas d’autre choix que de frapper à la porte de Leondria (Judy Hill) pour lui demander la permission de dealer un peu de beuh. June (Brittney Rodriguez) l’approvisionne. Les ouvriers des raffineries deviennent des clients réguliers. Mikey encaisse le cash et paie un mois de loyer en avance.
Il est conduit par son voisin Lonnie (Ethan Darbone) que cela lui chante.
Lexi lui permet de dormir dans sa chambre. Fini le canapé.
Cependant leur idylle retrouvée est de courte durée car Mikey tombe amoureux de Strawberry (Suzanna Son), une jeune vendeuse de donuts n’ayant pas dix huit ans.
L’histoire devient sérieuse, malgré la différence d’âge. Mikey met le petit copain de Strawberry à la porte.
Strawberry is in a different league now.
Il commence même à faire des plans avec la jeune fille : repartir à LA et faire d’elle la nouvelle star du X.
Un grave accident de la route provoqué par Lonnie décide Mikey à passer à l’action. Sa décision est prise : il part avec ses économies et l’annonce à Lexi.
We had some good times. It’s just time for me to go.
Dans la nuit, Lexi appelle June et son frère Ernesto (Marlon Lambert) pour rançonner Mikey. L’acteur est mis dehors, à poils. Leondria lui donne $200 et quelques heures à peine pour déguerpir.
Mikey se rend chez Strawberry. Devant sa maison, il l’imagine en bikini rouge avec les larmes aux yeux.
L’EXPLICATION
Red Rocket, c’est une Amérique qui ne fait plus bander.
Les États-Unis sont à l’image de l’industrie du porno : une gigantesque vitrine qui n’a pas grand chose à voir avec ce qui se passe en coulisses (cf Il n’y a pas de rapport sexuel). Glauque et déprimant.
Un pays largué, vivant sur son glorieux passé de gendarme du monde mais qui perd désormais ses guerres. Qui ne se soucie pas de ses boys (cf Né un 4 juillet, The Card Counter). Où les usines ne ferment pas grâce à des repreneurs Chinois (cf American Factory). Souffrant d’obésité (cf Super Size Me). Pas toujours tendre envers ses minorités (cf Le 13e). Dont les enfants se tirent dessus à l’école (cf Bowling for Columbine).
Une cour de récréation dérégulée, remplie d’avides financiers qui font payer le prix de leur appétit démesuré aux modestes gens (cf Inside Job, The Big Short, Cleveland vs Wall Street).
Des modestes gens toujours plus crétins (cf Idiocracy), qui renvoient l’ascenseur aux élites par l’intermédiaire des bulletins de vote (cf L’âme divisée de l’Amérique).
En somme : le maquillage commence à couler salement. La fête annoncée ne correspond pas à la réalité (cf Fyre : the greatest party that never happened, Fyre Fraud).
Cette Amérique est incarnée par Mikey qui rentre de Californie (cf Mulholland Drive) pour Texas City, perdu dans les champs de pétrole. L’homme est une étoile filante. De nombreuses récompenses dans l’univers du paraître, où les acteurs sont des machines. Broyé puis recraché par le système. Il n’a pas encore compris ce qui s’est passé.
And then the world fucked me, what can I say?
Il représente une Amérique gonflée aux hormones, encore très narcissique. À jamais fière de son patriotisme revendiqué.
I’m still a Texas boy at heart!
En réalité, il s’agit d’un pays délabré (cf The Florida Project), plein d’oubliés (cf Us). Le rêve américain est fracturé. Mikey ne se retrouve pas du bon côté.
I’m stuck in this shit hole anyway.
Un pays de désoeuvrés comme Lonnie qui n’a rien à faire de ses journées.
I got nothing else to do.
De son côté, Mikey vit sur un gros sexe qu’il n’arrive plus à lever que grace à des pilules bleues. Tricheur à l’arrêt sur le canapé. Coincé dans son mariage. Prétendument désinvolte. Il semble se moquer de tout.
I dont give a fuck.
Un coup de foudre de circonstance pour Strawberry, dans la mesure où elle peut lui permettre de se remettre sur les rails. L’amour à l’Américaine, intéressé. Back in business. Mikey se fait charmeur et met des étoiles dans les yeux d’une mineure afin de la convaincre de grimper dans la machine à laver du X (cf Hot Girls Wanted), ce qui offrirait à Mikey un billet de retour vers Los Angeles. Égoïstement.
She’s my way back in.
Mikey s’est pris au jeu. Il s’est cru l’acteur principal. Le héros du film. En vérité, il est médiocre. Petit baratineur même pas vraiment sympathique, il est un danger public. Un passager clandestin qui pousse Lonnie à provoquer un accident sur l’autoroute, mais qui n’assume pas les conséquences. Il se planque en continuant de croire qu’il reviendra au sommet. Une fusée qui explose en plein vol.
Avec Mikey, on se réveille plutôt avec la gueule de bois (cf Very Bad Trip). Ou plutôt on se fait réveiller en pleine nuit pour se faire mettre dehors, avant de devoir repartir une main devant une main derrière vers un endroit où l’on n’est plus souhaité. Réduit au rang de vagabond.
You’re persona non grata.
Sachant que ce qui se fait outre-Atlantique finit souvent par s’exporter à un moment ou un autre, considérons-nous prévenus.