LA GRANDE BOUFFE

LA GRANDE BOUFFE

Marco Ferreri, 1973

LE COMMENTAIRE

L’homme est omnivore, ce qui veut dire qu’il peut manger de tout. S’il fait le choix de ne manger que des légumes, il devient végétarien et doit prendre des compléments pour combler ses carences en fer. À l’inverse, s’il voue une fascination pour le cochon, il se met hors-jeu sur le plan de la religion et s’expose aux risques de maladies cardiovasculaires ou cancéreuses que l’on sait. Ne plus manger n’est pas non plus la solution (cf To the bone). Les carnassier·es que nous sommes doivent donc apprendre les vertus de la modération.

LE PITCH

Quatre amis se retrouvent dans un manoir pour un suicide gastronomique.

LE RÉSUMÉ

Philippe (Noiret) est un magistrat dont la nourrice s’occupe de ses besoins sexuels, l’empêchant ainsi d’être autonome. Michel (Piccoli) est un producteur de TV divorcé qui a du mal à assumer son homosexualité. Marcello (Mastroianni) est un pilote d’avion sans destination. Ugo (Tognazzi) est un cuisinier qui imite Marlon Brando pour mieux combler son manque de personnalité. Tous les quatre s’ennuient donc considérablement dans leur vie. Ils prennent la sage décision d’en finir ensemble, en mangeant jusqu’à plus soif (cf La Plateforme, Next Floor).

Que la fête commence!

Ils se mettent tous à table devant des images érotiques, comme pour mieux se mettre en appétit.

Personne ne veut de mon boudin ?

Andréa (Ferréol) s’invite. Philippe a immédiatement le béguin pour la charmante institutrice.

De son côté, Marcello ne peut se contenter que de nourriture. Il lui faut des femmes.

Dans mon métier je suis habitué à dormir un peu partout, mais j’ai besoin de baiser!

Il invite trois prostituées qui vont déclarer forfait très vite, l’une après l’autre.

Je m’en vais. J’ai vomi toute la nuit.

Andréa a compris ce qui se trame et en redemande.

J’ai faim!!

Elle va subvenir aux besoin de ces quatre âmes en perdition, jouant le rôle de la mère et de la maîtresse. Le visage d’Ugo commence à être marqué. Il rappelle l’expression de Charles Duchemin en indigestion de choucroute (cf L’Aile ou la Cuisse).

Michel souffre de violentes crises de flatulence. L’excès de nourriture rend Marcello impuissant.

Les toilettes finissent presque logiquement par exploser.

C’est la catastrophe, c’est l’horreur, c’est l’immondice!

Couvert de merde, Marcello quitte l’aventure excédé… en pleine tempête de neige.

Ses amis le retrouvent mort le lendemain matin au volant de sa Bugatti, façon Jack Torrance (cf Shining). Michel est le second à mourir en se vidant peu glorieusement sur le balcon. Ugo s’achève sur une composition en forme de basilique Saint Pierre. Philippe, rongé par les scrupules d’être le dernier à partir, succombe à son diabète après avoir mangé trop de gateau mammaire.

L’ultime livraison de viande ne sera pas nécessaire. Andréa la rescapée retourne dans le manoir tandis que les chiens s’excitent dans la pelouse autour des carcasses.

Andréa Ferréol, Ugo Tognazzi, Philippe Noiret

L’EXPLICATION

La Grande Bouffe, c’est la bourgeoisie occidentale qui touche à sa faim.

Ces quatre hommes représentent une classe aisée en fin de course, à bout de souffle et à court d’idée. Ils n’ont déjà plus grand chose à se dire en vérité. Ce n’est pourtant même pas encore la fin des Trente Glorieuses.

Las de leur vie, malgré tout enviable. En tout cas plus enviable que celle de Zain (cf Capharnaüm). Ces amis décident néanmoins d’en finir en se goinffrant.

Mais pas n’importe comment. Avec la manière. En mettant les petits plats dans les grands.

Nous ne sommes pas ici pour nous livrer à une orgie crapuleuse!

À mesure que les recettes se suivent, ils vont vite oublier leurs beaux principes et leurs bonnes manières. Marcello est le premier à enfreindre la règle que le groupe s’était fixé en imposant de recevoir des femmes au banquet.

Cette expérience se révélera être malheureuse puisque Marcello ne peut pas satisfaire ses invitées, Philippe est gêné pour Andréa, Michel n’apprécie guère le corps féminin qu’il considère comme une vanité et qu’Ugo n’en profite même pas. Les prostituées se permettent de leur faire la leçon avant de partir.

Les gouines ont raison, les hommes sont tellement emmerdants!

Qu’est-ce qu’il nous faut faire pour vous amuser ?

Autre chose que manger, manger, manger… Vous êtes grotesques et dégoutants. Pourquoi vous mangez si vous n’avez pas faim ?

Ces hommes sont effectivement paradoxaux puisqu’ils veulent en finir avec la vie, par trop d’appétit de vie. Mourir en vomissant la vie, par boulimie. Comme si leur confort leur avait fait oublier que la vie est précieuse ou encore que des gens crèvent de faim ailleurs sur terre. Peu importe. Plus rien ne fait de sens depuis longtemps pour eux, plus rien ne compte que ce qui se trouve dans leur assiette.

En dehors de la bouffe, tout est épiphénomène.

Andrea-Ferreol-et-Philippe-Noiret-dans-La-Grande-bouffe

Ce qu’ils cherchent est de se dégoûter d’eux-mêmes à travers ce voyage orgiaque. Ils vont y parvenir puisque Philippe accepte à contre-coeur de partager la femme de sa vie, que le raffiné Michel s’est réduit en un pet grossier, que Marcello le charmeur aux bonnes manières est devenu un porc insistant qui ne bande même plus. Ugo ne relève pas le niveau.

On n’est pas là pour faire la fête en célébrant Bacchus (cf Le sens de la fête), on est là pour se précipiter vers la mort en perdant toute forme d’humanité. Ces hommes sont pathétiques, voire méprisables. Il ne s’agit pas d’une expérience pour prouver les dégâts du junk-food comme dans Super size me.

Non, il s’agit plutôt d’une forme de déchéance.

L’odeur de la merde ne nous quittera jamais.

Lorsque l’instinct de survie les incite à ralentir la cadence, Andréa la goulue est là pour leur rappeler qu’il leur faut aller jusqu’au bout de leur entreprise. Elle leur enfonce la fourchette fatale au fond du gosier.

J’en veux encore!!

L’abondance tue. Cette overdose de calories marque la décadence de la bourgeoisie masculine, coupable de s’être trop goinfrée comme l’avait fait la société Romaine à l’époque (cf Sans Filtre).

Ces gloutons (cf Se7en) se sont empiffrés et ne laissent rien derrière eux que quelques os à ronger. Nous héritons aujourd’hui d’hommes en surpoids, bien que constamment affamés – coincés entre leur envie de plus et leur dégoût pour le sucre et le sel.

Comme si cela n’était pas assez, la société bourgeoise masculine moderne n’a rien appris puisqu’elle s’ennuie toujours autant. Pour passer le temps, les hommes organisent des diners de cons, se plaignent de leurs petits malheurs (cf le Coeur des hommes) ou sortent carrément les Petits Mouchoirs.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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