CRASH

CRASH

David Cronenberg, 1996

LE COMMENTAIRE

Le temps est venu de tordre définitivement le cou aux clichés de la fin du siècle dernier. On peut être une femme blonde et ne pas se faire dicter son amour de la mécanique par une foule de machos en manque d’émotions fortes (cf Fast and Furious). L’arbre à cames en tête. Le siège baquet. L’habitacle renforcé. Le silent bloc. Les beaux chassis. Au féminin dans le texte.

LE PITCH

Un accidenté de la route développe des fantasmes morbides.

LE RÉSUMÉ

James Ballard (James Spader) est victime d’un grave accident de la route. L’un des passager du véhicule qu’il a percuté est mort dans le choc. Une rescapée, le Dr. Helen Remington (Holly Hunter), lui laisse entrevoir son sein. Tous les deux vont se recroiser lors de leur ré-éducation et entamer une relation.

Il s’agit d’une révélation pour Ballard dont l’union libre avec Catherine (Deborah Kara Unger) ne le menait nulle part. Dernièrement, le couple s’excitait davantage à travers le récit de leurs rencontres extra-conjugales que pendant leurs propres ébats (cf La Piscine).

À l’hôpital, Ballard et Remington font la rencontre du Dr. Robert Vaughan (Elias Koteas), un fétichiste des accidents de la route qui reproduit grandeur nature des collisions célèbres comme le drame qui a couté la vie à James Dean. Il regarde également des vidéos de crash test de manière obsessionnelle.

The car crash is a fertilizing rather than a destructive event. 

Vaughan et Catherine dans une voiture. Puis Vaughan et James couchent ensemble à leur tour après une séance chez le tatoueur.  James s’intéresse à la prothèse de jambe de Gabrielle (Rosanna Arquette), une femme qui arbore par ailleurs une cicatrice impressionnante sur la cuisse, en forme de vulve.

Vaughan meurt à la suite d’une course poursuite avec James.

James et Catherine ne sont pas loin de mourir à leur tour. Le couple trouve néanmoins l’énergie de se retrouver dans le fossé pour initier un coït à côté du véhicule endommagé.

Are you hurt?

I think I’m all right.

L’EXPLICATION

Crash, c’est le plaisir des estropiés.

Bien qu’ils s’en défendent souvent, nombreux sont celles et ceux qui vouent un culte pour les influencers (cf The American Meme). Leur objectif hier était de reproduire la vie des Joey, Rachel, Ross, Chandler et autre Phoebe. Aujourd’hui, ils suivent assidument chaque fait et geste de Jeanne Damas sur les réseaux sociaux. Ils sont les mêmes admirateurs d’une vie de rêve scriptée, documentée jusque dans les moindres détails, qui finira pourtant par s’arrêter un jour.

Car nombreux sont ceux qui fuient cette pesante réalité. Préférant se convaincre que la vie s’étire à l’infini comme les chapitres d’une série qui ne prendrait jamais fin. Redoutant les enterrements. Regrettant ceux qui sont partis trop vite. Préférant se concentrer sur leurs fantasmes que sur le réel. Ils s’épanouissent dans leur appétit de vie au moins autant qu’ils s’y réfugient.

Tous les jours, ils s’affairent dans la fourmilière et remplacent une routine par une autre. En remplissant leurs agendas et en partant en vacances toutes les deux mois. Adeptes du Bonheur. Fondamentalement optimistes. Rassurés par la publicité, avec ses gens heureux et en bonne santé. Peuplant les terrasses de café. Attendant patiemment leur tour aux caisses des supermarchés la semaine. Organisant des picnic remplis d’enfants le weekend.

Cette vie là n’amuse pas James. Plus rien ne l’inspire, ou presque (cf Kennedy et Moi). Il est quasiment déjà éteint.

I’m beginning to feel like a potted plant.

Sa femme lui raconte ses frustrations sexuelles avec ses amants. James lui suggère d’attendre le prochain train.

Maybe the next one…

Il est cocu et s’en moque pas mal. Plus rien ne l’atteint. La comédie de la vie l’ennuie. On finit par regarder le plafond en attendant que cela s’arrête.

Cet accident de la route est une sorte de révélation. Une véritable rupture avec le quotidien. Un electrochoc. Paradoxalement, la proximité soudaine avec la mort le ramène brutalement à la vie (cf L’expérience interdite). Il sort de sa torpeur. À travers cet hapax existentiel, il se rappelle que nous ne sommes que des accidents en puissance (cf Babel), des enfants du Big Bang.

Soudainement, il découvre ne pas être seul dans son bocal. En effet, Helen Remington partage ce besoin de sensations fortes. Mieux, le Dr Vaughan entretient des dizaines de passionnés de la fureur de vivre. Des personnes qui ne sont pas intéressées par l’idée de reproduire des modèles d’existence pré-formatés (cf Matrix). Au contraire, de l’authenticité, du cinéma d’auteur (cf Jodorowsky’s Dune). Des cicatrices comme celles de Gabrielle. De la seconde main. Un peu de vécu.

I’ve always wanted to drive a crashed car.

You could get your wish at any moment.

No, I mean a crashed car with a history.

James entraine Catherine avec lui. Tous les deux deviennent des estropiés. Ils se blessent, ce qui est pour eux la seule manière de ressentir (cf Titane). Souffrir, saigner, grimacer, ressentir (cf Phantom Thread). Le coeur qui s’accélère au rythme du compte-tours. Être secoué. Faire des tonneaux. Pour la première fois, perdre le contrôle de sa voiture. En quatre mots : se laisser enfin aller.

James et Catherine s’étaient perdus sur les chemins de la perfection. Plutôt que de soigner leur apparence ou masquer les rayures de leur carrosserie, tous les deux vont jouer les auto-tamponneuses. Marqués au fer rouge par la vie. Tragiques. Exaltés par les traces de pneus sur les corps.

Beaucoup plus à l’aise dans le monde de la nuit, en compagnie des vers de terre (cf Nightcrawler). Imparfaits et fiers de l’être, s’épanouissant dans les sous-sols, avec les balafrés (cf Fight Club). Cultivant leurs défauts. À l’aise dans la bizarrerie (cf Swallow). Plus besoin de faire le ménage ou de ranger sa chambre. La vaisselle a bien plus de charme ou de personnalité quand elle est ébréchée.

Ensemble ils vont véritablement s’envoyer dans le décor. Accrocs à la confrontation directe avec leur décès, comme autant d’opportunités de renaître encore et encore (cf Comme des Phénix). James et Catherine n’ont plus peur de rien, ce qui leur permet de profiter plus intensément de leur carte grise.

Ils roulent au delà des limites de vitesse. Au mépris des assurances. Ils vont vers la mort plutôt qu’ils ne l’attendent. Dans une logique d’ordalie, ils se remettent régulièrement en jeu. Ou pour emprunter à un vocabulaire de joueurs de poker, ils font tapis.

James et Catherine se retrouvent sur le bord de la route, en piteux état mais plus amoureux que jamais. Leur envie de l’autre n’a jamais été aussi forte. Ils sont bien.

I think I’m all right.

Maybe the next time, darling…

La mort viendra les prendre un jour évidemment mais jamais elle ne leur prendra leur liberté.

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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