LES YEUX DANS LES BLEUS

LES YEUX DANS LES BLEUS

Stéphane Meunier, 1998

LE COMMENTAIRE

À l’heure où l’on s’interroge sur la ré-instauration du service militaire obligatoire, ne serait-il pas préférable d’envoyer les forces vives de la nation faire des stages de football Jean-Michel Larqué ? Il n’y a aujourd’hui que le foot qui soit capable de faire descendre tous les Français dans la rue pour faire la fête. Même la fête de la musique n’y arrive pas. Alors sincèrement, arrêtons d’obliger nos enfants à passer leur été chez les scouts ou dans des prépas grand luxe. Mettons leur plutôt un ballon dans les pieds.

LE PITCH

Aimé Jacquet embarque 22 joueurs dans un voyage qui va changer le foot français.

LE RÉSUMÉ

La Coupe du Monde 98 va bientôt débuter. Elle se déroule à la maison. Aimé Jacquet prend la parole pour préparer ses garçons à ce qui les attend.

Quel beau truc à vivre!!

  • France 3 – Afrique du Sud 0

C’est parti. Les 22 arrivent à Marseille. Dugarry se réconcilie avec le public en débloquant le score. La France gagne 3-0. Déjà.

  • France 4 – Arabie Saoudite 0

Une première mi-temps tendue. Zinédine Zidane prend un carton rouge malgré les avertissements lancés par son entraineur avant le match. Furieux, Jacquet ne lui jette pas un regard à sa sortie du terrain. Dugarry se blesse. L’équipe de France s’impose néanmoins et se qualifie pour le tour suivant.

  • France 2 – Danemark 1

Les Bleus font tourner et s’assurent la première place du groupe grâce à un but décisif d’Emmanuel Petit.

  • France 1 – Paraguay 0

Dans une rencontre crispée, face à un adversaire ultra-défensif, les Bleus évitent les tirs aux buts grâce à un but en or de Laurent Blanc. Zidane vit le match péniblement comme un spectateur (cf Substitute) :

Comment c’est d’être sur le banc?

C’est stressant, c’est pénible!

  • France 0 (t.a.b.) – Italie 0

Les deux équipes se neutralisent au terme d’une rencontre tactique intense. Les jeunes font le boulot pendant la redoutable séance des penaltys. Di Biagio tape la barre. La France exulte. Elle est en demi-finale.

  • France 2 – Croatie 1

La France est en ballotage défavorable. Va-t-elle échouer si près du but ? Thuram remet son équipe dans le match puis envoie les Bleus en finale, sans Laurent Blanc qui prend un carton rouge pour avoir donné une baffe à Slaven Bilic.

  • France 3 – Brésil 0

Le jour de la finale, la ferveur populaire est aussi énorme que la pression. Face à l’ogre brésilien, la France ne peut pas perdre. Ronaldo, Bebeto, Taffarel, Dunga, Roberto Carlos. Rien à faire! Elle a battu les Brésiliens en 86, elle peut bien le refaire.

La France ne va pas perdre dans son beau stade de France tout neuf. Zidane profite du manque de rigueur défensif auriverde et claque deux coups de boule. À la mi-temps, le capitaine Didier Deschamps invite ses partenaires à continuer à jouer.

On fait pas la muraille de Chine!

C’était il y a vingt ans. Il a mûri depuis.

La France conserve le score. Petit enfonce le clou. Presque trop facile. Thierry Roland prend son pied. « Et un, et deux, et trois zero » va résonner dans les campings de France pendant tout l’été. On danse sur du Gloria Gaynor jusque dans les boites parisiennes les plus branchées. Jacques Chirac se frotte les mains.

La France l’a fait. Elle est championne du monde de foot pour la première fois de son histoire.

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L’EXPLICATION

Les Yeux dans les Bleus, c’est la méthode Musulin.

La méthode Musulin : sans arme, ni haine, ni violence. Tony c’est pas le genre de mec qui réfléchit toute la journée. Il ne se prend pas pour un gangster. Et à la fin il fait le casse du siècle (cf Emmanuel Macron).

Avec une bonne dose de réussite aussi il faut le dire. C’est l’histoire d’Aimé Jacquet.

Avant 1998, la France n’existe pas sur la carte du monde du football mondial. Certes il y a eu Raymond Kopa, Michel Platini, la victoire à l’Euro en 84 mais jamais de Coupe du Monde. Pas même une finale.

Les grands clubs français comme Reims ou St Etienne ne gagnent pas les titres européens majeurs. L’OM de Tapie y parvient en battant le grand Milan AC, l’année de l’affaire OM-VA qui verra le club être rétrogradé en 1994. Le PSG gagne la Coupe des Coupes qui n’existe plus.

On se fantasme comme faisant partie du top 5 aux côtés de l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Italie alors qu’on n’est même pas au niveau des Pays-Bas, de la Suisse ou du Portugal – qu’on méprise.

Quand on perd, on s’invente des excuses : les poteaux carrés, Schumacher, Kostadinov. À l’étranger on nous appelle les beautiful losers. Et cela nous va pas si mal.

En France, on préfère Poupou à Jacques Anquetil.

À Paris, le football n’a jamais compté. Il est devenu un spectacle relativement cher avec des millionnaires sur le terrain.

Avant So Foot, c’était quand même pour les beaufs.

On compte environ deux millions de vrais fans de foot contre plus d’une vingtaine de millions qui regardent la finale et quelques millions supplémentaires qui se joignent à la foule en cas de victoire.

Le foot est le sport le plus populaire et malgré tout il n’y a pas de véritable culture foot en France.

Quand Jacquet reprend la sélection, il part donc de loin. Il est moqué par la presse pour son accent savoyard. En plus, il écarte Ginola et Eric The King Cantona alors qu’ils flambent en Angleterre (cf Looking for Eric).

Jacquet tient bon. Il a une méthode et il y croit dur comme fer. Sa méthode est la confiance dans le groupe. Le soir de la finale, il le répète encore :

On fera un grand truc tous ensemble.

Lizarazu le dit lui-même :

L’alchimie de groupe, c’est le plus dur à trouver.

Il n’a pas tort. La coupe du monde 2018 l’a encore prouvé. Ce ne sont pas des individualités qui portent leur équipe au firmament. Messi a échoué. Ronaldo aussi. À l’inverse, les Russes ont surpris. Les demi-finalistes avaient tous des groupes pas toujours très talentueux mais soudés.

En 1998, Jacquet passe 2 ans à tester dans tous les sens, lors de matchs amicaux parfois calamiteux, pour au final dégager un groupe de 22 gars qui s’entendent bien. Et c’est vrai que l’ambiance dans ce groupe est plutôt bonne.

Il y a des tauliers (Deschamps, Blanc, Dessailly), des joueurs confirmés (Barthez, Lizarazu, Djorkaeff), un chef d’orchestre (Zidane), une diva (Dugarry), un intello (Emmanuel Petit), un homme politique (Thuram), des jeunes ambitieux (Henry, Trezeguet, Vieira) et quelques bons soldats (Leboeuf, Candela, Boghossian, Karembeu, Guivarch’, Pires, Diomède, Charbonnier, Lama).

Les gars ont faim. Pas encore de stars. Ils font à peine de la pub.

Jacquet fait grandir ces talents. Son secret est de leur donner confiance. Il va travailler leur mental. Car au delà des qualités physiques, techniques, tactiques qui font un bon joueur de foot, il faut apprendre la culture de la gagne, qui n’est pas encore quelque chose de Français.

C’est le grand rendez-vous avec le public français. Le public français il veut du spectacle. Ouais, mais d’abord l’affichage. La gagne, c’est la mentalité. C’est le groupe, c’est la solidarité, c’est la générosité. La gagne on va la chercher. 

Son équipe de France n’est pas toujours flamboyante mais elle prend les 3pts ou passe le tour d’après. Et elle finit par être flamboyante en finale comme une cerise sur le gâteau. Pour Jacquet, cela se joue dans la tronche.

C’est le mental qui vous a fait gagner.

Son adjoint Roger Lemerre en rajoute une couche aux entraînements.

Si le cerveau le veut, ça (il montre les jambes), ça execute!

La preuve que le discours passe, les joueurs se mettent au diapason:

Si mentalement t’es pas fort, tu t’en sors pas.

Et pourtant Jacquet n’était pas un foudre de guerre. Il n’avait pas fait une thèse de philosophie. Simplement, il a su constituer son armée, avec des lieutenants qui ont adhéré pleinement à son projet, faisant abstraction des critiques qui étaient nombreuses à l’époque. Il n’a pris personne de haut comme l’a peut-être fait Domenech. Regardait les yeux dans les yeux, avec beaucoup d’honnêteté.

Ses formules n’étaient pas toujours profondes mais elles étaient limpides. Après tout, ce n’est que du football.

Le football appartient aux footballeurs.

Le succès de la France, on le doit à Zidane, Deschamps, Thuram, Dessailly et les autres évidemment. Mais on le doit surtout à Jacquet : un meneur d’hommes qui savait trouver les mots, sans prétention.

Qui a su porter une bande ses mecs jusqu’aux sommets (cf Everest). Ils sont presque tous devenus des icônes par la suite au point qu’on parle quasiment de France 98 comme d’une promotion à l’ENA.

C’est grâce à Jacquet qui croyait en des valeurs d’humilité et de collectif. Deschamps renoue avec la tradition Jacquet vingt ans plus tard. Cela lui a visiblement porté bonheur (cf Les Bleus 2018)…

LE TRAILER

Cette explication de film n’engage que son auteur.

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