NIKITA

Luc Besson, 1990

LE COMMENTAIRE

Si la femme a désormais accès à des postes à responsabilités, elle est encore trop souvent cantonnée à des rôles de potiches (cf Safe). Devant se tenir bien droite, jolie comme le veulent les hommes. Attendant les consignes d’un mâle alpha qui l’ignore copieusement, alors qu’elle est pourtant au centre de l’écran (cf Zero Dark Thirty).

LE PITCH

Une paumée repêchée par l’État va se muer en arme de guerre.

LE RÉSUMÉ

Après un braquage de pharmacie qui vire au carnage par la faute de Rico (Marc Duret), Nikita (Anne Parillaud) se retrouve devant les juges qui la condamnent à perpétuité.

Bob (Tchéky Karyo) travaille pour les services secrets français. Il voit en Nikita un futur élément. Elle croit se réveiller au Paradis alors qu’elle ne sait pas encore qu’elle se trouve en enfer. Bob lui donne une seconde chance empoisonnée. C’est cela ou rien d’autre. Elle va devoir apprendre.

À lire, à parler, à sourire, à se battre même!

À se battre surtout, pour servir l’État.

Cependant Nikita ne veut pas devenir une fonctionnaire de plus. Après un baptême du feu réussi, elle devient agent. À sa sortie du centre, Nikita prend le nom de Marie, une infirmière, ainsi que Joséphine, son nom de code pour les missions.

Marie fait la rencontre de Marco (Jean-Hugues Anglade), caissier dans un supermarché, et tente de mener une vie aussi normale que possible. Ce qui est rendu difficile par Bob qui envoie Joséphine à droite à gauche faire le sale boulot. Elle essaie de joindre l’utile à l’agréable mais il reste malgré tout compliqué de tuer quelqu’un en plein voyage de noces à Venise.

Élément efficace, Nikita va se voir confier une mission d’envergure. Malheureusement, elle se rate tellement que même Victor (Jean Reno) n’arrive pas à nettoyer derrière son fiasco. Tout le monde est à sa recherche (cf Sang pour Sang).

Nikita disparaît (cf Alien) après avoir pris soin de laisser des informations confidentielles à Marco qui connait désormais la véritable identité de sa femme. Il tente de la couvrir en négociant des documents confidentiels avec Bob qui promet de ne pas lui courir après.

Elle va nous manquer…

L’EXPLICATION

Nikita, c’est une femme qui prend congés.

La société héritée du patriarcat (cf Les dents de la mer 2) reste marquée par la toute puissance d’un État masculin sélectif dans sa rancune, sans scrupule, qui donne des secondes chances bancales et qui ne compte que quand cela l’arrange.

L’État ne fait pas de cadeau, surtout aux anonymes. Encore moins de cadeau quand les anonymes sont des femmes. Quand on fait une erreur avec l’État, on le paie toute sa vie. L’État applique la loi du talion, à la tête du client. Si Nikita échappe de peu à la prison, elle n’aura jamais l’impression d’être libre – à aucun moment. La seule chose dont elle décide vraiment est sa relation avec Marco que Bob, le jaloux, se fera un malin plaisir de parasiter.

Lorsque Bob la récupère, Nikita ne ressemble pas à grand chose selon les critères masculins d’évaluation de la femme. Cette femme n’est rien. Elle mord, hurle, donne des coups aux instructeurs. Quasiment sauvage. Une punk. Amande (Jeanne Moreau) va lui enseigner les règles de bienséance et l’aider à reprendre forme humaine pour qu’elle trouve sa place – dans le monde des hommes.

Étape intermédiaire et néanmoins nécessaire avant de devenir l’essentiel de l’homme, une femme.

Elle va lui apprendre à sourire et l’accompagner dans son émancipation. À force d’efforts, Nikita va apprendre à assumer sa féminité et exploiter les moyens infinis d’en abuser. Elle va faire de cette féminité une arme (cf Les Liaisons Dangereuses). Si Marco est évidemment accroc à Marie, Bob est aussi follement éperdu de Nikita qui a été rebaptisée Joséphine. On lui a volé son identité.

Amande lui apprend à être une femme, qu’elle définit comme être l’essentiel de l’homme. C’est à dire que quoi qu’elle fasse, Nikita est toujours coincée. Sous la coupe du mâle dominant et pas très épanouie en couple avec le mâle dominé.

Une nouvelle femme va devoir éclore (cf Under the skin). Pour cela, Nikita doit se plonger dans le monde des hommes où le choix n’existe pas. Les soldats n’ont que deux semaines pour faire quelques progrès sous peine d’être mis dehors.

Aux hommes, on offre des pistolets depuis qu’ils sont tout petits, alors qu’ils préféreraient peut-être un ballon de foot ou des crayons de couleur. Les hommes se retrouve piégés face à des fenêtres murées, après quoi ils doivent se débrouiller pour rentrer à la caserne sous la pluie. Parfois sans taxi et en talons aiguille (cf Pédale Douce). Cela n’a rien d’étonnant pour Bob.

Elle était murée la fenêtre Bob, elle était murée!!

… Bien sûr elle était murée.

Une vie d’homme est une vie de chien. Ils reçoivent des appels en pleine nuit pour pointer à une réception d’hôtel le lendemain, sans un bonjour ni un merci. On les envoie en vacances à Venise sans vraiment pouvoir complètement décrocher parce que le boulot les suit tout le temps. Le boulot les force à mentir en permanence à leurs épouses pour mieux les protéger. Et puis si la mission dévie, on arrête les frais immédiatement et cela se finit à l’acide dans une baignoire.

Nikita bascule dans ce monde de tristesse et de frustration, où l’on n’est qu’un vulgaire presse bouton.

On souffre en serrant les dents.

Ce qui est très dur pour Nikita est aussi de vivre la vie d’un homme avec tout ce que cela comporte comme contraintes et obligations, sans pouvoir profiter des avantages comme par exemple se gratter les testicules devant un bon match de football ou faire pipi debout.

Sur ce sol aride, les marguerites ne poussent pas. Nikita ne peut pas s’y épanouir. On lui colle des étiquettes qui ne lui correspondent pas. À peine a-t-elle le temps de savourer le succès de sa première mission qu’on l’envoie faire un autre sale boulot. Avec cette sensation de n’être qu’un fusible qui ne la quitte pas. Constamment sur la sellette (cf Les Trois Mousquetaires : Milady).

Ce n’est pas une vie. Alors Nikita finit par prendre la tangente pour trouver sa liberté (cf Les évadés), loin de cette société qui ne la mérite pas. La femme nouvelle n’a pas de place dans cette galère. Elle préfère laisser aux hommes ce monde à la discipline militaire, où l’on se fait aboyer des ordres et dans lequel l’individu n’est pas reconnu à sa juste valeur. Nikita disparait.

Que les hommes apprennent à vivre entre eux. Composer avec ce monde de suspicions qu’ils se sont construits. Marco, le compagnon mou, n’a pas été assez fort pour retenir Marie. Bob, l’amant macho, ne s’abaisse pas à courir après Joséphine (cf Welcome).

Ils sont deux beaux imbéciles, chacun à leur manière.